dimanche 15 janvier 2012

"La routine ça n'arrive qu'aux autres (...) et fauche les amants qui lui ont ouvert la chambre" (Franck Monnet).

Lorsqu'il y a quelques années, j'ai lu, par hasard la quatrième de couverture d'un roman intitulé "Pirates", je ne me doutais pas que je deviendrai un fidèle lecteur de son auteur, Benjamin Berton. Et pourtant, très vite, je me suis découvert des affinités, et pas seulement parce que nous avons le même âge à quelques mois près, des atomes crochus avec son univers, son cynisme, son mauvais esprit... Alors, après "Pirates", j'ai lu "Foudres de guerre" et "Alain Delon est une star au Japon" avec le même plaisir et les mêmes ricanements de sale gosse. Résultat : quand j'ai vu, l'été dernier, que son nouveau roman sortait, je savais qu'il ferait partie de mes lectures prochaines. Alors, voilà "la chambre à remonter le temps", le Berton nouveau (en grand format chez Gallimard)... Un roman qui, une nouvelle fois, se joue des codes, des genres et du politiquement correct.


Couverture La chambre à remonter le temps


Comme beaucoup de couples travaillant à Paris, Benjamin Berton et sa compagne, Céline, se sont installés en province, mais assez près de Paris, toutefois. Ils vivent depuis quelques années déjà au Mans, ville où travaille la jeune femme, tandis que Benjamin fait l'aller-retour à la capitale chaque jour par le TGV. Une petite vie tranquille, comme en rêvent beaucoup de couples trentenaires.

Mais, sous la pression familiale, amicale et sociale, Céline et Benjamin se décident un jour à devenir... propriétaires. Fini, l'appartement loué près de la gare, direction un quartier périphérique et pavillonnaire. La recherche est longue, nos deux tourtereaux ne veulent pas d'un choix à la légère, mais cherchent la maison de leurs rêves.

Ils vont finir par la trouver rue Ambelain, à 10 minutes à pied de la gare. La maison est grande, comprend un jardin, a été rénovée entièrement il y a peu de temps. L'endroit idéal. Le couple qui vivait là, a choisi de vendre et dé partir dans le sud, après quelques moments difficiles, la perte d'un enfant et la maladie de la femme. Des évènements douloureux, certes, mais pas de quoi refroidir Céline et Benjamin qui emménagent là rapidement.

Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, Céline annonce à Benjamin, le soir même de la signature de l'acte de vente, qu'elle est enceinte... Et voilà nos deux protagonistes parents, d'une charmante petite Ana. Oui, vraiment, ces deux-là ont vraiment tout pour être heureux...

Quoi que... L'arrivée d'Ana change un peu la donne : le rythme de vie s'accélère, les responsabilités augmentent, la fatigue s'accumulent, l'intimité du couple y perd un peu... Et puis, peu à peu va s'installer le pire ennemi du couple : la routine... Les journées s'enchaînent, le schéma est immuable, l'ennui gagne du terrain.

Eloignés de leur famille et de leurs amis, Benjamin et Céline n'ont que leur travail et leurs voisins pour aller prendre l'air à l'extérieur de la bulle familiale. Du coup, la vie de couple s'avère de moins en moins idyllique, Benjamin et Céline deviennent irascibles, les disputes se font plus nombreuses, les désaccords aussi. Au point que, parfois, Benjamin déserte carrément le lit conjugal pour aller passer la nuit dans la pièce qu'il a aménagée en bureau. Cette pièce que les précédents propriétaires avaient surnommée "la chambre du milieu" et qu'ils tenaient en permanence fermée à clef.

Passé le moment de surprise devant ce fait, et la curiosité aidant, Benjamin et Céline n'ont pas poursuivi dans cette voie, réaménageant la pièce et lui redonnant donc une place à part entière. Mais, voilà que Benjamin y ressent de drôles de choses quand il y reste un peu trop longtemps... Un vague malaise et surtout, le sentiment que le temps ne s'y déroule pas tout à fait de la même façon qu'ailleurs.

D'impressions en indices notés ça et là, Benjamin en est persuadé, cette chambre a un pouvoir : celuinde voyager dans le temps. Pourquoi, comment, il n'en a aucune idée, mais il est certain des effets qu'à cette chambre et il entend bien les percer à jour...

Entre sa vie conjugale qui s'étiole, ses sentiments pour Céline qui décroissent, ses recherches pour comprendre comment fonctionne cette mystérieuse chambre, les signes qu'il perçoit, conséquences de ses séjours dans la chambre, Benjamin s'éloigne progressivement de la réalité pour entrer dans une existence fantomatique, celle d'un "ectoplasme", comme il surnomme son alter ego, celui qui prend sa place pendant ses voyages dans le temps.

Une expérience paranormale qui lui fait ressentir de plus en plus péniblement sa vie de couple au point de tout faire pour la détruire, mais sans jamais oser rompre lui-même. De l'adultère à un comportement odieux à la maison, on sent Benjamin prêt à tout pour faire craquer Céline et la pousser elle, à rompre.

L'impasse, le drame semblent inéluctables. A moins que la solution ne se trouve là où tout s'est détraqué : dans la chambre à remonter le temps.

Bien sûr, le titre se réfère directement à l'un des classiques de H.G. Wells, pionnier de la SF, auteur de "la machine à explorer le temps". Mais, fans de SF et de fantastique, soyez prévenus, on est loin, très loin d'une aventure spatio-temporelle. Car, "la chambre a remonter le temps" est une auto-fiction versant plus dans le récit fantasmagorique...

Berton, avec cette irruption dans le monde merveilleux de l'auto-fiction, choisit de parler du couple. Un couple symptomatique de notre époque : trentenaire, bobo, diplômé et cultivé, mais aussi déraciné, auto-suffisant, sans réelles attaches ni amitiés. Seul le voisinage permet de sortir du rail du quotidien qui semble tracé à l'infini.


Ca commence par une fête des voisins, à laquelle Benjamin se rend presque à contre-coeur, mais, au final, une soirée sympa pour prendre contact. Et ça va se prolonger, pour Benjamin, par une amitié virile, au sein d'un groupe de protection du quartier. Le côté milice de quartier ne lui dit rien qui vaille, mais traquer rôdeurs, vandales et tagueurs finit par lui permettre d'échapper à une existence de plus en plus morose et de créer enfin un lien social, loin du TGV-boulot-dodo anonyme qui rythme sa vie. C'est dire si la vie devient pesante, quand son seul plaisir semble être de tourner dans son quartier la nuit, une barre de fer à la main...

Pour le reste, l'ennui empesé de cette vie de trentenaire bourgeois sans histoire finit par faire disjoncter Benjamin. Alors, oui, les autres couples de leur âge que sont amenés à rencontrer les Berton ont des vies plus atroces encore, pleines de malheurs alors que le calme plat règne sur leur propre vie. Mais justement, cette "pétole" a des effets pires encore qu'une bonne grosse tempête qui unirait le couple, le renforcerait dans l'épreuve.

Avec son cynisme et son humour à déconseiller aux amoureux du politiquement correct, Berton flingue le couple et l'auto-fiction pour faire du premier un enfer et de la seconde une longue hallucination. Tout en prenant bien soin de laisser planer un doute (mince, pour un vilain sceptique cynique dans mon genre) quant à la véracité des faits, il nous offre un voyage au bout de l'ennui (pour ses personnages, hein, pas pour le lecteur), l'ennui qui rend fou et distend les liens, les relations familiales et sociales, les sentiments, tout jusqu'aux jours qui passent, qui passent, qui paaaassent...

En satiriste, il met le doigt là où ça fait mal, et met en lumière cet ennui semble-t-il intrinsèquement lié à notre vie contemporaine, où l'aventure ne se trouve même plus au coin de la rue, où l'individualisme a tout rongé, même la famille, le couple, la parentalité...

Le mal du siècle, c'est cet ennui... Alors, pourquoi, à condition d'en maîtriser le fonctionnement, ne pas tous nous aménager une pièce à remonter le temps pour s'échapper de temps en temps ?



Le titre de ce billet est extrait de la chanson "La routine", de Franck Monnet.

2 commentaires:

  1. J'ajoute de ce pas ce livre à ma PAL !! ton article a éveillé ma curiosité livresque ;-)

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  2. Bonne curiosité, alors. N'hésite pas à regarder le reste de sa bibliographie, c'est vraiment un auteur que j'aime beaucoup.

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