Voilà un jour redouté... Celui où vous vous retrouvez face à l'écran, devant le clavier et qu'il faut parler d'un livre dont il est impossible de parler... Attention, ce n'est pas un reproche, c'est même tout le sel de ce premier roman, mais comment en parler au mieux ? Le défi est là... Lançons-nous, en espérant être à la hauteur. Parlons donc de "Les loups à leur porte", de Jérémy Fel, publié en août dernier aux éditions Rivages. Un roman choral, pour lequel on évoque des tas de références élogieuses (et je vais en rajouter, en plus), à la construction fascinante, sombre et tourmenté. Une espèce de conte de fée contemporain, aux accents à la fois gothique et lorgnant vers le thriller. Une réflexion sur nos peurs profondes, celles qui hantent nos cauchemars, et sur la façon adéquate de les combattre lorsqu'elles se matérialisent...
Au fin fond du Kansas, à la fin des années 70. En pleine nuit, la maison de la famille Greer, située au milieu des champs de blé, s'enflamme. Brusquement. Un incendie d'une violence terrible, qui ne laisse aucune chance à Loretta et à George Greer, surpris dans leur sommeil et coincés à l'intérieur. Une visions d'horreur...
Duane a fait de la prison, mais qui ne fait pas d'erreur ? Cela ne l'empêche pas d'avoir bon coeur et de venir en aide à qui en a besoin. Comme avec Josh, un gamin de 4 ans que sa mère bat comme plâtre. Alors, il a pris la décision de kidnapper le môme, pour le protéger, pour éviter qu'une raclée ne finisse par lui être fatal. Duane sait quel danger il encourt en agissant ainsi, mais peut-on lui reprocher ?
Martha et Paul Lamb ont des invités pour le dîner. Mais pas vraiment le genre de personnes qu'on souhaite accueillir à sa table, autour d'un bon repas. Disons-le tout net, ces invités, dont un certain Walter, ne sont pas là pour plaisanter, mais parce qu'ils sont venus chercher quelqu'un. Non, franchement, ce dîner-là ne sera certainement pas le plus agréable que la famille Lamb aura connu...
Mary Beth est serveuse, dans un diner quelque part en Indiana. Et cette vie calme lui convient parfaitement. Mais, Mary Beth a des secrets, et ils viennent de se rappeler brutalement à elle. Cette fois, la fuite ne suffira pas, il va falloir régler les choses une bonne fois pour toutes et, si tout va bien, renouer les fils, effacer les erreurs commises plus de quinze ans auparavant.
Scott est un adolescent qui n'aspire qu'à profiter de sa jeunesse. Et voilà que, d'un seul coup, sa petite vie tranquille vole en éclats. Il n'a même pas eu le temps de dire ouf, avant que son destin bascule et maintenant, il ne lui reste plus guère d'espoir de s'en sortir... A moins qu'on ne lui vienne en aide, mais qui pourrait réussir à le sortir de la situation pénible dans laquelle il se trouve...
Autour d'eux, d'autres tranches de vie, la plupart du temps dramatiques ou imposant à ceux qui vivent ces instants, des choix délicats. Des hommes et des femmes à la croisée des chemins, qui doivent faire face à des révélations, des découvertes bouleversantes... Certains saisiront les opportunités qui se présentent, d'autres verront l'horizon s'obscurcir, irrémédiablement.
N'en disons pas plus... Conservons le plus possible le mystère. Car, si vous avez lu jusqu'ici ce billet, alors, vous devez vous demander : mais, euh... De quoi ça parle, exactement, "les loups à leur porte", de Jérémy Fel ? Eh bien, sachez que vous êtes exactement dans la même position que si vous étiez en train de lire le livre...
On enchaîne les chapitres et on cherche un lien entre ces personnages, les uns aux Etats-Unis, les autres en France, d'autres encore en Angleterre, et ça ne saute pas aux yeux. Mais, en revanche, on note des points communs : plusieurs de ces personnages font des cauchemars, le genre qui vous réveille mouillé de sueurs froides, vous empêchent de vous rendormir et reviennent, régulièrement.
D'autres doivent affronter des situations extraordinaires, des événements (heureusement) inhabituels et les fortes tensions qui les accompagnent. Le genre d'instants qui vous marquent pour la vie et, sans doute, eux aussi, pourraient faire perdre le sommeil... Enfin, il y a ceux qui provoquent ces situations, parce qu'il faut bien des étincelles...
A propos de ce livre, j'ai lu qu'on évoquait, pêle-mêle, Stephen King, David Lynch, Joyce Carol Oates... J'ajouterai Robert Altman et Raymond Carver, que j'associe, car "Les loups à leur porte", dans la construction narrative, m'a fait penser à "Short cuts" : des destins sans lien apparent qui, pourtant, entrent en collision, rarement pour le meilleur.
Oui, il y a un peu de tout ça, mais ce serait réducteur de limiter Jérémy Fel à ces (ses ?) références. Car, sans se préoccuper de tous ces noms, forcément flatteur, on a d'abord un livre de Jérémy Fel, une atmosphère sombre, souvent inquiétante, oppressante, basculant par moments dans une grande violence, et des personnages aux prises avec les événements.
Et cette atmosphère, c'est un des grands points forts du livre, puisqu'on avance à l'aveugle, sans véritablement savoir de quoi il en retourne. Mais, c'est un roman noir où la dimension psychologique est fortement présente. Comment réagir face aux situations ? Comment évoluer après ces épisodes ? Car, forcément, il doit y avoir un après.
Vous l'aurez sans doute deviné, il y a, derrière ce roman, un travail de construction narrative très impressionnant. Je serais assez curieux de savoir comment Jérémy Fel a travaillé cet aspect-là de son livre, car il y a quelque chose d'assez virtuose ici. On se laisse piéger, car on veut essayer de comprendre et puis, sans qu'on s'en aperçoive vraiment, tout commence à se mettre en place.
On comprend qu'on a bien, presque à notre insu, une intrigue centrale d'où partent, comme des radicelles, quelques intrigues secondaires qui viennent nourrir l'argument général. Un argument auquel nous allons arriver, je vous rassure. Mais, il paraissait important de souligner la maîtrise dont fait preuve Jérémy Fel avec cet audacieux premier roman, dans un genre qui, en outre, est plutôt l'apanage des auteurs anglo-saxons.
Mais alors, insistez-vous, de quoi parle donc "les loups à leur porte" ? Mais de peur, de monstres, de cauchemars, voyons ! Sauf qu'on n'est pas tout à fait dans un format classique de conte de fée. Dans nos mythologies contemporaines, la légende urbaine a pris le dessus et l'ogre ou le croquemitaine ont été remplacés par le tueur en série, le psychopathe...
Des archétypes littéraires qui ont aussi leur projection dans la vie réelle, heureusement, enfin, espère-t-on, dans des proportions infimes. Et c'est le cas ici, au milieu de ces gens qui font des cauchemars, d'autres s'y retrouvent projetés. Avec, dans les deux dimensions, la présence de ces monstres qui nous hantent tous, ceux entre les mains desquels nous redoutons de tomber.
Jérémy Fel réussit, en parallèle avec son intrigue centrale, à travailler tout en variations sur la figure du monstre, symbolisé par ces loups, à nos portes. Le méchant, puisque c'est le plus souvent ainsi qu'on qualifie l'incarnation du mal, prend ici différentes formes, des plus banales aux plus effrayantes, de ceux que l'on croise sans même s'en doute aux plus redoutables prédateurs...
Parmi les nombreux personnages du roman, certains sont des gentils, pour gagner la terminologie, d'autres, des méchants sans espoir de rédemption. Et puis, il y a les personnages qui découvrent eux-mêmes leur part sombre, leur propre monstruosité, tapie au fond d'eux-mêmes. Une découverte aussi difficile à manipuler que de la nitroglycérine.
Rien n'est simple, chez Fel, du bien peut naître une catastrophe alors qu'un acte terrible peut donner lieu, par ricochet, à une opportunité positive. On en revient à la construction imparable du livre, à la collision des destins et à l'influence, néfaste ou profitable, que chacun de nous pouvons avoir sur nos existences... Et celles des autres.
Rien n'est simple aussi parce que chaque personnage se débat avec lui-même, placé dans des situations où il est impossible de reculer. Courageux, déments, violents ou bienveillants, perdus ou essayant de se raccrocher tant bien que mal à la réalité, tous vont se voir bousculer, acculer, pousser dans leurs retranchements.
Chaque chapitre est une des tesselles formant une mosaïque tourmentée, une gravure à la Dürer qui est aussi l'image d'un monde où la violence peut surgir de partout, où les victimes d'un moment deviennent les agresseurs le suivant ou réciproquement. Où certains recourent à la force pour se défendre quand d'autres ne font qu'assouvir de vils instincts profondément ancrés dans leur être.
Il y a quelque chose de très ludique dans cette lecture, une fois que l'on en maîtrise le fonctionnement. Jérémy Fel donne à chaque chapitre une tonalité propre, comme une humeur, en fonction des situations. Bien sûr, c'est à chaque fois assez sombre, mais, le point de vue diffère et offrent quelque surprises, comme lorsque l'on découvre le bon coup que Louise joue à son mari infidèle ou lorsqu'on découvre Clément en bien fâcheuse posture.
Au final, le puzzle s'assemble et l'on découvre, jusqu'aux dernières lignes, les retombées de ce que l'on vient de lire. C'est assez addictif, car, dans un premier temps, on désire comprendre où on a mis les pieds puis, dans un second, où nos pas nous mènent. Autour d'une trame qui serait, traitée de manière normale, assez classique, Jérémy Fel nous offre un livre fort et original. Une découverte dont on attendra confirmation.
j'ai beaucoup apprécié ce roman même si je ne suis pas adepte de ce genre, d'ailleurs comment le classer ? Thriller ? Pour avoir rencontré l'auteur j'ai apprécié de développer avec lui les références mythologiques dont tu parles. Je l'ai trouvé à la fois humble et étonné que l'on puisse voir tant de choses dans son roman, c'est marrant ! L'influence des auteurs anglo saxons est grande en effet et la construction du récit dont tu parles m'a évoqué cela. J'attends le second avec impatience car il promet d'y développer des personnages présents dans Les Loups à leur porte. Bel article Drille ;)
RépondreSupprimerMerci :)
SupprimerPour moi, c'est un roman noir. Mais, c'est vrai que c'est une classification qu'on a un peu de mal à faire, de nos jours. On a tendance à vite coller des étiquettes "thriller" ou, au contraire, comme ici, à les publier en littérature blanche. D'une certaine façon, on casse les cloisons, donc, tant mieux, mais ça n'aide pas à la clarté générale ^^
Pour le reste, oui, que ce soient les cauchemars ou les références aux croquemitaines, tout ça m'a frappé et le lien avec les contes, qui est un thème que je développe régulièrement, m'a sauté aux yeux. Les peurs contemporaines sont un sujet qui me passionne. Tant mieux si ça correspond à ce qu'il a voulu faire.