Bien sûr, si vous êtes des fidèles de ce blog, vous aurez compris que je me nourris surtout de fictions, d'histoires, avec un h minuscule. Mais l'Histoire avec un H majuscule nous offre aussi des récits et des pistes de réflexion tout à fait passionnants. Alors, lorsque s'est présenté sur Livraddict, la possibilité d'un partenariat avec la collection Histoire des éditions Folio (grand merci d'avoir accepté ma candidature !), je suis allé regardé ça de plus près... Varennes ? Comme la fuite à Varennes ? Mais comment écrire près de 500 pages sur une anecdote assez secondaire de la Révolution ? Voilà ce que je me suis dit en découvrant la quatrième de couverture du livre de Mona Ozouf, "Varennes, la mort de la royauté". Mais, à y regarder de plus près, Mme Ozouf, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de cette période historique si particulière, propose une vision différente de cet évènement. Et ça, ça m'intéressait. Alors, j'ai dit : "banco" et me voilà lancé dans ce partenariat.
Alors, pour les cancres, les matheux ou les amnésiques, nous sommes le 21 juin 1791. Alors que l'Assemblée Constituante peine à accoucher d'un texte définitif, Louis XVI, Marie-Antoinette, leurs enfants et quelques autres proches, dont le fameux Fersen, quittent nuitamment les Tuileries, en route vers l'est du Royaume. Même si la famille royale n'est pas officiellement prisonnière du château parisien, force est de constater que leur situation ressemble fort à une assignation à domicile. C'est donc sans l'assentiment du peuple et de ses représentants que le Roi a pris la route.
Un voyage clandestin qui va s'achever à Varennes, aujourd'hui Varennes-en-Argonne, dans le département de la Meuse. Le convoi royal y est arrêté après que le roi eut été reconnu par le citoyen Drouet lors d'un contrôle à Sainte-Menehould (prononcez "menou"), qui avait vu le royal visage sur un assignat.
Mais où se rendait donc l'équipée royale en ce début d'été ? Louis XVI n'en démordra jamais : l'objectif, c'était la forteresse de Montmédy, où il souhaitait passer quelques jours afin d'y prendre du recul et de mieux embrasser la situation complexe de son royaume. Mais beaucoup vont voir dans ce périple une tentative de fuite vers l'étranger, avec l'idée de fédérer l'aristocratie française qui a émigré en nombre et les monarchies voisines, afin de constituer une armée pour renverser la Révolution et rétablir l'ancien régime...
Voilà comment ce départ avorté, dont on ne saura jamais vraiment à quoi il aurait mené ses protagonistes mais aussi tout le royaume, devient, pour Mona Ozouf, un évènement charnière de cette période troublée, l'acte qui va relancer une révolution qu'on pouvait penser terminer et, par conséquent, aboutir, quelques mois plus tard, au renversement de Louis XVI, son procès, son exécution et l'avènement d'un nouveau régime, en lieu et place de la monarchie.
Mona Ozouf ne s'attarde pas sur les faits eux-mêmes, aujourd'hui bien connus et sur lesquels il y a peu de débat. Mais ce qui l'intéresse, c'est d'expliquer les causes et surtout les conséquences, à différents niveaux, de ce qu'on ne va pas tout de suite qualifier de fuite, même si ce mot est dans toutes les têtes.
Avec un élément fondamental qu'il faut avoir en mémoire : en ce milieu d'année 1791, les idées républicaines sont plus que minoritaires. Même les plus radicales des figures emblématiques de la Révolution, Marat, Robespierre, Danton, restent favorables au maintien de la monarchie, mais une monarchie constitutionnelle, et non plus de droit divin, où l'égalité des citoyens doit remplacer les privilèges et le mérite, l'hérédité.
Mais, une fois Louis XVI ramené de Varennes presque comme un prisonnier de droit commun, la situation va changer sensiblement. D'abord sur un plan juridique : jusque-là, le Roi est inattaquable, tant dans sa fonction que dans sa personne. Or, après Varennes, son infaillibilité, à titre personnel, est remise en cause. Doit-on alors dissocier le statut et la personne du Roi ? Voilà qui ouvrirait de nouvelles considérations quant à l'incarnation du pouvoir exécutif (déjà dissocié du pouvoir législatif par la Révolution).
Certes, les explications sur les débats constitutionnels tiennent à la fois du droit, de la philosophie, de la politique et peuvent paraître fastidieux, mais Mona Ozouf anime devant nous l'effervescence de cette époque mouvementée où la classe politique naissante ne cesse de se diviser (au lieu de s'assembler, si on peut dire), où les leaders, de "droite" et de "gauche", les modérés comme les radicaux, essayent de mettre en place un nouveau système de gouvernance, non sur des ruines d'un système mis à bas, mais sur une structure préexistante qu'on essaye de ravaler de fond en combles.
Avec un phénomène nouveau que l'on voit se développer au cours de ces évènements, ce que l'on appellerait aujourd'hui, l'avènement d'une ère d'hyper-communication : le rôle de la presse est en pleine expansion (une presse d'opposition très... vindicative), tout un jeu de correspondances, parfois destinées à rester secrètes, mais où s'échangent idées, projets, questionnement, ambitions, craintes... Enfin, les différents partis de la Constituante reposent sur des réseaux au maillage de plus en plus serrés, capables de relayer très rapidement idées, opinions, informations, et de faire circuler dans tout le pays les positions des différents courants révolutionnaire afin de fédérer le plus grand nombre de citoyens possibles autour de ces idées.
Le pays est en pleine métamorphose et Louis XVI, sur lequel on a colporté beaucoup d'idées fausses, est tout sauf un monarque à poigne (le seul, depuis longtemps, qui ne prendra jamais la tête de son armée au cours de son règne...) va, par ses atermoiements et la position inconfortable dans laquelle on l'a mis mais qu'il n'a pas su refuser, contribuer à la confusion générale. Et sa "fuite" (je laisse des guillemets, mais c'est bien le terme consacré) va encore un peu plus brouiller les cartes, fragilisant une monarchie bousculée.
Et comme les temps sont incertains, c'est la peur qui domine partout (et, à ce moment encore, une certaine paranoïa...) : la famille royale a peur d'être sacrifiée, l'aristocratie a peur de l'instauration d'un nouveau régime, mais aussi du peuple, les constituants redoutent la réaction des émigrés et l'intervention des pays voisins pour rétablir l'ordre... Et la peur fait bouger les positions des uns et des autres, comme des plaques tectoniques, ce qui, forcément, provoque des séismes.
En filant à l'anglaise, ou presque, Louis XVI et sa famille vont redistribuer complètement les cartes politiques et focaliser sur eux les inimitiés et les méfiances, y compris dans leur propre camp (Provence et Artois, les deux frères de Louis XVI, terriblement ambitieux, se verraient bien succéder à Louis XVI, victimes expiatoire des colères de la plèbe ; l'aristocratie émigrante jugeant majoritairement que c'est la faiblesse et l'incompétence du roi, sans parler de ce qu'ils pensent de la reine, qui ont conduit le pays à cette situation désastreuse...).
Alors, évidemment, "Varennes" ne se lit pas comme un thriller, il demande du temps, de la concentration, l'approfondissement des connaissances, la consultations de nombreuses notes. Mais on y découvre des personnages loin des idées reçues, des images d'Epinal que véhicule l'imaginaire collectif. On y découvre l'imbroglio politique qui essaye de marier les philosophies des lumières et la gouvernance, dans une volonté d'oeuvrer pour le bien commun, à des années-lumière de la folie qui s'emparera du pays sous la Terreur.
C'est un travail remarquable, qui repose sur une bibliographie extrêmement abondante et qui va bien au-delà de la simple semaine de vadrouille de la famille royale. Mona Ozouf réussit à nous montrer que ces quelques jours, si souvent considérés comme anecdotiques, ont eu, non seulement, comme conséquence directe de relancer une révolution que beaucoup, même parmi ses instigateurs, considérait comme terminée, mais aussi, qu'elle est devenue une véritable hantise dans notre histoire politique (Louis XVIII, Charles X et Louis-Philippe fuiront leur trône, parfois plus pitoyablement encore et même le général de Gaulle aura droit à la comparaison avec Varennes, lors de son escapade à Baden-Baden...).
On regarde différemment la période révolutionnaire après cette lecture, où l'auteur ne fait de concession à personne. On réalise que le projet révolutionnaire, dans sa dimension institutionnelle, était une mission quasi impossible et que, finalement, dans cette quête d'idéal, la monarchie, et surtout le roi, vont devenir des obstacles à abattre pour pouvoir les franchir. Avec Varennes, et même s'il n'y avait derrière ce projet sans doute irréfléchi, mal réalisé et révélateur (aux yeux du roi, d'abord, mais à nos yeux de lecteurs aussi, par la même occasion) de la désunion totale qui régnait dans le royaume, au-delà des limites d'un Paris pas du tout représentatif, Louis XVI a donné l'argument manquant et décisif à ceux qui, un an et demi plus tard, l'enverront à l'échafaud.
Après Varennes, ce sont les prémices de la Terreur que l'on voit poindre et l'on commence à comprendre comment, de ce maelström, la France va basculer dans la folie, dès les semaines qui suivent l'affaire de Varennes... Une confiance rompue entre un souverain et son peuple, un peuple qui prend son autonomie, une nouvelle classe politique qui se déchire pour imposer ses conceptions...
Alors, finalement, je comprends mieux ce qui justifiait la rédaction de 500 pages autour de ce "micro-évènement". Et je ne regrette pas une seconde de m'y être plongé. J'ai même envie de retrouver très rapidement cette période historique, sous quelque forme que ce soit, car elle est à la fois fondamentale dans notre Histoire (indépendamment des idées de chacun), dramatique et particulièrement romanesque.
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