Dans le sport actuel, le terme de porteur d'eau désigne des coéquipiers chargés des tâches ingrates ou des joueurs remplaçants qui occupent un rôle subalterne au sein de leur équipe. Le meilleur exemple, ce sont ces coureurs cyclistes qui redescendent à l'arrière du peloton pour venir récupérer du ravitaillement auprès de la voiture de leur équipe pour l'apporter ensuite à leur leader.
Mais, Spiridon Louis, lui, c'était son métier, d'être porteur d'eau. Dès l'enfance, il accompagnait son père entre Maroussi et la capitale grecques, Athènes. Celui-ci remplissait chaque semaine deux grandes jarres d'eau de source et allait les vendre aux Athéniens. Pour cela, il avait une mule et une modeste charrette.
Voilà comment, dès son plus jeune âge, Spiridon Louis s'est initié à la course à pied, comme Monsieur Jourdain à la prose. Pour autant, rien ne prédestinait ce garçon discret à devenir l'une des figures les plus marquantes des premiers Jeux Olympiques de l'ère moderne, qui allaient se tenir dans son pays.
Car, c'est sans l'avoir sollicité, sans vraiment le vouloir, ni même le faire exprès et sans attendre aucune gloire de cet exploit que Spiridon Louis va devenir le premier champion olympique du marathon. Une course inventée pour célébrer la restauration des Jeux et qui en devint aussitôt le point d'orgue, par sa dimension physique exceptionnelle.
A travers la vie de Spiridon Louis, fort modeste, surtout comparée à ce que l'existence de certains champions olympiques actuels peut devenir, Philippe Jaenada revient sur la renaissance des Jeux Olympiques et cette édition athénienne de 1896, qui, là encore, n'a plus grand-chose à voir avec ce qu'est devenue cette manifestation, entre volonté d'universalité et barnum dispendieux.
Mais c'est aussi une bonne façon de remonter la lignée dans laquelle Spiridon Louis s'est inscrit en remportant sa course, celle des champions antiques qui en décousirent (merci, ami Bescherelle !) il y a bien longtemps, sur le site d'Olympie, dont les vestiges ont depuis été retrouvés. Lorsqu'on s'affrontait nu et enduit d'huile d'olive, avouez que ça fait rêver !
Des exploits de Corèbe d'Elis, le véritable premier champion olympique, en 776 avant Jésus-Christ (autre admirable champion dans son genre) à ceux de l'incontournable Milon de Crotone, dont les performances sont aujourd'hui sujettes à caution, les Jeux Olympiques ont eu leur lot de stars dès l'Antiquité.
Et on se rend compte également que, peu importe l'époque, les systèmes de pensées, les idéologies en vigueur, les mêmes causes produisent les mêmes effets pervers : les JO n'ont donc pas attendu leur version moderne pour susciter la controverse, entraîner des tricheries, provoquer la corruption des athlètes, etc. Avant même de renaître, l'esprit olympique avait eu du plomb dans l'aile...
"Spiridon Superstar" est un court roman qui se lit en une après-midi, surtout en cette période estivale où l'on profite de quelques semaines de vacances. Moyen format, larges interlignes, ce roman, comme d'ailleurs tous les autres livres publiés dans cette collection Incipit, on d'abord pour but de divertir, tout en vous permettant de découvrir de grandes premières.
Car oui, c'est bien cela, l'objet d'Incipit : les premières. Les JO, donc, le Festival de Cannes (Gonzague Saint Bris), les congés payés (Nicolas Rey), l'invention du bikini (Eliette Abécassis), l'entrée de Marguerite Yourcenar à l'Académie Française (François Bégaudeau) ou l'apparition du sida (Philippe Besson), pour n'évoquer que les sujets des titres déjà parus, à chaque sujet, un romancier qui met son style au service de l'événement.
La collection devrait s'enrichir de nouveaux titres à l'automne, en respectant toujours cet équilibre entre sujets des plus futiles et d'autres, d'une portée bien plus grande, et ainsi de suite, régulièrement, à raison de deux ou trois titres à chaque livraison. Il devrait y en avoir pour tous les goûts, pour tous les lecteurs.
Mais intéressons-nous au cas de Philippe Jaenada, qui a donc opté pour les Jeux Olympiques. Et pour le cas particulier de Spiridon Louis. Quand je dit que chaque romancier met son style au service de la collection, c'est typiquement le cas ici. Pour qui a lu "Sulak" ou "la Petite femelle", ses derniers romans, on retrouve ici tout ce qui fait qu'on adore (ou qu'on déteste) cet auteur.
Avec une nuance de taille : si les deux titres que je viens d'évoquer s'intéressent à des sujets dramatiques, imposant une certaine réserve (toute relative, il est vrai), cette barrière tombe avec le combo Jeux Olympiques-Spiridon Louis. Philippe Jaenada peut se lâcher sans se refréner. Et tant pis pour ceux qui n'apprécient pas son art consommé de la digression, par exemple.
Dans "Spiridon Superstar", Philippe Jaenada (qui doit discrètement lire les critiques et billets de blog fleurissant à propos de ses livres (ceux qui l'encensent et ceux qui lui reprochent un style recourant un peu trop à la digression (une facette de son travail qui passe par l'emploi abondant de parenthèses))), salue à sa manière les lecteurs que sa manière d'écrire dérange.
Et il le fait avec panache et flamboyance, après une magnifique tirade enchaînant les coq-à-l'âne et les sujets en escalier, les digressions et les phrases entre parenthèses, entre parenthèses, entre parenthèses, etc. Avec, en guise de conclusion, cette phrase d'une lucidité à toute épreuve, et teintée, je pense, d'une certaine ironie : "Les digressions, ça va bien deux minutes !"
Je ne m'en cache pas, je suis plutôt client du style Jaenada, de son humour potache pas toujours du genre léger, léger. Je me suis énormément amusé à lire "Spiridon Superstar", livre dans lequel l'auteur fait feu de tout bois et se moque gentiment de tout ou presque. L'histoire olympique devient alors une véritable comédie.
Bon, Jaenada n'est pas Claude Zidi, son Spiridon Louis n'est pas un Charlot au meilleur de sa forme et le livre n'est pas un remake du scénario des "Fous du Stade". Mais, je dois dire que, par moments, comme dans le récit de ces premiers Jeux Olympiques modernes, dont le déroulement fourmille d'anecdotes ahurissantes, on s'y croirait presque.
De la Pythie de Delphes au Baron Pierre de Coubertin, c'est une histoire millénaire qui est passée en revue avec humour, mais en allant tout de même dans le détail. Antiques ou modernes, on en apprend pas mal sur les origines de cette manifestation qui va tenir en haleine bon nombre d'aficionados de sports dans le monde durant les deux prochaines semaines.
Un Pierre de Coubertin qui a droit à un passage rien que pour lui. Vous me direz, c'est logique, après tout, sans lui, ce mois d'août serait bien morne (enfin, si on aime le sport). Oui, c'est vrai, mais le baron se fait, au passage, tailler un costard sur mesure. Les petits travers que l'on connaît, comme son peu de goût pour le sport féminin, entre autres...
Mais, ce qu'épingle Jaenada, c'est autre chose, et en particulier, les sources d'inspiration de Coubertin qu'il s'est empressé, une fois l'aventure des Jeux Olympiques de l'ère moderne lancée, d'oublier, cet étourdi ! Je pense, en particulier, à l'excentrique William Penny Brookes, qui avait lancé dans sa calme petite bourgade anglaise une manifestation sportive dont s'est largement inspiré notre Pierrot national.
Ou à la fameuse maxime qui veut que l'important n'est pas de gagner mais de participer, dont Philippe Jaenada nous démontre qu'on nous la serine à l'envi en faisant un fameux contresens. En clair, que le bel esprit qui est censé habiter ces quelques mots, prononcés la voix vibrante d'émotion, est un mirage, une image subliminale qui masque un contexte véritable bien moins glorieux...
Nous n'allions quand même pas laisser le prestige de la plus grande manifestation sportive au monde, avec ses qualités (l'universalisme, la fraternité, l'effort, le fair-play, les belles histoires...) et ses défauts (la marchandisation du sport, le dopage, les enjeux qui dépassent le jeu...) aux Anglais !!! Diantre, Montjoie-Saint-Denis et toutes ces sortes de choses !!!
Hum... Reprenons-nous... En choisissant de mettre en avant Spiridon Louis, champion aux antipodes des stars ultra-médiatisées du sport contemporain, Philippe Jaenada nous conte non seulement une histoire très étonnante, aux retombées surprenantes et éphémères, mais donne aussi une image des JO complètement désuète et pourtant fort rafraîchissante.
Que vous soyez sportif ou pas, que vous vous passionniez pour ces Jeux Olympiques de Rio ou que cela vous laisse indifférents, "Spiridon Superstar" est une lecture très agréable, pleine d'anecdotes savoureuses, entre réalité et légende, parfois, tant certaines situations paraissent incroyables, absurdes ou exagérées.
Et puis, il y a ce personnage de Spiridon, dont le parcours ne peut que faire sourire, dans un premier temps, puis toucher, dans un second, par la modestie du bonhomme et parce que cette gloire d'un jour ne le mettra pas à l'abri d'un destin compliqué. Première star de l'olympisme, le mot est peut-être inadéquat, le concernant, mais symbole de l'idéal olympique, souvent dévoyé de nos jours, certainement.
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