samedi 10 mars 2018

"Ma captivité a été une trempe. J'aurais pu m'y noyer ; j'en suis sorti, non pas plus fort, mais plus complet".

ATTENTION, CE BILLET CONCERNE LE TROISIEME TOME D'UN CYCLE.

- Le billet sur "Rois du monde, tome 1 : Même pas mort" (désormais disponible chez Folio).
- Le billet sur "Rois du monde, tome 2 : Chasse Royale" (désormais disponible chez Folio).

La trempe en question n'est pas une grosse baffe, mais bien l'opération qui consiste à plonger un métal ou un alliage chauffé au rouge dans l'eau froide pour le durcir. Mais, des baffes, il va y en avoir aussi, tant physiques que morales, d'ailleurs, au cours de cette captivité. Après la furia du premier volet de cette "Chasse royale", signée Jean-Philippe Jaworski, voici un second volet, un tome 2 bis, si je puis dire (en grand format aux éditions des Moutons Electriques), que l'on pourra mettre en parallèle avec le premier tome de ce cycle celte, "Rois du monde". Car, on retrouve un rythme plus lent, des situations où la psychologie prend le pas sur l'action, où la limite entre le rêve et la réalité s'estompe à nouveau. Où Bellovèse, le personnage central de ce cycle, se retrouve une nouvelle fois face à son destin. Et face à la mort, cette éternelle compagne... Et si la première partie de "Chasse royale" était un roman presque exclusivement masculin, cette seconde partie, elle, met en scène des personnages féminins aux rôles fondamentaux...


Après les événements sanglants qui se sont déroulés à Autricon (cf le premier volet de "Chasse royale"), Bellovèse s'est sacrifié pour permettre la fuite du Haut-Roi, Ambigat. Resté en arrière, il a perdu certains de ses amis, tués au court d'une traque sans merci, et lui-même a été capturé. Sans illusion, eu égard aux récents événements, il s'attend à être prochainement mis à mort.

Pourtant, il ne semble pas que ce soit l'intention de ceux qui le détiennent, parmi lesquels son propre frère, Ségovèse. Bellovèse, qui une fois encore, se préparait à affronter cette mort qui ne semble pas vouloir de lui, se demande quel sort on lui réserve. A leur place, il n'aurait pas hésité, il n'aurait pas eu de pitié. Un tel adversaire, il lui aurait fait rendre gorge au plus vite.

Et puis, petit à petit, le prisonnier comprend qu'on a d'autres plans pour lui. Lesquels ? Il n'en a pas la moindre idée. Simplement, il va quitter le royaume des Carnutes avec les chaînes aux poignets, traîné comme un vulgaire esclave, lui, le fils de roi. Certes, on s'assure qu'il ne dépérisse pas trop vite, mais il reçoit un traitement de faveur dont la fonction est clairement de l'affaiblir.

Eh oui, même seul, même désarmé, même enchaîné, on craint toujours ce diable de Bellovèse, dont le courage impressionne, dont la force fait peur... On l'humilie, on le réduit à un état bien inférieur à sa position, et pourtant, on ne cesse de le redouter. Mais Bellovèse, lui, est fataliste. Et assez curieux, également, de savoir quel sort on lui réserve.

Après une nuit de détention bien plus agité que prévu, entre rêve et conscience, entre doutes et questionnement, débute un long voyage, par la route, mais aussi par voie fluviale. Et, au fur et à mesure de cette avancée, une idée prend forme dans l'esprit du jeune guerrier, impuissant : si on ne l'a pas mis à mort immédiatement, c'est parce qu'on veut d'abord le juger.

Qui seront ses juges ? Qui seront ceux qui auront la responsabilité de décider de son sort ? Là encore, Bellovèse n'en a aucune idée. Peut-être n'aurait-il pas réagi ainsi, aussi docilement s'il avait su. Ou bien y aurait-il vu l'occasion de prouver encore une fois son courage dans une situation bien délicate... Mais ce qui l'attend est peut-être ce qui peut le plus ébranler le fils de roi.

Je reste assez flou dans ce résumé, et pour cause : il se déroule, dans ce cadre, des événements tout à fait surprenants, qu'il faut laisser découvrir. De même, ce que Bellovèse va affronter ne doit vous apparaître qu'au fur et à mesure, car c'est très particulier. Ce qui frappe, c'est surtout la différence d'atmosphère par rapport à la première partie de cette "Chasse Royale".

"Rois du monde", c'est donc une trilogie en quatre volumes, désormais (un peu comme les Mousquetaires de Dumas...). Et l'on comprend mieux cette nécessité de scinder en deux le volume central, tant ces deux moitiés sont différentes. Je garde encore le souvenir de l'énergie, de la violence, du rythme effréné, de l'impression de rage et de fureur d'un premier tome qui colle le lecteur à son siège.

Mais, dès l'ouverture de ce deuxième volet, cette effervescence est retombée. Le combat est terminé, un camp a remporté la victoire, l'autre s'est débandé. C'est sans doute un moment de pause, on panse ses plaies, on compte les morts, on salue ces guerriers valeureux qui ont quitté ce monde... Il y aura d'autres batailles, la guerre pour le pouvoir est loin d'être finie.

A l'image de Bellovèse, on s'interroge sur le sort qui l'attend. Le noble guerrier a permis à ses amis de fuir en sachant pertinemment qu'il ne pourrait pas se sortir de cette situation : son attitude à Autricon, mais aussi sa stature, en font une cible de choix. Il a misé là-dessus, il a eu raison : ses poursuivants se sont focalisés sur lui.

Le début du roman est marqué par une scène étrange, mystérieuse. Captif, Bellovèse reçoit une improbable visite nocturne. S'agit-il de la réalité, ou est-ce un songe que lui envoie les dieux et dont il va devoir comprendre le message ? On peut légitimement se poser la question, même s'il existe des éléments de réponse concrets.

Ce rêve, comme ce retour à un rythme plus paisible, vont nous renvoyer au premier tome de ce cycle, établissant un  parallèle saisissant entre "Même pas mort" et ce tome 2 bis, comme je l'ai appelé plus haut. Sans préjuger de ce que sera le dernier volet, dont je ne sais rien, je précise, on pourrait donc s'attendre à un dénouement ébouriffant pour ce cycle, pour respecter cette symétrie.

Oui, le rythme est bien plus lent, mais ce n'est pas pour cela qu'il ne se passe rien. Certes, pour nous qui sommes habitués à nous déplacer à vitesse accélérée, désormais, ce voyage pourrait sembler long, même si le fait de ne pas connaître la destination donne un côté mystérieux. Sans trop en dire, et en utilisant des mesures actuelles, ce sont près de 300km qu'il va falloir parcourir, peut-être même plus.

Un bon moment pour gamberger... Bellovèse a l'esprit qui vagabonde, faute de pouvoir faire quoi que ce soit d'autre. Et ses pensées vont vers les siens. Sa famille, son épouse et ses enfants, bien sûr, mais surtout ses compagnons. Trois d'entre eux, les proches parmi les proches, vont être au coeur de ces réflexions, sous la forme de flash-backs.

Il y a Drucco, un guerrier, dur, féroce, brutal, même. Sans pitié et pas forcément digne de confiance, si l'on en croit les circonstances de sa première rencontre avec Bellovèse. Ils auraient pu s'entre-tuer, pourtant, Bellovèse, si charismatique, va faire de cet homme libre, sans engagement autre que son propre compte, un véritable bras droit.

Il y a Labrios, qui est tout le contraire de Drucco. Il n'a pas l'âme d'un guerrier, son courage est bien mince quand les choses se gâtent, mais c'est un homme à qui l'on peut faire confiance les yeux fermés en dehors du champ de bataille. Un homme au destin contrarié, comme va le découvrir malgré lui Bellovèse, mais un lien indéfectible.

Et puis, il y a Mapillos. Sans doute le personnage le plus bizarre de cette histoire. Une force de la nature, un balèze dont le physique impressionnant contraste pourtant avec la douceur extrême. Arrivé chez Bellovèse pour le rencontrer, suite à un songe, il est d'abord moqué et presque rejeté. Mapillos, ce nom est en lui-même source de raillerie, c'est un diminutif très péjoratif.

Mais, loin de se décourager, avec son attitude débonnaire, sa carrure d'ogre et son visage d'une laideur repoussante, petit à petit, Mapillos va s'imposer dans l'entourage de Bellovèse, en faisant preuve de certains dons, en particulier envers les animaux, qui peuvent laisser penser qu'il est un mage ou qu'il a été investi par les dieux.

Je suis tombé, avant d'attaquer sur un billet, sur un message de Jean-Philippe Jaworski sur son profil Facebook. Il y évoque les étiquettes qu'on met à ce cycle celte, et plus encore que de la fantasy historique, il parle de fantasy anthropologique. Mais, quel que soit l'adjectif, l'important, c'est qu'on est bien dans une démarche littéraire qui relève bien de la fantasy.

Or, Mapillos est typiquement un personnage qu'on s'attendrait à croiser dans un roman de fantasy très classique. Le gros costaud très moche, limite effrayant, et pourtant d'une bonté insigne, le compère qui déroute souvent mais se révèle très important pour le héros principal, ne le cherchez pas ailleurs, il est là, c'est Mapillos.

Ces trois personnages accompagnent donc, à distance, le voyage de Bellovèse, et l'on se dit que ce n'est certainement pas un hasard. Si Jean-Philippe Jaworski utilise ces divagations pour introduire ces nouveaux personnages, ce n'est sans doute pas juste pour agrémenter la partie fluviale du voyage. Mais, quel rôle seront-ils amenés à jouer ? Là encore, mystère...

Mais je vous sens piaffer... "Il a parlé de femmes dans des rôles importants, et là, il ne cite que des mecs, encore une fois !", grognez-vous à juste de titre. Oui, j'ai écrit cela et c'est vrai. Nous allons y venir. j'y vais doucement, car ces protagonistes féminines n'apparaissent pas tout de suite dans le cours du récit.

Elle aussi vont concourir à l'impression de symétrie entre les deux moitiés du cycle, vous le découvrirez. Il y a là une reine, Prittuse, que je ne vais pas replacer dans son contexte, parce qu'il faut bien vous laisser découvrir certains événements par vous-mêmes. Mais, c'est un personnage très important, peut-être plus encore depuis ce qui s'est passé à Autricon...

Il y a Dannissa, la mère de Bellovèse et de Sacrovèse. On le sait, les relations entre Bellovèse et la femme qui lui a donné le jour sont loin d'être au beau fixe... La relation à la mère, aux mères, même, devrais-je écrire, est au coeur de ce roman, où Bellovèse est mis face à ses choix, face à ses décisions, face aux comportements qu'il a adoptés.

Qu'il est délicat, le lien qu'entretient Bellovèse avec les mères ! Ah, la question de l'Oedipe chez les Celtes, voilà un sujet aussi anachronique que fascinant ! Pourtant, il y a de ça, à travers le fonctionnement des sociétés celtes, c'est vrai, mais aussi du fait des décisions qui ont présidé à la vie de Bellovèse jusque-là.

N'oublions pas que le destin de Bellovèse repose sur une série de choix qui fonde, pour les uns, son image de héros et de grand guerrier, mais qui en font, au contraire, pour d'autres, rien moins qu'un traître. Parmi celles qui ont souffert des choix et des actes de Bellovèse, il y a des femmes, des mères, et l'heure des comptes a peut-être sonné...

Mais, le personnage féminin qui crève l'écran, dans ce roman, s'appelle Sacrila, et c'est la demi-soeur de Bellovèse. Cette gamine, c'est peu de le dire, n'a pas froid aux yeux. Effrontée, à la fois naïve et terriblement sûre d'elle, elle s'impose comme l'un des personnages très importants de ce livre. Elle fait aussi partie de ces éléments placés sous la double égide du réel et du surnaturel...

Difficile d'en dire plus, comme je ne vous dirai rien d'un autre personnage féminin qui apparaît dans ce roman. Le mot "apparaître" n'est d'ailleurs pas choisi au hasard. Personnage qui, plus que tous les autres, vient mettre en valeur ce parallèle que je ne cesse de souligner entre le premier tome du cycle, "Même pas mort", et celui-ci.

Enfin, n'oublions pas ces trois mystérieuses jeunes femmes, une rousse, une blonde, une brune. Des soeurs ? Sans doute pas. En fait, on peut légitimement s'interroger sur leur identité, même si cela n'a sans doute aucune importance. Car je pense que, plus que ce qu'elles sont effectivement, c'est leur symbolique qui doit primer.

Puisque j'ai ouvert le feu des comparaisons avec la mythologie gréco-latines (j'espère que Jean-Philippe Jaworski ne m'en voudra pas, je flirte allègrement avec l'anachronisme...), je continue dans cette voie : ces trois demoiselles m'ont fait penser aux Parques, une idée renforcée par un passage (qui aurait pu servir de titre à ce billet), où un parallèle entre le destin de Bellovèse et un tissage est établi.

Car c'est bien, encore et toujours, le destin de Bellovèse qui est au coeur de ce roman, comme il est central dans ce cycle tout entier. Le destin qu'il se construit par lui-même contre celui que les dieux voudraient lui imposer. Bellovèse est un rebelle. Peut-être, là encore un traître. Cette fois, à ces pouvoirs suprêmes qu'il offense en oubliant souvent ce qu'il leur doit...

On l'oublie peut-être, mais Bellovèse raconte son histoire à quelqu'un, dans un contexte bien spécial (je vous renvoie au tout début du premier tome) et tout ce récit doit concourir à comprendre ce qu'il fait là, justement. Ce tome 2 bis décante sérieusement les choses, sans qu'on sache encore tout à fait comment il s'est retrouvé dans cette situation.

On a les premiers éléments de réponse dans cette partie-là et, avant de le retrouver pour ce dernier tome d'ores et déjà tant attendu, on cogite. Comment le destin de Bellovèse va-t-il s'écrire ? C'est un héros, mais un héros imparfait, qui le sait et l'accepte, charismatique et meneur d'hommes. C'est un héros capable de défier jusqu'à ces dieux auxquels il croit. Jusqu'aux esprits qui l'entourent.

Dans cette deuxième partie de "Chasse Royale", on le découvre dans une position de faiblesse comme on ne l'a jamais vu jusque-là. Certes, il a frôlé la mort de très près, mais c'était les armes à la main. Ici, on a le sentiment qu'il ne maîtrise absolument plus rien. La captivité l'a affaibli physiquement, le reste des événements le bouscule sérieusement sur le plan moral...

Quelles conséquences auront les événements relatés dans ce tome sur la suite et la fin de ce cycle ? Je suis curieux de le découvrir. Bellovèse est un orgueilleux, mais j'imagine mal qu'il ne tire aucun enseignement de ce qu'il a vécu. Peut-il se rédimer, accepter son sort et cesser de faire cavalier seul, ou bien optera-t-il pour une rébellion encore plus marquée ? Patience !

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