Il y a quelques années, avant la création de ce blog, un livre m'a permis de décoller d'un lit d'hôpital pour partir à la rencontre d'un homme désigné pour battre le record de présence en solitaire dans une station spatiale. Une situation qui le rendait littéralement fou. Je garde un excellent souvenir de ce roman intitulé "Je n'ai pas dansé depuis longtemps", à la fois drôle et sombre, absurde et troublant. A l'époque c'est Belfond qui avait publié cette étrange histoire. Depuis, Hugo Boris a changé d'éditeur et son nouveau livre sort en ce mois d'août chez Grasset, avec un titre assez laconique : "Police". Enfin, plus exactement, le mot police en majuscules et surtout, à l'envers... Un coup d'oeil à la quatrième de couverture et je me suis laissé tenter par un livre dont l'action, cette fois, ne s'étend pas sur plus de 400 jours, mais sur une unique soirée, assez mouvementée... Et qui pose la question de la conscience, lorsqu'on est flic.
Virginie est entré dans la police pour suivre la vocation paternelle. La voilà en uniforme, appartenant au commissariat central du XIIe Arrondissement, à Paris, chargée de tâches très quotidiennes, pas forcément passionnantes, mais dont elle s'acquitte habituellement avec zèle. Sauf que, ces temps-ci, elle a la tête ailleurs...
Elle est enceinte. Pas de l'homme avec qui elle vit et avec qui elle a déjà un garçon, mais d'un de ses collègues, Aristide. Une situation délicate que Virginie a choisi de gérer seule : le lendemain matin, elle ira à la clinique et avortera, c'est décidé. En attendant, elle essaye de s'occuper l'esprit pour ne pas penser à tout ça, à ses mensonges, par action ou par omission.
C'est pourquoi elle a accepté de s'occuper d'une mission qui débordera sur la fin de son service. Elle ne sait pas vraiment de quoi il s'agit, à part que ça ne se déroulera pas dans le XIIe... Finalement, elle est plutôt surprise, lorsqu'elle apprend la nature de cette mission : escorter un homme depuis un centre de rétention jusqu'à l'aéroport où il sera mis dans un avion à destination de son pays d'origine.
D'habitude, ce ne sont pas les simples flics de quartier qui se chargent de ces affaires-là, mais la COTEP, Compagnie Transport Escort et Protection. Mais, aujourd'hui, il y a eu une mutinerie au centre de rétention et les policiers spécialisés doivent gérer la crise et déléguer. Qu'à cela ne tienne, Virginie est partante...
Mais, lorsqu'elle découvre que, avec Erik, son supérieur, et elle, c'est Aristide qui composera l'escorte, elle se sent piéger. Mais elle ne pourra pas reculer. Aristide, c'est la grande gueule du commissariat, le mec à l'humour bien lourdingue et aux propos parfois limite-limite, mais qui assure sur le terrain. Rien ne laissait penser qu'ils pourraient avoir une liaison...
Aristide, la bonne humeur faite flic, qui a tout de même eu du mal à encaisser les nouvelles de la grossesse de Virginie et de son choix de l'interrompre... Le changement a été subtil, mais elle l'a perçu, dans son regard, dans son visage. Et les voilà dans cette voiture de patrouille avec ce secret entre eux...
Quant à Erik, c'est un homme qu'on croirait né pour être flic. Le genre ambitieux, le petit doigt sur la couture du pantalon, espérant gravir les échelons sans se fixer de limite et, dans cette optique, obéissant aux ordres et appliquant les procédure tout aussi scrupuleusement. Une maîtrise parfaite en toutes circonstances, une autorité naturelle, un bloc de certitude et d'assurance.
Et puis, il y a Asomidin... Il est Tadjik et sa demande d'asile a été rejetée. Il doit quitter le territoire national direction le Tadjikistan, mais il serait Angolais, Tunisien, Tchétchène ou Somalien, ce serait pareil. A eux de le conduire jusqu'à l'embarquement où ils le remettront aux policiers qui prendront l'avion jusqu'à Istanbul à ses côtés...
Mais, cette mission, qui a tout pour être anodine, ne va pas du tout se dérouler comme prévu. Virginie la première va se poser des questions sur ce qu'ils sont chargés de faire, prendre en empathie cet homme qui ne semble en rien être un danger, qui risque de connaître un accueil fort désagréable dans son pays d'origine, et ses doutes vont aussi toucher ses collègues.
"Police", c'est le récit de cet étrange trajet entre Joinville et Roissy, une espèce de road-trip en huis clos, puisqu'on roule, mais que tout se joue entre les trois policiers et leur passager. Entre les questions qui agitent l'esprit de cette femme et de ces deux hommes, mais aussi le comportement d'Asomidin, on assiste à une brusque montée des tensions.
Il y a l'éthique professionnelle, d'abord : ils sont là pour obéir aux ordres qu'on leur donne. Ensuite, il y a une prise de conscience très humaine : est-ce que c'est bien, ce qu'on est en train de faire à ce pauvre gars ? Enfin, le parcours personnel et en particulier celui de Virginie, catalyseur de l'action, qui est sur les nerfs.
Ne croyez pas que chacun rumine dans son coin ses interrogations. Evidemment, cela va déborder dans les actes, dans les décisions qui vont être prises au fil des kilomètres d'autoroute. Mine de rien, le décor traversé par les policiers n'est pas complètement anodin : succession de territoires inhabités et de zones commerciales, il impose une espèce de claustrophobie aux passagers aux prises avec leur conscience...
Virginie, Aristide et Erik sont des flics de base, de simples flics, même, pour reprendre une expression cinématographique un peu anachronique. Ils n'ont rien de super-flics, de héros en uniformes, de personnages de polars ou de thrillers survitaminés. Non, ils sont normaux, banals, et surtout, ils sont usés, fatigués...
Je ne vous le cache pas, longtemps, j'ai envisagé une fin tragique à ce livre. Une fin qui ferait écho à ce qu'on lit (trop) souvent dans la presse ces dernières années, ces suicides de fonctionnaires de police avec leur arme de service. Je ne veux pas vous influencer, mais je crois que la montée progressive des tensions, ramassée, efficace, puisque le livre est court, moins de 200 pages, a joué sur mon impression.
Virginie est le personnage central, mais on plonge aussi dans les états d'âme d'Aristide et d'Erik, plus brièvement, c'est vrai, suffisamment, en tout cas, pour ressentir une certaine fatigue, un moral en berne qui pousse à se poser des questions sur l'avenir, et sur un avenir en uniforme. Il faut se créer une carapace, dans ce boulot, ici, elle se fendille et les lézardes risquent de vite s'élargir.
Erik, c'est l'exemple même du flic qui s'est blindé de partout, qui ne pense pas mais agit. Dit ainsi, cela semble très dur, mais c'est un métier difficile, aussi, qui nécessite donc de se protéger. Jusqu'à en perdre un certain sens des réalités ? On peut se le demander parfois. Et, dans "Police", c'est l'une des clés que tourne Hugo Boris, en poussant ses personnages à envisager leur job différemment, en fonction de la nature de la mission...
Pour autant, ce roman n'est pas un infomercial (pardon pour l'anglicisme) pour la police nationale. Virginie, Aristide et Erik sont des individus, confrontés à une situation qui les bouscule. Mais, il ne s'agit pas, sous prétexte que ces trois-là s'interrogent sur le bien-fondé des expulsions et sur leur portée humaine, d'éluder les côtés polémiques qui entourent nos policiers.
Mais, il est très intéressant de mettre sur le papier cette prise de conscience soudaine, ce chemin de Damas sur la route de Roissy, car on se dit que ces personnages fictifs peuvent aussi correspondre à un certains nombres de leurs collègues dans la réalité. Les coups de matraques, un racisme problématique ou une autorité qui confine parfois à l'autoritarisme, tout cela ne va pas disparaître d'un claquement de doigts.
Quant au fait d'emmener les flics de base aux centre de rétention pour réaliser ce que cela représente en termes humains, comme on emmène un chauffard à Garches, rencontrer les accidentés de la route, ou un fumeur invétéré à Villejuif, c'est évidemment totalement irréaliste. Mais, en cette période surchargée, entre état d'urgence et politiques d'austérité, il est certain que les chaînes de commandement pourraient être remises en cause...
Là encore, on est dans des réflexions personnelles, liées à cette lecture. Mais, dans les traditionnels remerciements de fin d'ouvrage, on comprend que cette histoire-là n'est pas totalement imaginaire. Qu'elle s'inspire d'événements et de récits existants. Hugo Boris s'est inspirée de tout cela, qu'il a fait des recherches, interrogé du monde, pris ses renseignements, choisi d'être au plus près de ses personnages.
En écrivant cela, je pense à toutes ces émissions de reportage qui ont fleuri sur plusieurs chaînes depuis des années, proposant des reportages sur des unités de police, toujours plus spectaculaires et pas du tout anxiogènes (noooooon...). Or, la COTEP, dont Virginie, Aristide et Erik pallient l'absence, a souvent été au coeur de ces sujets...
On a, d'une certaine manière, le contrechamp : nos flics du XIIe, ce sont le contraire de ces Robocop qui ont les honneurs des chaînes de télé. On a quelques échantillons de leur quotidien, qui n'exclut pas de ressentir quelques montées d'adrénaline, de prendre quelques risques et d'afficher ses muscles. Mais, dans l'ensemble, on est dans la, oh le vilain mot, proximité.
Ce côté peu flamboyant, peu attractif, contraste fortement avec l'image véhiculée par la télé, mais aussi le cinéma et la littérature policière où l'archétype du super-flic sans peur et sans reproche qui arrête les méchants à la fin, et d'une seule main, s'il vous plaît, existe encore. Ou bien, le côté "Experts", des flics trop cool faisant joujou avec plein de machines hi-tech et de produits chimiques.
C'est peut-être ce qui explique pourquoi Hugo Boris a choisi que le mot "Police", titre de son livre, apparaisse à l'envers sur la couverture. Comme si on regardait l'envers d'un décor et non ce qui devrait apparaître logiquement à nos yeux. Les velléités de désobéissance qui sont au coeur du livre viennent aussi à l'appui de cela.
"Si ton métier, c'est de faire ce qu'on te dit, et que tu ne fais pas ce qu'on te dit, faut changer de métier", est-il dit dans le livre. Là encore, on a des policiers en porte-à-faux avec ce qu'ils sont censés représenter, remettant en cause l'ordre qu'ils sont censés faire respecter, comme s'ils se retournaient contre leur hiérarchie...
Mais, tout cela, ce sont des réflexions de lecteur. Il est plus probable que, prosaïquement, ce choix graphique rappelle simplement les sérigraphies des voitures de patrouille, principale unité de lieu du roman, où le mot police est imprimé à l'envers pour apparaître à l'endroit dans le rétroviseur des automobilistes...
Je me demande si je ne cherche pas trop souvent midi à quatorze heures, moi...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire