mercredi 15 février 2012

Le larbin des dieux déchus.

Zone Franche, eh oui, encore, mais non pas avec de la SF, cette fois, mais du fantastique. Une nouvelle fois, il s'agissait de lire un auteur avant de le retrouver pour une table ronde à Bagneux. Mais ce fut aussi une excellente occasion pour découvrir une maison d'éditions. En plus, l'idée du livre me semblait assez amusante, ce qui ne gâche rien. Je me suis donc lancé sans crainte dans la lecture du roman de Franck Ferric, "les tangences divines", publié aux éditions du Riez, une jeune maison basée en Bretagne.




Théodule est égoutier, à Paris. Pas franchement la gloire, mais un boulot bien pépère. Son épouse, qui travaille dans la pub, sans compter ses heures et mue par une grande ambition, le considère avec un certain dédain, une déception de le voir étranger à cette pression sociale actuelle qui veut que tout soit brillant.

Mais Théodule, tout ça, il s'en moque. On ne va pas dire qu'il aime ce boulot d'égoutier, parce que aimer avoir les deux pieds dans une gadoue puante et gluante, ça semble compliqué. En revanche, il se satisfait sans problème de cette vie en grande partie souterraine et il assure dans son activité.

Mais cette existence bien tranquille va connaître un tournant, si j'ose dire, quand, au coin d'un des égouts qu'il est chargé d'entretenir, Théodule va tomber nez à nez avec un être qu'il aurait mieux fait de ne jamais apercevoir... Face à lui, une espèce de vieillard aussi clochard qu'alcoolique... La peur est telle que Théodule s'en retrouve allongé dans les boues nauséabondes.

Hallucination ou mauvaise rencontre (dans un lieu où, rappelons-le, on n'a pas le droit de se promener sans autorisation...) ?

Placé en arrêt de travail, Théodule ne va pourtant pas longtemps rester à glander dans le canapé devant la télé. Ce curieux bonhomme l'obsède, il veut savoir s'il a rêvé ou non et, dans ce cas, qui est l'étrange gnome qui lui a causé une telle frayeur ? Il n'est pas au bout de ses surprises... Car, quand il remet la main sur le clodo (en fait, ce serait plutôt l'inverse...), celui-ci lui explique qu'il s'appelle Silène (rien à voir avec l'auteur du livre précédemment chroniqué sur ce blog... Enfin, je ne crois pas...) et qu'il est un dieu du panthéon grec. Certes, il a connu des jours meilleurs, au point de devoir errer dans les égouts de Paris, ses camarades de l'Olympe aussi ont eu quelques revers de fortune, mais sinon, ils possèdent encore quelques pouvoirs bien utiles pour se sortir des mauvaises situations qu'on rencontre ici-bas.

Théodule rimant avec incrédule, il a bien du mal à gober les explications du nabot quand la preuve de ses dires lui est donné par quelqu'un que l'égoutier croyait pourtant au dessus de tout soupçon : son collègue Montaigu, un colosse à la peau noir, grand amateur de blues, égoutier de grande valeur, bref, ce qui se rapproche le plus d'un ami pour Théodule. Lui aussi est un dieu déchu, du genre homme de main qui rigole moyennement...

Et ces deux énergumènes qui semblent s'entendre comme chien et chat sont bien décidés à enrôler Théodule afin de lui confier une mission délicate, voire dangereuse : retrouver Pan, qui, profitant des fameuses tangences divines, ces lieux où se rejoignent et s'intersectent les zones d'influences des différents panthéons, a pris... la tangente, justement.

Et voilà notre égoutier propulsé (le mot n'est pas trop fort, croyez-moi) dans des sphères bien éloignées de ses égouts chéris, quoi que, parfois tout aussi glauques... Seul humain au milieu de dieux colériques, vindicatifs, ou carrément cinglés, qui tous ont l'air d'avoir des raisons de mettre la main sur ce sacré Pan, Théodule va en voir de toutes les couleurs.

Et, à force de s'entendre dire qu'il a un destin, que lui aussi, peut-être, pourrait avoir des origines divines, il va finir par se prendre au jeu. Comme si retrouver Pan allait lui permettre de mieux accepter les aventures rocambolesques et de plus en plus incroyables (fantastiques, disons-le) qu'il traverse soudainement, au point d'y laisser sa vie modeste et plan-plan, son mariage en pleine déréliction et son métier d'égoutier, jusque-là son unique horizon...

Mais, c'est surtout une question d'orgueil : parvenir au but, et donc retrouver Pan, en grillant la politesse à toutes ces divinités décadentes et prêtes à en découdre finalement pour pas grand chose, voilà qui serait un succès... divin, pour l'égoutier...

Avec, à terme, l'acceptation de cette réalité troublante : les dieux sont bel et bien descendus parmi nous...

Décidément, après Neil Gaiman et ses "American Gods" ou encore le "Vegas Mytho" de Christophe Lambert (prochainement en poche), les romanciers de l'imaginaire ont vraiment envie de rabaisser les dieux jusqu'à l'humaine condition, pour voir comment prend la greffe... Franck Ferric aussi choisit de tourner ces "braves" dieux en ridicule, s'accrochant désespérément à leurs derniers attributs divins, acceptant aussi mal leur déchéance que Théodule leur existence à notre bas niveau...

Le passage en revue des différents panthéons est réussi et bien amené, nous permettant de croiser des dieux grecs, nordiques, égyptiens, celtes, vaudou et même le dollar, devenu une divinité en ces temps incertains... Tous ont bien du mal à conserver un semblant d'autorité transcendante sur ces incorrigibles et insupportables humains qui ne croient guère plus en eux.

Par ambition, par vengeance, ils sont prêts à semer une pagailles de tous les dieux sur une terre qui n'a pas besoin de ça., car les nouvelles idoles auxquelles l'Homme s'est voué ne lui ont pas vraiment montré la voie de la sagesse.

Courses-poursuites, batailles rangées, baston générale entre dieux, Théodule, lancé dans ce paysage comme la boule d'un flipper, va, par sa persévérance, reprendre les rênes de son existence. Et, laissant ses divins acolytes régler leurs divins problèmes en familles, il va réussir là où ils échouent depuis des temps immémoriaux : retrouver Pan. Un Pan bien changé par rapport à l'image d'Epinal que l'on a de lui : un satyre hirsute et ricanant au corps plus proche du bouc que de l'homme, à l'énergie sexuelle débordante et à l'influence néfaste sur le commun des mortels (le panique, c'est lui !!).

Mais le Pan que nous donne à découvrir Franck Ferric est un Pan bien différent : le voilà devenu le plus humain des dieux, le seul qui a accepté son sort, pris son parti de sa déchéance et qui s'est rapproché de ses nouveaux frères humains pour, d'une façon très originale, leur parler de la vie, de son sens, et surtout, de sa finitude (oui, c'est un vrai mot, pas un néologisme de politicien en campagne !).

Théodule, désabusé dans sa vie quotidienne, désarmé devant la vendetta menée par Silène et Orcus (alias Montaigu), perplexe devant le tour que prend sa vie depuis ses divines rencontres, révolté par la médiocrité générale de ceux qui devraient friser la perfection, si ce n'est l'incarner, va, après s'être émanciper de ses "maîtres", trouver enfin une forme d'épanouissement ou plutôt d'accomplissement auprès de Pan. Une meilleure perception de ce qu'il est humain à 100%.

A l'image d'une fable, "les tangences divines" commence par un développement très drôle, plein de trouvailles et de fantaisie. Ces divinités parfois fofolles mais toujours désorientées, en permanence prêtes à se faire des crasses ou à manigancer un mauvais coup, sont très bien mises en scènes. Mais, toujours comme une fable, après les rebondissements, c'est une véritable morale que nous propose finalement Ferric. Une morale qui s'impose aussi bien aux personnages du romans, dieux comme humains (et dieux surtout, en fait), qu'aux lecteurs (qui, a priori, ne sont qu'humains, même si, après cette lecture, on ne peut jurer de rien).

Le tout, sous la houlette de Pan, dieu protecteurs des bergers et des troupeaux... Une métaphore qui ne déplairait sans doute pas aux Uniques, le nom péjoratif que les dieux les plus anciens ont donné aux monothéismes terrestres.

Mais il s'agit aussi d'une fin plus sombre, que j'ai trouvée plutôt pessimiste. Cependant, à la réflexion, cette fin, très surprenante eu égard au véritable cirque qui la précède, n'est peut-être, après tout, que l'expression d'un réalisme brut. Avec une certitude, en tout cas, celle que nous ne sommes que des humains, mais que c'est très bien ainsi !

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