vendredi 3 juin 2016

"Je te suggère de mettre un peu de délicatesse dans tes héros, et de force dans tes héroïnes. Rares sont ceux qui ne sont que forts ou que délicats, qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes".

ATTENTION, CE BILLET EST CONSACRÉ AU DEUXIÈME TOME D'UN CYCLE.

Qu'il est dur de revenir sur terre après quatre (et même cinq, car nous avions commencé les festivités dès mercredi) journées de folie aux Imaginales... Mais ce blog frôle l'abandon, il faut donc se remettre d'urgence au clavier, d'autant qu'il y a pas mal de livres en attente de billets. Et, pour cela, penchons-nous sur le tome 2 d'une saga récemment découverte, mais dont j'attendrai la suite avec impatience : "la voix de l'Empereur", de Nabil Ouali (publié chez Mnémos). Après "Le corbeau et la torche", voici "le poignard et la hache", un deuxième volet qui ménage pas mal de surprises aux lecteurs, en optant pour des directions inattendues, en jouant sur des personnages différents du premier tome, mais aussi, en développant la situation centrale qui est celle de l'empire et de sa tête, là encore dans un sens qui n'était peut-être pas celui qu'on imaginait...



Voilà désormais un an que Frimas et Ravel ont disparu, sans qu'on sache ce qu'ils sont devenus. La mort de l'Empereur a permis aux représentants religieux d'asseoir leur pouvoir et l'ambitieux Adamant se verrait bien devenir le véritable chef des six royaumes. Mais Elin, l'héritier du trône, est toujours là.

Un héritier affaibli par le lourd secret qu'il continue à cacher avec soin. Un secret dont Adamant n'ignore rien et qu'il utilise pour faire pression sur le jeune et inexpérimenté monarque. Celui-ci, fragilisé, privé du précieux soutien de Frimas, va devoir apprendre plus vite que prévu les usages de son rang et surtout, démontrer qu'il a l'autorité et la poigne nécessaires pour s'opposer aux religieux.

Débute alors un bras de fer terrible qui ne profite en rien à l'empire, plongé dans l'incertitude et l'instabilité du pouvoir. Même le sage Gweleth ne peut empêcher cette dérive. Le rusé conseiller le sait pertinemment : Elin n'a pas d'autre solution que de partir en guerre tout en montrant une image brutale de lui-même s'il veut résister à Adamant.

Dans cette quête très risquée et périlleuse sur un plan personnel, Elin va pourtant recevoir un soutien important. Privé des talents de Frimas, Elin n'a plus de héraut impérial pour veiller sur lui et sa sécurité est assurée par deux guerriers de confiance, Morcha et Jerik. Jusqu'à l'apparition tout à fait inattendue de Tara...

La jeune femme est arrivée mine de rien dans la Cité Impériale, comme n'importe quel voyageur de passage. Elle vient rendre visite à une amie, connue des années auparavant. Mais elle va devoir changer ses plans et son ascension va être fulgurante... Il faut dire que la frêle demoiselle possède quelques talents qui vont en surprendre plus d'un...

Quant à Glawol, l'ambitieux, le fourbe, même s'il est peut-être un peu réducteur de le voir seulement ainsi, l'homme qui roule avant tout pour lui-même, il continue son travail de sape, omniprésent, homme de confiance de tous, mais prêt à jouer d'abord ses propres cartes... Et il pourrait bien voir s'ouvrir devant lui une voie non pas royale, mais impériale...

Enfin, il y a Ma'Zhir. Son plan pour abattre le clergé, aussi minutieux qu'audacieux, a pourtant échoué. On peut même dire qu'il a eu les effets contraires à ceux qu'escomptait cet homme de l'ombre. Lorsqu'on le retrouve, c'est un personnage hanté qu'on découvre. Hanté, au figuré, par ce passé qui ne le quitte pas, et au propre.

S'il est encore un être vivant, c'est bien avec les morts que Ma'Zhir semble avoir le plus de relations, désormais. A commencer par Lizendurg, ce nécromancien mort dans des conditions particulières et qui ne veut plus lâcher d'une semelle le garçon... Pourquoi ce lien si singulier et qui a le don d'agacer Ma'Zhir ? N'en demandez pas trop, tout de même !

Voilà planté le décor de ce second volet, en essayant d'en dire le moins possible, surtout si vous n'avez pas encore lu le premier (mais dans ce cas, que faites-vous encore là ? Allez lire "le Corbeau et la Torche, enfin !). Un roman qui surprend forcément le lecteur, en changeant sérieusement de point de vue : les personnages centraux du tome 2 ne sont clairement pas les mêmes que dans le tome 1.

Même Elin, dont on peut dire qu'il était déjà bien présent dans le premier volet, même s'il occupait une position à mes yeux plus en retrait, devient plus qu'un protagoniste principal : il est le moteur du récit, dans ce deuxième tome, parfois bien malgré lui. Et, d'une certaine façon, l'un des enjeux, déjà présents ici, mais peut-être également à venir, c'est lui.

Ou plus exactement, sa capacité à reprendre les commandes de sa vie, de son pouvoir et de ce qui se déroule dans le royaume, ou bien, s'il échoue, la manière dont il sera entraîné dans l'engrenage qui s'emballe autour de lui et dont il se passerait volontiers. En clair : les épaules d'Elin sont elles assez larges et solides pour supporter sa position d'empereur, dans un empire qui vacille sous les coups de boutoir du clergé ?

"Le Corbeau et la Torche" était un roman très masculin, puisque les quatre personnages centraux, Frimas, Ravel, Glawol et Elin étaient des garçons, dont le destin se nouait sous nos yeux. Avec "le Poignard et la Hache", et malgré un titre pour le moins belliqueux, Nabil Ouali nous propose un second volet nettement plus marqué par le féminin.

La figure de Tara, qui surgit dans un jeu qu'on croyait établi, dont on pensait détenir une bonne partie des clés, y est pour beaucoup, mais pas seulement. Pour le reste, toutefois, je ne vais pas entrer dans les détails, eh non, un cycle repose parfois sur des éléments fondamentaux qu'il faut garder secrets pour que l'édifice ne s'effondre pas...

Mais oui, ce roman renverse ainsi pas mal de codes classiques de la fantasy. Pour prendre le personnage de Tara, puisque, de celui-là, on peut parler sans trop de risques de trop en dire, c'est au sens propre qu'elle bouscule les codes, et, d'un même élan, quelques gros balèzes qu'elle est amenée à croiser dans la cité impériale.

Avec une certaine candeur, à moins qu'il ne s'agisse d'un détachement complet, elle vient dynamiser (dynamiter ?) la vie de la cité impériale, sclérosée par les événements relatés dans le premier tome, une succession difficile et des tensions chaque jour plus exacerbées qui y règnent. Dans le sillage de ce personnage qu'on cerne encore mal, tout se remet en marche, tout s'emballe, même.

Et voilà aussi ce qui donne un roman à la tonalité générale très différente du premier volet. Dans "le Corbeau et la Torche", il y avait une rythmique qui pouvait rappeler le récit d'un barde, idée renforcée par la présence, à plusieurs reprises, d'Aearonel. Ce dernier voyage dans les royaumes, relatant moult récits glanés au gré de ses rencontres.

"Le Poignard et la Hache" est nettement plus épique et, surtout, bien plus violent. Oh, de la violence, il y en avait bien dans le premier tome, mais là, on passe à un degré supérieur dans ce domaine. Une violence qu'on retrouve également dans la narration, qui n'a plus rien de la mélopée ou de la chanson de geste qui ouvre le cycle.

C'est nettement plus haché, elliptique, par moments, et surtout, j'ai eu la sensation de traverser une galerie cauchemardesque, comme si je passais la pire des nuits imaginables. Des scènes dont on se demande si elles se déroulent ou si elles sont hallucinées par les personnages (voire, carrément, par le lecteur lui-même).

C'est un de mes aspects préférés du roman, car on est emporté par cette vague de sensations, pas toujours agréables, ce malaise qui grimpe, cette espèce de folie qui semble s'insinuer partout et gagner les uns et les autres à tour de rôle. Cela donne de l'ampleur à ce deuxième tome, mais aussi quelque chose de sombre et d'inquiétant, qui laisse augurer un troisième tome ébouriffant.

Si le bras de fer entre Elin et le clergé est cette fois ouvertement engagé, difficile de voir quelle direction il va prendre. D'autant que la position de Glawol sera sans doute essentielle et que ce garçon est pour le moins insaisissable et imprévisible. Mais, autour de ces intrigues liées au pouvoir, autour de cette lutte acharnée pour un trône (ça me rappelle quelque chose...), bien d'autres questions sont posées.

Ces trames annexes, y compris celles qui plongent leurs racines dans le premier tome et demeurent en stand-by pour le moment, n'ont pas non plus livré leurs verdicts. Chaque personnage est engagé dans des quêtes difficiles et dangereuses, tandis que Elin, si fragile, joue un va-tout guerrier pour conserver une chance de régner et de se défaire de l'étreinte que lui impose le clergé.

Tout cela donne la sensation que la narration a éclaté dans ce deuxième tome, éparpillant tout le monde à travers les six royaumes tandis que l'harmonie qui y règne, à travers l'équilibre établi aux origines, est en passe de virer au chaos. De nouvelles alliances, de nouveaux périls, des créatures étranges et assez effrayantes, ce deuxième tome est riche à plus d'un titre.

Désormais, il paraît impossible de ne pas voir les six royaumes s'embraser. Et ramener le calme risque de s'avérer difficile, à moins d'une victoire militaire éclatante et d'une gouvernance bien moins sereine qu'auparavant. Entre un empereur qui doit enfiler son gant d'acier sur sa poigne de fer et un clergé aux ambitions toujours plus affirmées, le ciel s'assombrit de jour en jour.

Et on attend maintenant un troisième tome qui devrait sérieusement dépoter !

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