Blanche Paichain est une jeune demoiselle appartenant à une famille de la bourgeoisie parisienne. Son père possède une société d'assurance assez prospère pour leur assurer un train de vie confortable, sa mère s'occupe de ses filles (Blanche a deux soeurs) et leur donne une éducation "bien comme il faut". Une vie sans histoire, dans laquelle Blanche s'ennuie.
L'adolescente n'attend qu'une seule chose, les visites de son oncle, Gaston Loiseau, commissaire à la Sûreté de son état. Ils sont très complices, au point que Gaston a inculqué à Blanche quelques "trucs" du métier et que la jeune fille se rêve en enquêtrice, elle aussi. Un rêve impossible, puisque nous sommes à la fin du Second Empire, et la police n'emploie pas de femmes...
Peu importe, Blanche garde en tête cette envie folle, écoute son oncle à chacune de ses visites raconter les affaires sur lesquelles il travaille, se passionne et attend son heure. Un jour, espère-t-elle, elle donnera un fameux coup de main au commissaire Loiseau, elle en est certaine ! Et cela va effectivement arriver, mais dans un contexte un peu particulier...
Lorsque s'ouvre le livre, sur une première histoire (dans cette version, elle s'appelle juste "Blanche", mais on peut lui redonner son titre originel, "Blanche, ou la Triple Contrainte de l'enfer"), Paris est en pleine panique. Nous sommes en 1870, les Prussiens sont aux portes de la capitale, on redoute un encerclement imminent et un siège douloureux, et l'on s'enfuit tant qu'il est encore temps...
Les gares sont prises d'assaut par ceux qui peuvent quitter la ville et s'installer ailleurs le temps que les choses se tassent. C'est le cas de la famille Paichain, qui a quitté son appartement de la rue Neuve-des-Petits-Champs, en plein coeur de Paris, pour gagner la gare Montparnasse, attraper un train et se réfugier dans la résidence familiale, à Saint-Céneri, loin du front...
Chaque membre de la famille est surchargé et, dans la cohue, Blanche se retrouve séparée de ses parents et de ses soeurs. Impossible de les retrouver au milieu de cette foule, de gagner le bon quai au bon moment. Blanche voit partir ce train qu'elle aurait dû prendre... Le dernier à quitter la capitale... La voilà livrée à elle-même dans une capitale sens dessus dessous...
Heureusement, il reste cet appartement familial, où Blanche sait qu'elle pourra trouver refuge, mais aussi de quoi subsister. Mais aussi, son oncle, qui doit poursuivre sa tâche quoi qu'il arrive. La demoiselle décide d'aller le retrouver au plus vite, mais le policier est en plein boulot. Il n'est pas à son bureau, mais à la morgue.
On vient en effet d'y amener le cadavre d'un homme découvert dans les jardins du Palais-Royal. Bien peu d'indices, un service médico-légal en grande partie déserté pour cause de défense de la capitale... Tout cela n'augure rien de bon. Loiseau doit juste s'appuyer sur les premières constatations : l'homme a été proprement scalpé et il possède un mystérieux tatouage sur le bras gauche...
C'est alors que Blanche arrive à la morgue, apportant un élément très important à son oncle...
Un première enquête dans un contexte très particulier : celui du siège de Paris, qui commence à l'automne 1870 et va durer jusqu'à la fin du mois de janvier suivant, avec les conséquences que l'on peut imaginer, la peur, bien sûr, la volonté de résister, mais aussi la faim. Voilà un contexte très spécial, que Hervé Jubert utilise parfaitement pour nourrir son histoire.
Dans ce décor apocalyptique, Blanche s'en donne à coeur joie. Car ne croyez pas qu'elle forme un binôme avec Gaston, non, ce dernier, s'il apprécie les intuitions de sa nièce, veut la protéger. Et puis, il a un boulot à accomplir ! Ce sont donc deux enquêtes parallèles que l'on suit, avec une Blanche qui se démène dans le dos de son oncle, et deux personnages qui se complètent, mais n'en disons pas trop.
La deuxième enquête de Blanche, "Blanche et la bague maudite", débute en juin 1871. Entre les deux enquêtes, il s'est passé bien des choses : l'armistice et la défaite française face aux Prussiens, avec pour conséquence l'annexion de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine, mais aussi l'instauration de la Commune de Paris et son écrasement sanglant par les troupes Versaillaises.
La IIIe République, proclamée en septembre 1870, s'installe sur des ruines et des fosses communes. Les exilés commencent à rentrer et l'état des lieux est violent. Ce sera le cas pour Blanche, qui a finalement rejoint sa famille en province et n'a donc pas assisté à tout ce dénouement. Elle n'en constatera les conséquences qu'à son retour, avec beaucoup de tristesse et de colère.
Gaston aussi est revenu après une salutaire mise au vert, mais il a repris ses activités policières avec la même fougue, en témoigne la poursuite mouvementée relatée au premier chapitre. Mais, la suite est moins enthousiasmante, quand on l'avertit qu'un corps a été repêché dans la Seine. Le commissaire connaît cette jeune femme. Elle travaillait pour lui, une "indic", comme on dirait de nos jours, sans doute.
Pendant qu'il enquête, Blanche, elle, essaye de venir en aide à sa meilleure amie, condamnée comme tant d'autres communards, à la déportation. Mais Blanche s'est aussi rapproché d'un jeune homme, Alphonse, un ingénieur rencontré chez ses parents. A sa suite, elle va découvrir Paris d'une manière qu'elle n'avait jamais imaginée et se lancer dans une mystérieuse chasse au trésor...
Mais qui dit trésor, dit convoitises. Pas seulement parce que celui qui retrouvera ce trésor, disparu depuis des décennies, rendra riche son découvreur, mais aussi parce qu'il pourrait lui offrir un immense pouvoir. A condition qu'on y trouve bien "le Grand Khan", une bague mythique, et qu'on sache en faire usage...
C'est dire si les chercheurs d'or sont nombreux, et particulièrement dangereux, à l'image de cet obscur groupe criminel qui s'est baptisé l'Hydre, en référence au personnage mythologique aux cent têtes et que tua Hercule, avec grand peine. Encore une fois, Blanche va devoir braver bien des dangers, tout en apportant une aide précieuse à son oncle...
Dans le Paris d'après la Commune, cette enquête nous entraîne dans une drôle d'histoire, entre Jules Verne et Maurice Leblanc. On y croise des personnages plus étranges les uns que les autres, pas toujours très recommandables, Blanche et Gaston vont se retrouver, chacun à leur façon, dans des postures bien inconfortables...
Il faut bien près de deux ans pour se remettre de cette histoire... "Blanche et le vampire de Paris" ne se déroule donc qu'au début de l'année 1873. Blanche est désormais une jeune femme, et même une jeune épouse, ce qui change évidemment bien des choses dans sa vie. Mais pas question, pour autant, d'abandonner sa passion des énigmes...
Et celle-ci commence par une rencontre impromptue, avec Camille, une blanchisseuse, qui a abordé Blanche pour qu'elle lui lise un billet qu'un homme venait de lui remettre. Un rendez-vous de la part d'un certain Philémon, rien d'extraordinaire en soi, le genre de petit événement qu'on oublie aussitôt. Mais pas Blanche...
C'est un article de journal qui va réveiller la mémoire de la jeune femme. Oh, rien d'évident, non, mais quelques indices qui lui rappellent Camille et son rendez-vous. Se pourrait-il que son chevalier servant ait pu être victime d'un meurtre ? Pour en avoir le coeur net, Blanche décide de retrouver Camille. De quoi lui faire oublier ses difficultés à entrer dans la vie conjugale...
Gaston, de son côté, est sur les nerfs. Et sur les dents, aussi. Le commissaire se retrouve face à une affaire bien délicate. Un joueur d'échecs a été retrouvé mort à sa table de jeu, au Café de la Régence, lieu sélect de la capitale s'il en est. Le premier examen s'est conclu sur un constat de mort naturelle, mais Loiseau est arrivé sur les lieux pour tout reprendre au début.
Bien lui en prend, puisque ce nouvel examen fait apparaître une curieuse morsure... Puis, on découvre une sangsue dans le nombril du mort... Tout cela est bien étrange et bien sombre, mais l'affaire va devenir nettement plus ardue quand un certain Cavendish, journaliste de son état, va commencer à publier des articles sur l'affaire.
Et Cavendish en sait beaucoup... On a un peu trop parlé du côté de la préfecture de police, au grand dam de Loiseau, qui sait qu'une enquête efficace se mène dans la discrétion. Et sa colère va enfler encore quand ces pages vont déclencher un vent de panique : et si un vampire rôdait dans les rues de la capitale à la recherche de nouvelles proies ?
Cette intégrale s'achève sur un texte original, une nouvelle qui prend en fait place entre les deux premiers romans. "Le Mystère de la femme sans bras" se déroule en effet au moment de l'armistice mettant fin à la guerre franco-prussienne, fin janvier 1871. Et son point de départ est simple : on a volé... la Vénus de Milo !!
Blanche se passionne pour cette histoire, pensant qu'on a mis la célèbre oeuvre d'art à l'abri en cas de pillage par les Prussiens. Mais, peut-être se trompe-t-elle et peut-être cette disparition a-t-elle d'autres motivations... Quant à Gaston, il se retrouve à enquêter sur un crime commis au Pré Catelan. Un cadavre recouvert d'une mystérieuse substance...
Pardonnez-moi, avec quatre histoires en un livre, il y a forcément beaucoup à dire. D'autant que cette série est très riche, vous l'aurez compris, dans le fond comme dans la forme. Blanche est une héroïne formidable, déterminée et naïve à la fois, capable de soulever des lièvres décisifs, tout en se retrouvant dans des situations impossibles.
On la suit dans son évolution, de l'adolescente à la jeune mariée, de la jeune fille de bonne famille à la jeune femme indépendante. Sa vie personnelle tient une place importante dans cette série, mais sans s'imposer aux intrigues, dans un équilibre très réussi, ce qui n'est pas toujours évident, et cette évolution est aussi un des intérêts de cette intégrale.
Elle est à la fois une femme de son temps, celle de la Belle-Epoque qui débute, mais aussi une femme moderne, à plus d'un titre, on s'en rend compte au gré de ses enquêtes, de ses rencontres, des situations auxquelles elle se retrouve confrontée, mais aussi dans sa manière d'appréhender la vie. On sent bien qu'elle ne sera jamais une femme au foyer attendant son époux, elle a cette indépendance qui en fait une exception dans sa famille.
Elle est le parfait complément de son oncle, policier roublard, intuitif et impulsif, ambitieux et fine gueule, au caractère bien affirmé, parfois un peu trop. Un policier lui aussi déjà tourné vers l'avenir, car ses méthodes d'investigation sont déjà d'une grande modernité (ce qui n'exclut pas l'intuition et le flair), recourant à la science autant que faire se peut.
La modernité de ces deux personnages vient aussi de la période historique, la fin d'une ère avec la chute du Second Empire, et le début d'une autre, avec cette IIIe République, sans oublier l'expérience que fut la Commune, qui marque l'apparition d'une classe populaire forte, qui entend avoir mot au chapitre.
L'Histoire... Elle est l'un des éléments forts de cette série, et pas seulement dans son contexte. Les événements ne sont pas juste un décor, ils influent sur les intriguent et en font même parfois carrément partie. Car Hervé Jubert, ce malin, joue parfaitement avec les faits et les personnages, entremêlant la réalité et l'imagination.
Car, oui, si vous lisez ce livre, faites chauffer le moteur de recherche. Si certains événements sont bien connus, si l'on croise des têtes aussi connues que Nadar (mais pas en tant que photographe), Sarah Bernhardt ou le jeune Georges Bizet, on trouve aussi des histoires et des protagonistes qu'on connaît beaucoup moins.
Il est intéressant d'aller faire quelques recherches sur le trésor de Childéric, par exemple, ou sur la disparition de la Vénus de Milo, mais aussi sur certaines rencontres de Blanche, dont certaines réservent quelques surprises, comme Séverin Klosowski, Balathier de Bragelonne ou le peintre Henri Régnault.
Tout cela contribue à une remarquable peinture de l'époque, aussi bien sur le plan culturel que sociétal, des ors de l'opéra jusqu'au monde presque parallèle de la Cour des miracles. On côtoie au fil des événements toutes les classes sociales, Blanche appartenant à la bourgeoisie, mais ayant pour meilleure amie une ouvrière communarde, etc.
Voilà ce qui fait la richesse de ce livre, dans ce mélange subtil entre réalité et imaginaire, avec des situations qui dépassent l'entendement. Car oui, ce ne sont pas que des polars, ce sont aussi des romans dans lesquels le fantastique s'invite régulièrement, pas avec de grands effets, parfois dans l'ambiguïté d'archétypes comme le vampire ou le fantôme, mais avec un grand tact.
En utilisant les techniques des romans-feuilletons et de la littérature populaire, qui prend justement son essor à cette période, en puisant ses influences chez nombre d'auteurs de cette époque, on pense à Gaboriau, Conan Doyle, Poe, Verne, et tant d'autres. Pour le jeune public à qui se destine ce livre, c'est aussi l'occasion de s'ouvrir à ces littératures à travers le travail d'Hervé Jubert.
C'est ludique et plein de rebondissements, porté par une héroïne très attachante qu'on aimerait suivre encore dans d'autres aventures. Elle n'a pas froid aux yeux, même lorsqu'elle se rend compte que ce qu'elle a vécu défie la raison... A ses côtés, Gaston Loiseau est un mentor parfait, même s'il peine à canaliser les velléités d'indépendance de sa nièce, qui se retrouve de ce fait, bien souvent en danger.
Mais, demain est arrivé. Blanche l'Intrépide est redevenue Blanche, Blanche Petit, désormais. Alors, a-t-elle définitivement rangé son esprit aventureux, sa curiosité insatiable et ses ambitions d'enquêtrice ? Ou cette réédition, augmentée d'une nouvelle inédite, sera-t-elle l'occasion de reprendre le fil de cette série ?
Ce livre m'intrigue depuis un moment !
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