Après quatre années d'une tournée européenne triomphale, Harry Houdini et son épouse Beth sont de retour au pays. Avec l'idée d'ouvrir un nouveau chapitre, d'asseoir un peu plus la réputation de Houdini. Mais, s'il est toujours sûr d'être le plus grand magicien du monde, force est de constater que les Etats-Unis l'ont un peu oublié. Il lui faudra repartir de zéro ou presque.
Peu importe, nous sommes en mai 1904 et les Houdini ont envie de se poser, de profiter de l'argent gagné depuis 5 ans. Et, pour célébrer cela, Harry a eu l'idée de faire un cadeau à Beth. Un gros cadeau, qui ravira son épouse, mais aussi toute la famille Weisz : une maison. Située dans le quartier de Harlem, elle se trouve au 278 de la 113e rue ouest.
Houdini ne l'a pas visitée lui-même, il a en fait confier la tâche de trouver une maison à New York à son plus jeune frère, Leopold, qui a trouvé cet endroit correspondant parfaitement aux souhaits du magicien. Une maison suffisamment grande pour y loger le couple, la mère et le frère de Harry et y installer son énorme bibliothèque. Sans oublier la conception de nouveaux tours...
Houdini a tout organisé pour faire la surprise de sa vie à Beth : elle ne doit pas savoir trop tôt où ils se rendent et ne découvrir la maison qu'au dernier moment. Le magicien se fait une joie de cet instant, il imagine la joie qui irradiera sa bien-aimée, mais leur visite va pourtant bientôt prendre un tour tout à fait inattendu, et terriblement dramatique...
A peine entrée dans la maison, Beth ressent un fort malaise. Elle est persuadée d'entendre les pleurs d'un bébé, alors que personne n'habite plus ici. Plus étrange encore, Houdini n'entend pas la même chose... C'est alors que le couple fait une effroyable découverte dans le jardin, à l'arrière du bâtiment : le corps d'une petite fille, un nourrisson, privé de vie et enterré là à la va-vite...
Le choc est terrible, surtout pour Bess qui, bien qu'encore très jeune, se désespère de ne pas avoir d'enfant. Reste à comprendre qui est venu se débarrasser, il n'y a pas d'autre mot, d'un enfant mort dans le jardin de leur future demeure. Qui, et quand, car le corps n'a pas une apparence normale, il ne semble pas décomposé, on le dirait presque momifié...
Pardon pour ces détails, mais ils sont évidemment important pour la suite de l'intrigue. Houdini, lui, veut découvrir au plus vite les responsables de cet acte, d'autant que, malgré la macabre surprise, il est décidé que la famille s'installera bien ici. La police, elle, semble moins pressée de se pencher sur la question, en particulier l'inspecteur Petrosino, qui nourrit de grandes ambitions...
Houdini va donc encore une fois se transformer en détective pour permettre d'apaiser son épouse. Celle-ci, troublée par les événements, a décidé de prendre en charge les obsèques du bébé, qu'elle a, d'office, baptisée Louise. Les indices sont rares, mais ils disposent toutefois d'un accès illimité à l'un d'entre eux : cette maison qu'ils viennent d'acquérir et qui a bien des secrets à leur révéler...
Voilà un début de roman bien sombre, pour cette nouvelle enquête menée par Houdini... Le meurtre d'un bébé, son corps abandonné dans un jardin, comme s'il s'agissait d'un vulgaire rebut, ça plombe un peu... Sans doute est-ce le regard d'un lecteur du XXIe siècle, où l'infanticide est un crime qui suscite l'horreur absolue, ce qui n'a pas toujours été le cas dans notre histoire.
Au début du XXe siècle, quand la mortalité infantile est encore forte et qu'on est "habitué" à la mort des enfants en bas âge, il n'en va pas de même. Et l'on découvre avec effarement le peu d'empressement des policiers appelés par les Houdini à mener l'enquête sur ce qui va bel et bien s'avérer être un meurtre.
Pour Houdini, cette fois, pas de concurrence avec les enquêteurs officiels, puisque Petrosino se rêve en fondateur d'une brigade composée d'éléments italo-américains, afin d'enquêter sur les criminels de plus en plus nombreux qui débarquent à New York depuis l'Italie. On commence à entendre prononcer ce nom qui fait frémir : la Mano Nera, la Main Noire, embryon de ce qui deviendra la Mafia.
C'est l'un des signes présents dans le roman de la mutation que connaît la ville en ce début de siècle : l'immigration européenne s'accroît mais surtout, elle se diversifie. On n'est plus au temps des Britanniques, des Irlandais et des Huguenots contraints de quitter le Vieux Continent pour cause de guerres de religion, de famine ou de misère tenace.
Oh, parmi ces motifs, certains restent certainement d'actualité, mais, désormais, l'Amérique attire des Allemands, des citoyens de toute l'Europe de l'est (à l'image des Weisz, le véritable nom de Houdini, arrivés un quart de siècle plus tôt), des Italiens, etc. Les ingrédients du melting pot changent, et la société américaine, encore très jeune, va s'en trouver modifiée en profondeur.
Mais le thème qui traverse le roman, c'est celui de la maternité. Un mot sur le titre de ce billet, il y fait directement référence, évidemment, et le prénom de Louise vient faire écho au prénom choisi par Beth pour la malheureuse petite victime. L'épouse de Houdini, frappée par ces pleurs "entendus" en pénétrant dans la maison pour la première fois, souffre de ne pas avoir eu d'enfant.
Voilà près de dix ans qu'elle et Houdini sont en couple, un bonheur pur et harmonieux, mais qui reste sans descendance, à leur grand regret. Découvrir cet enfant à peine sorti du ventre de sa mère et enterré sommairement, sans aucun égard, est plus qu'un choc pour la jeune femme. Soudain, cet enfant assassiné devient le sien, celui qu'elle ne peut avoir.
Au fil des pages et des rebondissements, cette question ne va pas concerner que Beth, elle est évidemment au coeur de l'intrigue. Mais même certains détails qui sembleraient insignifiants en d'autres circonstances prennent un relief particulier. Je pense à l'absence de Jim, ce jeune garçon rencontré à San Francisco et pris sous leur aile. Ce qu'il y a de plus proche d'un fils pour Beth...
Houdini, qui sait le sujet particulièrement sensible, a bien compris ce qui se passe. Et c'est certainement pour ça qu'il ne se préoccupe même pas de savoir s'il y aura une enquête officielle ou pas, il lui faut élucider ce mystère afin de prouver une nouvelle fois son amour. De redonner du lustre à son premier cadeau, gâché par les circonstances.
N'en disons pas plus, le reste est à découvrir à travers les différentes pistes que le magicien va devoir suivre. Mais, puisqu'on évoque la maternité, on peut élargir la question à la famille. Or, celle de Houdini grandit à chaque épisode, on dirait. Après avoir fait connaissance de sa maman dans "la Reine de Budapest", voici donc son jeune frère, Léopold.
Les Weisz constituent une famille très unie, au point de vouloir vivre tous au même endroit. Né cinq ans après Erich (le vrai prénom de Houdini), Leopold apparaît comme très différent de son grand frère, à tous points de vue. Plutôt timide, voire introverti, quand Houdini est un artiste et une grande gueule, il a choisi une voie professionnelle très différente.
Il est en effet devenu médecin et a choisi une spécialité naissante : la radiologie (Wilhelm Rôntgen a découvert les rayons X moins de dix ans plus tôt). Pour la petite histoire, il installera son cabinet dans la fameuse maison achetée par son frère et ce sera le premier de la ville de New York. Mais, c'est une autre histoire.
Revenons à Leopold, garçon intelligent, sans doute ambitieux, mais qui a dû grandir dans l'ombre du si charismatique Erich, devenu depuis un artiste mondialement reconnu et possédant désormais une petite fortune, capable de mettre tous les siens à l'abri... Pas évident de trouver sa place, de se démarquer, d'exister, dans ces conditions.
Mais il n'y a pas de rivalité entre les deux frères, leur amour est sincère, profond, et on le comprend bien au long de ce roman. Petit à petit, au fil de ces enquêtes, l'univers de Houdini croît et embellit, avec autour de lui ces êtres qui lui sont chers et sur qui il veille, comme s'il avait pris la place de chef de famille à son père, disparu quelques années seulement après leur arrivée en Amérique.
La maison... En faire le titre de ce roman n'est pas anodin, elle joue un rôle-clé dans cette histoire, dont elle est, d'une certaine manière, le principal témoin. Oh, bien sûr, il y a des témoins humains, indirects pour la plupart, la 113e rue est un quartier vivant et il semblerait curieux que personne n'ait rien vu ou su. Mais, la maison, elle, peut en dire long à condition de savoir... l'écouter...
Ce quatrième volet est celui dans lequel on voit Houdini faire le plus souvent preuve de ses talents, il me semble. En tout cas, directement comme magicien. Et c'est aussi en tant que tel qu'il mène son enquête : avec ses qualités d'observation, mais aussi en regardant cette maison impressionnante, très vaste et possédant plusieurs étages, comme s'il s'agissait du tour d'un concurrent qu'il chercherait à démontrer.
Sans doute aurait-il préféré que l'objet de ce tour soit autre chose qu'un bébé assassiné, apparu comme par enchantement dans le jardin, mais ce tour de passe-passe doit avoir une explication rationnelle, des responsables qui ont agi dans l'ombre, ont bénéficié d'un coup de main de la chance, pas très inspirée, sur ce coup-là, mais qui vont trouver leur maître, celui qui va dévoiler tous les trucs au grand jour.
Il y a quelque chose de théâtral dans cette enquête, qui ne respecte pas totalement l'unité de lieu, mais se concentre tout de même autour du 278 de la 113e rue ouest. Et même lorsqu'on s'en éloigne physiquement, on y est relié, elle est le sujet des conversations, soit directement, soit à travers les événements qui s'y sont déroulés.
Houdini est le maître de ce spectacle particulier, de cette enquête au contour très personnel. Une occasion de démontrer tout son talent, celui du plus grand magicien au monde, le plus célèbre, celui qui n'a aucun concurrent connu... Mais, attention au péché d'orgueil qui pourrait l'amener à sous-estimer l'adversité. Et faire resurgir quelques mauvais souvenirs...
Vivianne Perret poursuit donc son chemin littéraire en compagnie de Houdini et de Beth et ouvre un nouveau chapitre très important avec l'installation à New York. Comme dans les précédentes enquêtes, on voit apparaître des personnages qui ont vraiment existé, comme Petrosino (qui a même un parc à son nom dans Manhattan et un timbre à son effigie en Italie) ou Leopold, et quelques autres.
Ces personnages, chacun à leur manière, viennent nourrir l'histoire par leur parcours véritable, ajusté comme il faut pour s'intégrer à la fiction. Ils sont un vrai plus dans une histoire qui pourrait fort bien se passer d'eux, mais il permettent d'installer le roman dans un contexte historique précis dont ils sont les acteurs véritables.
L'intrigue ne se limite pas à la simple recherche des parents de l'enfant et de la personne qui lui a donné la mort, mais d'autres ramifications vont apparaître, ajoutant des questions pour le lecteur et entraînant Houdini dans des directions inattendues et dangereuses. Mais, cette affaire se démarque des autres par son côté intime et par ses répercussions sur le couple Houdini.
Pour la première fois, me semble-t-il, le tome suivant n'est pas annoncé en fin d'ouvrage. Il faut dire que les quatre premiers tomes ont paru en à peine deux ans, rythme d'enfer. On aura donc, espérons-le, la surprise de découvrir le contexte dans lequel se déroulera la cinquième enquête de Houdini, Magicien et détective, lorsqu'elle sera prête.
La fameuse maison du 278 de la 113e rue ouest, à Harlem. |
Les billets sur les trois premières enquêtes :
- "Métamorphosis" (désormais disponible en poche chez 10-18).
- "Le Kaiser et le roi des menottes" (désormais disponible en poche chez 10-18).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire