Peakwood, Montana, son calme, sa nature, sa douceur de vivre... Même si la petite ville se trouve sur le passage des tornades et voit quelquefois en hiver, s'abattre de violents blizzards, dans l'ensemble, il y fait bon vivre. Tout le monde connaît tout le monde, il y a des atomes crochus et quelques mésententes, mais rien de bien sérieux.
Une seule chose reste durablement gravée dans les mémoires des habitants de Peakwood : un accident de car, qui s'est produit une dizaine d'années plus tôt, coûtant la vie à deux petites filles, dont celle du médecin de la ville, Chayton Littlefeather, et laissant l'institutrice Jenny Swansson dans un fauteuil roulant, après l'amputation de ses deux jambes...
Une plaque posée dans un des parcs de Peakwood commémore le drame, mais on sent bien que le sujet, s'il n'est jamais très loin, n'est pas abordé aisément dans les conversations. On n'oublie rien, mais on essaye tout de même de laisser ces questions douloureuses de côté... On se dit même que le bilan aurait pu être bien pire...
Andy ne conduit plus le bus, il a changé de voie après l'accident et tient une station service en essayant d'écrire le roman qui le rendra célèbre. Jenny Swansson est plongé dans une profonde dépression dont elle peine à sortir et ne donne plus que quelques cours particuliers à des élèves qu'elle reçoit chez elle. Son manque d'autonomie la mine...
Chayton Littlefeather se consacre plus que jamais à son travail, jamais vraiment remis de la mort de sa fille puis du départ de son épouse... Et puis, il y a tout ceux, en particulier au lycée de Peakwood, qui grandissent sans avoir tous ces soucis en tête, faisant face à des problèmes d'adolescents, mais vivant dans une certaine insouciance.
Il y a Nora, la pom-pom girl, et son frère, Peter, enfants d'une famille idéale ; Tom, le surdoué, timide et réservé, vit avec sa mère, serveuse dans un restaurant de la ville et qui boit trop, depuis le départ du père de Tom ; Kevin, la brute du coin, est le fils du chef des pompiers et leader de l'équipe de football de l'école, les jumeaux Griffin, fils de Deborah, caissière à la supérette locale, deux beaux bébés promis à une obésité précoce...
Tout ce petit monde vit sous les yeux du lecteur, jusqu'à ce que commencent à se produire d'étranges événements... Peakwood, peu habituée au qu'en-dira-t-on et aux rumeurs, se met à bruisser, et de plus en plus fort... Dans le même temps, certaines personnes se retrouvent avec des hématomes et même des blessures bien plus marquées, alors qu'ils n'ont pas subi de coups ou de chocs...
Mais que se passe-t-il donc à Peakwood, ville sans histoire ? Alors qu'elle attend un blizzard qu'on annonce d'une puissance exceptionnelle dans les prochains jours, la bourgade du Montana voit le calme se fissurer, sa population se diviser comme jamais et la tension monter, monter, sans que personne ne comprenne vraiment pourquoi...
Enfin, personne, pas tout à fait... Certains ont rapidement compris ce que signifiaient ces événements. Et ce n'est pas de nature à les rassurer. Car, c'est le signe que quelqu'un a rompu une alliance qui devait être scellée à jamais, sous peine de voir ces calamités se produire. La solution pour enrayer cette catastrophe, ils la connaissent, sauf qu'elle n'est pas à porter de main, alors qu'il y a urgence...
Comme souvent, au moment d'écrire ce billet, se pose la question de ce qu'on peut dire et de ce qu'il vaut mieux garder dans l'ombre... Un équilibre toujours délicat à trouver. Pour une fois, mon choix est drastique et en dit beaucoup moins que le résumé sur le site de l'éditeur. En tout cas, pour le moment, mais on va évidemment creuser un peu dans les lignes qui viennent.
Un des éléments forts, c'est le personnage du médecin, Chayton Littlefeather. Fils d'un chaman d'une communauté amérindienne vivant près de Peakwood, il a tourné le dos aux siens à la mort de sa fille. Refusant de prendre la succession de son père, il a été encore plus loin en devenant le médecin de la ville, rejetant les connaissances traditionnelles dont il aurait dû hériter.
La perte de sa fille a fait basculer sa vie et ce choix de renoncer à ses racines et au destin tout tracé qui aurait pu être le sien en est la conséquence directe. Mais, ce n'est pas tout, Chayton ne peut complètement oublier le secret qui le lie à d'autres membres de la communauté, un lourd secret, dans lequel il a une responsabilité énorme.
Lorsque Peakwood se retrouve chamboulée par les étranges phénomènes, il est le premier à comprendre que l'heure de payer l'addition est venue. Reste à savoir comment il va réagir, face à cela. Et peut-être, à revenir sur les choix de vie qu'il a faits jusque-là... Il n'aura pas vraiment le temps de tergiverser, sous peine de voir s'installer le chaos.
Pour les autres personnages, leurs rôles respectifs se définissent au fur et à mesure des pages. Car la population de Peakwood va vivre ces événements de manière très variées : les victimes, les acteurs, les perturbateurs et les témoins, pour résumer très grossièrement. Et chaque catégorie qui interfère avec les autres, d'une manière bien précise.
Ce qui est intéressant, c'est que Rod Marty, avec ces différents profils, nous tend quelques pièges, nous guident vers quelques fausses pistes. Et, en particulier, sur le jeu entre chasseurs et proies, puisqu'il ne se produit pas franchement ce à quoi on pourrait s'attendre initialement, lorsque les premières blessures apparaissent.
Mais, il y a un point commun entre tous, car c'est l'une des thématiques qui sous-tend le livre dans son ensemble, c'est la question de la famille, des relations entre parents et enfants. On en découvre une gamme très large, des familles sans histoire à celle qui ont connu des séparations ou d'autres où l'harmonie ne règne pas, allant jusqu'à la violence, parfois.
Il ne s'agit pas d'un artifice de narration ou d'une question de liant dans l'histoire, non, ces relations sont le moteur du roman, et la façon dont Rod Marty utilise le non-dit, le thème ultra-rebattu du secret de famille qui plombe tout, est ici très intéressante. Les corps sont maltraités dans le livre, mais la famille est un corps social et elle aussi connaît la flétrissure, la pourriture. Mais comment guérir cela ?
Ne soyez pas surpris, "Les enfants de Peakwood" commence tout doucement. Il ne se passe rien, en tout cas, rien d'exceptionnel, simplement la vie de cette petite ville. Et puis, un premier incident, dans une scène très réussie, parce qu'elle est assez inattendue, que c'est une brutale irruption de violence dans ce calme olympien et qu'on ne comprend pas bien ce qui se passe...
Ensuite, ce sont des petites touches qui viennent faire monter la tension, puis, le mystère enfle, en particulier avec ces blessures si particulières que personne ne prend vraiment au sérieux, pas même ceux qui en sont atteints. Mais la machine est lancée, elle va ensuite s'emballer, avec la multiplication des situations chaudes, la réaction des différents personnages, en particulier ceux qui sont visés, et même, la météo.
On retrouve des éléments assez classiques du genre, je le disais en préambule, et, jusqu'à la météo, on ne peut s'empêcher de voir l'influence de Stephen King sur Rod Marty (ainsi que celle, peut-être, de Dean R. Koontz). On est dans le Montana, pas dans le Maine, mais on retrouve cette inspiration évidemment dans le contexte, les situations et même la montée du suspense.
Mais, Rod Marty propose tout de même une histoire assez originale, d'abord parce qu'elle met en présence des vivants, des morts-vivants et... des vivants-morts, si je puis m'exprimer ainsi. Je ne vais pas développer trop cet aspect, vous vous en doutez, peut-être en ai-je déjà dit trop, mais ce qui est passionnant, c'est ce jeu avec cet archétype horrifique.
En faisant se rencontrer des éléments qu'on connaît indépendamment les uns des autres, Rod Marty nous offre une histoire riche en rebondissements qui tient franchement bien la route jusqu'au bout. Avec un dénouement formidable, très bien mené, à une petite exception. Oui, un seul bémol, l'identité de "la source" (non, ne me demandez pas ce que c'est) qu'on devine un peu trop aisément...
La vraie réussite, c'est de distiller tranquillement, au compte-gouttes, les éléments que l'on devine, certes, mais qui ne sont pas explicitement évoqués dès le départ. Oui, même si je ne l'ai pas dit ici, on comprend assez vite ce qui s'est passé. Mais, pour savoir pourquoi ces événements passés entraînent à ce moment-là cette série de problèmes de plus en plus carabinés, là, il faut avancer dans le récit.
"Les enfants de Peakwood" est une vraie bonne surprise, avec pas mal de petits défauts mais aussi plein de bonnes idées. La limite entre les gentils et les méchants est bien brouillée, et c'est plaisant de voir évoluer ces personnages en fonction de ce qui leur tombe sur le nez. De les voir projetés dans un camp ou dans un autre malgré eux.
Si je voulais encore chipoter, je dirais que ce livre souffre d'un travers qu'on trouve dans pas mal de premiers romans : l'envie de mettre un maximum d'éléments dedans, quitte à surcharger un peu, à risquer de transformer une recette savoureuse en gloubiboulga. Ici, je dirais que Rod Marty flirte avec ce trop-plein et réussit à ne pas y basculer, ouf !
Reste, pour en finir, un bon divertissement, un agréable moment de lecture qui devrait en appeler d'autres. Avec l'expérience, Rod Marty va poursuivre son apprentissage, compléter son bagage, affiner sa griffe et, espérons-le, conserver son imaginaire assez sombre et original pour transformer l'essai et nous offrir bientôt de nouvelles histoires encore mieux ciselées.
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