lundi 1 février 2016

"La mort est certaine. Seul le moment nous est inconnu" (Alexandre Dumas).

La citation qui sert de titre à ce billet revient à plusieurs reprises dans le roman dont nous allons parler ce soir et elle incarne plutôt bien l'un des sujets forts de ce thriller fantastique. Oui, on va parler de vie, de mort, de bien, de mal, des thèmes somme toute assez classiques, mais qui, ici, sont utilisés de façon très intéressantes, presque comme les pièces d'une mythologie moderne. Dans "la voie des âmes" (en grand format aux éditions Belfond), Laurent Scalese nous emmène à la suite d'un flic pas comme les autres, confronté à l'extraordinaire au quotidien, mais qui va devoir affronter et appréhender des situations bien plus déroutantes encore que celles auxquelles il est habitué... Un page-turner sans répit mais qui n'oublie pas de proposer au lecteur une réflexion sur des sujets essentiels et une virulente critique de tous les fanatismes.



Richard Neville est un policier français, mais pas un policier comme les autres. D'ailleurs, depuis un certain temps, il ne mène plus d'enquêtes classiques mais voyage dans le monde pour opérer comme consultant sur des affaires délicates qu'on peine à résoudre. Une mission qu'il remplit à merveille, permettant d'arrêter de terribles criminels ou en tout cas de mettre les flics sur leur piste.

Il faut dire que Richard Neville possède des compétences que les autres policiers n'ont pas. Il reste d'ailleurs assez discret sur le sujet, car il sait que cela peut provoquer l'incrédulité et le rejet, malgré des résultats évidents. Un don, devrais-je plutôt écrire, qui lui permet, rien qu'en touchant un corps, de revivre les cinq minutes précédant la mort.

Voilà comment il glane de précieux indices et, la plupart du temps, des descriptions des assassins ou au moins, quelques signes distinctifs de premier ordre. Et voilà pourquoi, en ce mois de février, Neville se trouve à New York, pour essayer d'aider les enquêteurs à retrouver un insaisissable serial killer qui ne laisse aucun indice derrière lui.

Neville n'est pas venu seul à New York, l'occasion était belle d'un voyage en amoureux. Clara, son épouse, avec qui il forme un couple très uni, l'a donc accompagné. Leurs deux enfants, eux, sont restés en Normandie, aux bons soins de leur grand-mère maternelle. Mais, l'escapade va tourner au drame.

Alors que Neville examine la dernière scène de crime laissé par le serial killer qu'il est venu démasquer, alors qu'il obtient par sa méthode peu conventionnelle des détails très impressionnants sur son apparence, Clara est assassinée en plein Central Park, malgré l'intervention d'un témoin, lui aussi violemment et définitivement réduit au silence.

Le choc est énorme, pour Neville, qui ne sait absolument pas comment gérer tout cela. Abandonnant l'enquête, il rentre faire son deuil en France, auprès de sa fille, désormais adolescente, de son jeune fils et de sa belle-mère, avec qui il ne s'est jamais entendue et qui lui reproche ouvertement ce qui est arrivée à Clara.

Pendant que, à New York, l'enquête menée par Mike Rosener suit son cours, Neville essaye de reprendre pied. Mais, d'un côté de l'Atlantique comme de l'autre, des événements étranges vont changer la donne et le destin des deux hommes. Car, si Rosener voit en Neville un charlatan, bientôt, leurs destins vont se lier, inextricablement.

D'une part, l'identification du serial killer et son arrestation sont jalonnés d'éléments qui ont de quoi faire tiquer le plus cartésien des flics. Rien ne colle, tout semble bancal et pourtant, ils sont sûrs de tenir leur homme. Mais, plus ils creusent, plus la cohérence de l'ensemble s'estompe. Et Rosener va bientôt devoir faire face à des événements dramatiques qui ne vont rien arranger.

D'autre part, Neville, dévasté par la mort de son épouse, en perd le sommeil. Pire, il a l'impression de devenir fou : d'étranges signes lui donnent l'impression que Clara essaye de communiquer avec lui... Lors d'une balade nocturne, il croit même l'apercevoir près des falaises proches de la maison normande où vit sa mère...

Mais, c'est une autre rencontre qui va tout faire basculer. Une étrange femme qui lui met en main un deal incroyable : s'il accepte de remplir une mission pour elle, alors, en échange, elle lui rendra Clara. Aussi incroyable que cela puisse paraître, poussé par son désespoir, Neville finit par accepter d'honorer sa part du contrat... Pour le meilleur et pour le pire.

Richard Neville se trouve à l'intersection de deux des plus fameux mythes : celui d'Orphée, privé de son Eurydice et cherchant à la retrouver, et celui du Docteur Faust, signant un pacte avec le diable pour obtenir tout ce dont on peut rêver. Ici, toutefois, pas de diable, en tout cas, pas comme on l'entend. C'est un peu plus complexe que cela.

D'emblée, le lecteur est confronté au don de Richard qui plante déjà un décor dans lequel le surnaturel tient toute sa place : les morts pourraient donc entrer en communication avec certains vivants qui agissent comme des récepteurs. Mais, ce n'est pas tout, vous l'aurez aisément compris avec le titre du roman : on va parler des âmes.

On ne va pas chercher à définir ce concept de manière philosophique, on retrouve plutôt ici un concept classique du fantastique : les âmes errantes qui ne trouvent pas le repos et viennent troubler celui des vivants. Autrement dit, même si le terme n'est pas tout à fait juste, des fantômes. Mais des fantômes, eux aussi, dotés de pouvoirs immenses.

Neville et Rosener, dont nous allons reparler dans un instant, vont se retrouver embarquer dans une gigantesque bataille entre le bien et le mal. Ils n'en maîtrisent rien, et surtout pas l'état des troupes en présence, si je puis m'exprimer ainsi. Laurent Scalese s'amuse à brouiller les pistes de manière assez habile entre le bien et le mal.

Non seulement les apparences sont trompeuses, comme souvent, mais les définitions même du bien et du mal, lorsqu'on les confronte à la réalité, deviennent d'un seul coup bien plus floues. Eh oui, pourquoi une démarche positive ne pourrait-elle servir de noirs desseins et pourquoi une action néfaste ne pourrait-elle être acceptable dans un plan plus global visant à l'avènement du bien ?

Rien n'est simple, rien n'est évident et Neville et Rosener vont s'en rendre compte. D'une façon plus fracassante encore, en ce qui concerne le flic new-yorkais, qui est un homme rationnel, ne croyant ni à Dieu, ni à Diable, ni même au surnaturel. Lui qui vit avec une épouse confite en dévotion, avec qui le courant ne passe plus, en grande partie à cause de cette divergence d'opinion religieuse.

Les situations auxquelles il va se voir confronté vont remettre en cause toutes ses certitudes, jusqu'à le faire douter profondément. Rosener se remet en question au coeur de cette improbable enquête. Et s'il se trompait ? Et s'il y avait vraiment un Dieu ? Et si la foi pouvait sauver son couple ? Mais alors, comment expliquer l'omniprésence d'un mal qu'autoriserait un dieu de miséricorde ?

Il se doit de faire respecter la loi. Mais la loi des hommes. Or, dans ce tumulte, dans cette terrible tourmente qui se déchaîne, elle n'a plus vraiment sa place, tous les coups paraissent permis, même les pires, même les plus violents, les plus insensés. Il y a dans "la Voie des âmes", des scènes qui résonnent avec force avec les événements de ces derniers mois...

Intéressant, d'ailleurs, de voir comme Laurent Scalese oppose l'idée de la pérennité de l'âme à toute forme de transcendance. Non, l'âme n'est pas l'apanage des grandes religieux, elle a son indépendance, si je puis dire. Et croire en l'âme n'est pas croire en Dieu, qui souffre de toute manière de tout ce que l'on commet en son (ses) nom(s).

Neville, pour sa part, doit se débattre avec cet accord qu'il a décidé d'honorer par amour. Un amour profond, sincère, mais qui se heurte à des forces se livrant un combat sans merci. Sert-il le "bon camp" et si ce n'est pas le cas, peut-il sacrifier Clara, aussi fondamentale et forte soit la cause la plus juste en lice ?

Voilà autant d'éléments qui font que "la Voie des âmes" n'est pas un simple page-turner ou un simple thriller ésotérique mais qu'on y trouve aussi des réflexions qui ont de quoi interroger n'importe quel lecteur. Le bien, le mal, l'amour, le deuil, la foi, autant de thématiques qui nous touchent, qui nous poussent à faire des choix, qui influent sur nos vies.

Mais, c'est un livre qui devrait convenir aux amateurs de thrillers à l'anglo-saxonne, car tout se déroule de manière très enlevée, avec des rebondissements permanents. Laurent Scalese n'est pas avare d'action et d'effets, et n'oublie pas aussi de s'amuser. Il joue avec facétie des parcours de certains personnages, multipliant des clins d'oeil qui m'ont souvent bien fait rire.

Je n'ai évoqué principalement que deux personnages, Richard Neville et Mike Rosener, qui sont ceux qui portent véritablement l'histoire, mais autour d'eux, gravitent quelques "seconds rôles" qui valent le détour. Et quand je dis second rôle, j'exagère un peu, mais c'est pour la bonne cause, celle qui évite qu'on dévoile trop d'éléments de l'intrigue...

Il vous reste énormément à découvrir de cette histoire pleine de surprises. Avec ce double enjeu de la "résurrection" de Clara (je mets des guillemets, encore une fois, le terme est évocateur mais imparfait) et la lutte dont elle devient, bien malgré elle, l'un des rouages. Une histoire extraordinaire dont personne ne peut sortir indemne.

Car, au final, peut-être est-il là, l'enjeu majeur de ce roman ? Comment vont évoluer Richard et Mike après avoir connu ces situations sans précédent ? Retiendront-ils des leçons, non, disons les choses de manière plus carrée, changeront-ils après ces événements ? Quant au monde dans lequel ils vivent, et qui est aussi le nôtre, soyez-en sûr, lui aussi devrait subir une onde de choc. Mais de quel type ?

Je dois dire que la dernière partie du roman m'a énormément surpris, et pas qu'une seule fois. Et si... a-t-on envie de dire... Et si je me retrouvais dans de telles situations, et si je devais moi aussi faire ces choix... Comment (ré)agirais-je ? Le courage de Richard et de Mike, c'est de miser tout leur tapis sur une seule main, et pas forcément en ayant d'entrée un jeu idéal...

Mais le roman s'achève surtout sur un dénouement très bien pensé, à la fois conclusion de l'histoire et fin ouverte. Dernier pied-de-nez, un tantinet cynique, il faut bien le dire, de la part de l'auteur. A l'image de ce que j'ai dit plus haut sur le bien et le mal, cette chute vient brouiller les codes de la traditionnelle Happy End, et c'est très bien ainsi.

2 commentaires:

  1. Grignion Ludovic2 février 2016 à 13:11

    Excellente présentation du roman qui je dois avouer ne pas totalement emporté. J'aurais préféré je pense moins de bons sentiments, des développements supplémentaires concernant "les méchants". L'intrigue m'a rappelé brièvement celle de "L'échiquier du mal" de Dan Simmons. En revanche, la fin m'a beaucoup plu!

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