lundi 27 février 2012

"Nous tissons notre destin, nous le tirons de nous comme l'araignée sa toile" (François Mauriac).

Après avoir envisagé des jeux de mots peu glorieux autour de l'araignée, de sa toile et de tout ce qui tourne autour, je me suis rabattu sur une citation qui me plaît bien, tant le livre dont nous allons parler... la dément. Certes, chacun tisse son destin, mais les actes que nous commettons entraînent forcément d'autres êtres dans leur sillage. Finissons-en avec la philosophie, place au roman, au roman de la plus noire des encres... Un livre dont j'entends parler depuis longtemps, un auteur que je ne connaissais pas encore et que j'ai envie de mieux connaître désormais, voilà comment je me suis retrouvé avec, entre les mains, "Mygale", de Thierry Jonquet (en poche chez Folio Policier).


Couverture Mygale


Richard Lafargue vit dans un hôtel particulier du Vésinet. Seul ? Non, pas vraiment. Dans la même demeure, habite Eve. On ne sait pas grand chose de ces deux-là, initialement, mais on voit ce curieux couple se rendre ensemble dans des soirées mondaines tout en entretenant une relation des plus bizarres. Perverse, même.

En fait, je me demande même quoi vous dire d'autre sur Richard et Eve, tant chaque mot risque d'en dévoiler trop sur la mécanique implacable de ce roman qui en angoisse plus d'un depuis près de 30 ans maintenant (la première version date de 1984, version revisitée par l'auteur en 1995 ; c'est d'ailleurs cette seconde mouture que j'ai lue)...

Que dire, alors ? Que l'on découvre par petites touches successives ce qui unit ces deux-là, une relation où la haine et l'amour semblent s'émulsionner, comme le vinaigre et l'huile d'une vinaigrette : aucun des deux ne parvient à complètement effacer l'autre.

Mais le pointillisme de Jonquet n'est ni tendre, ni pastel comme certains tableaux de ce courant. Il est violent,  physiquement mais plus encore psychologiquement. Oui, le mot torture, qui revient à plusieurs reprises, n'est pas galvaudé, on est bien dans ce type de relation. Et pas seulement dans la relation entre Richard et Eve.

Car lorsque d'autres personnages (dont je ne vous dirai rien, RIEN !!!) viennent mettre leur grain de sel, ou plutôt de sable, dans le récit, la vie presque plan-plan des eux personnages centraux de ce livre est proche de voler en éclat et les secrets les plus inavouables commencent à revenir à la surface.

Tous se retrouvent prisonniers malgré eux dans une inextricable toile d'araignée, la métaphore est parfaite : englués dans leur vie aussi bien que par leurs actes, ils se débattent en attendant que l'araignée les choisissent comme proie et les mette au menu de son prochain repas...

Mygale, c'est le nom de cette "araignée". En tout cas, ainsi qu'est surnommé celui qui semble mener ce jeu sordide. Mais tout animal a des prédateurs, même la mygale...

Comme tous les personnages de "Mygale", le lecteur est désorienté dans cette lecture : Jonquet brouille nos repères, de lieu, de temps, d'espace, alterne les narrateurs et multiplie les points d'interrogation. Mais lorsque le puzzle s'assemble, l'horreur des évènements saute aux yeux.

L'angoisse, l'oppression ressenties depuis la première page de ce court roman d'à peine 150 pages vont crescendo jusqu'au dénouement (un peu attendu, c'est vrai, sans pour autant perdre de sa force). Mais on est alors frappé par l'ambiguïté des sentiments des personnages. Parfois même leur aspect paradoxal. La noirceur de l'âme, la folie et la douleur cimentent cette histoire éprouvante, même pour le simple spectateur qu'est le lecteur.

Tout est sens dessus dessous, brutalement, les remords comme la culpabilité ne sont pas forcément là où on les attend, les gestes et les réactions surprennent eux aussi et il ne faut pas forcément chercher une morale à cette douloureuse histoire, car toutes les valeurs sont rendues floues par la folie. Et, si punitions il y a, elles sont finalement tout aussi déroutantes et perverses que les actes initiaux.

Ce ne sont pas les seules limites, les seules normes que ce roman balaye. Mais les autres transgressions qui font de ce livre un grand roman noir, vous devrez mes découvrir vous-même... Cependant, je comprends mieux, après cette lecture, ce qui a poussé Pedro Almodovar à adapter ce roman sur grand écran : on y retrouve un certain nombre des obsessions et des thématiques récurrentes du réalisateur espagnol.

Quand au destin que nous tissons tous, pour revenir à la phrase de Mauriac, les personnages de "Mygale" tisse probablement chacun leur destin, mais imperceptiblement, ils fabriquent la toile dans laquelle ils vont tous s'engluer pour de bon.

Inutile d'espérer s'évader de ce piège diabolique une fois qu'on y est captifs. Et pas la peine d'attendre qu'un prédateur vienne mettre un terme rapidement à cette souffrance... Tous sont finalement des prédateurs qui se  dévorent eux-mêmes et, pour ceux qui n'ont pas le soulagement de rester sur le carreau, la pire torture qu'ils reçoivent, ils se l'infligent et se l'infligeront encore longtemps eux-mêmes...

En cela, un destin, même abominable, sort bien de nous, oui, Mauriac avait peut-être bien raison, finalement...


Pour l'ambiance musicale du livre, écoutez cette chanson et cette voix éternelles.

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