samedi 11 août 2018

"Tu as cru que les enfants, ça serait plus facile, mais rien n'est facile quand on est comme toi. Tu es maudit".

Voici un polar historique qui va nous faire voyager. Dans le temps, puisque c'est au XIIe siècle que nous allons nous retrouver, et dans l'espace, puisque son intrigue suit la route d'un bateau quittant la Normandie pour la Méditerranée. Sur ces bateaux, en fait, se trouve des personnages déjà croisés sur ce blog : le jeune Tancrède et son maître, Hugues de Tarse. Après "Le Peuple du vent", dont nous avons parlé il y a déjà trois ans, le temps passe, intéressons-nous à la deuxième aventure de Tancrède le Normand, "les Guerriers fauves", de Viviane Moore (en poche aux éditions 10-18). Une intrigue au contexte un peu particulier, puisqu'il n'y a pas d'unité de lieu, qu'il n'y a même pas de certitude que le coupable se trouve parmi les personnages et qu'il y a d'autres enjeux pouvant engendrer de potentiels dangers. C'est aussi l'occasion pour Tancrède d'entamer un voyage décisif, au cours duquel il va obtenir les premières réponses sur ses origines...



L'hiver glacial, qui était un élément important du "Peuple du vent", s'en est allé, laissant sa place à un printemps 1156 nettement plus agréable. Près de six mois ont passé depuis les événements du château de Pirou dans lesquels Hugues et Tancrède ont été impliqués bien malgré eux. Le maître et son disciple s'apprête désormais à quitter le Cotentin pour se rendre en Sicile.

C'est à Barfleur que le tandem doit embarquer, direction la Méditerranée. Mais, à leur arrivée, la ville est en émoi : des enfants sont assassinés depuis plusieurs semaines maintenant et les autorités ne parviennent pas à mettre la main sur le tueur. La population, sous le coup de la peur et de la colère, menace de s'enflammer et le prévôt Eudes peine à restaurer le calme.

Il faut dire que lui-même est dans le collimateur. Pas personnellement, non, il semble au-dessus de tout soupçon. Mais l'énorme chien qui l'accompagne partout, qui se nomme Tara, mais que les gens surnomment "le Loup", avec de la crainte dans la voix, ferait un bon coupable. Pour beaucoup, tuer cette bête serait la solution pour que cessent les morts d'enfants...

Une fois encore, Hugues et Tancrède n'entendent pas se mêler de ces affaires qui ne les concernent pas. Et pourtant, les deux voyageurs vont croiser la route du prévôt, suite à une agression dont ils ont été à la fois les témoins et les acteurs. L'occasion pour Eudes de raconter les derniers événements tragiques qui endeuillent Barfleur.

Pas le temps de réfléchir plus longtemps à ces histoires, il faut embarquer. Tancrède prendra place sur une esnèque, un navire de guerre normand. A leurs côtés, Magnus le Noir et ses hommes, qu'on surnomme les Guerriers fauves, qui doivent convoyer jusqu'à la cour du roi de Sicile, une précieuse cargaison offerte à son homologue par le roi Henri II Plantagenet, roi d'Angleterre, mais aussi duc de Normandie.

Un véritable trésor qui pourrait attiser les convoitises au cours d'un voyage qui s'annonce long et forcément périlleux. Et pas seulement à cause des caprices de l'océan... L'esnèque ne voyagera pas seule, elle fera mer avec un knörr, un navire marchand appartenant à un armateur lombard dont la famille est installée en Sicile, Giovanni Della Luna.

Le bateau transporte, outre Giovanni, un homme se présentant comme un pèlerin se rendant à Saint-Jacques-de-Compostelle, un moine copiste qui se rend sur l'île du Levant, un autre religieux, versé dans la poésie, celui-là, mais aussi une vieille connaissance de Tancrède et Hugues, le mystérieux Bartolomeo d'Avellino, croisé lors de leur précédente aventure.

Enfin, la seule femme à bord, dont Hugues et Tancrède ont pu faire connaissance à terre avant le départ, s'appelle Eleonor de Fierville. Accompagnée par son chaperon et serviteur, le vieux Gautier, qui ne brille guère par son courage, elle doit se rendre en Sicile pour s'y marier avec le comte Sylvestre de Marsico, qu'elle n'a pourtant pas encore rencontré...

Tout cela donne une assemblée hétéroclite qui va devoir cohabiter le temps du trajet, ce qui n'a pas l'air de ravir tout le monde. Entre ceux qui aimeraient que le voyage soit agréable et ceux qui préfèrent rester dans leur coin, il plane sur le knörr comme une atmosphère de méfiance. Et de mystère, également...

Et si, parmi ces voyageurs et l'équipage, se trouvait l'assassin de Barfleur ?

Décidément, Tancrède et Hugues ont le chic pour se retrouver là où il ne faut pas. En tout cas si l'on aspire à une vie tranquille... Après Pirou et ses drames familiaux, les voici face à une affaire bien différente, mais non moins dangereuse, une série de meurtres d'enfants. En mer, il est peu probable qu'il se montre, mais les mousses pourraient être des cibles parfaites, sans oublier les escales...

Elles sont en effet nombreuses : cette traversée à destination de la Sicile se fait quasiment en cabotant, en multipliant les escales, d'abord dans les îles anglo-normandes puis, une fois gagné l'Atlantique, le long des côtes françaises et de la péninsule ibérique, avant de rejoindre la Méditerranée par ce qu'on appelle alors les Colonnes d'Hercule.

Jusqu'où ira-t-on ? Le lecteur l'ignore, au départ. Le but, c'est la Sicile, évidemment, mais l'intrigue, et même les différentes intrigues qui vont se nouer, ne nous entraîneront peut-être pas jusqu'au terme de ce voyage. On sent toutefois vite que ce voyage par sauts de puce, ou presque, aura de l'importance dans le déroulement de l'histoire, mais aussi dans son rythme.

Sans énumérer les escales, pour ne pas trop en dévoiler, bien évidemment, il est important de s'y arrêter, sans jeu de mots. Car elles dessinent aussi ce qu'était le monde du XIIe siècle, si proche du nôtre, mais aussi très différent. On y voit l'importance du commerce, mais aussi de la religion, et si certains lieux demeurent, mais se sont modernisés, d'autres ont quasiment disparu...

Ils sont également évocateurs de ce qu'était le Moyen-Âge et les modes de vie en vigueur alors. Chaque étape choisie par Viviane Moore apporte un regard différent, du plus grand recueillement aux plus grands excès, et casse ainsi ce qui devait être une grande langueur et une grande monotonie pour les voyageurs.

J'évoque plusieurs intrigues, c'est toujours le genre de choses un peu compliqué à présenter, mais les éléments évoqués au fil du résumé laissent effectivement entrevoir la possibilité de plusieurs éléments différents : l'enquête sur le meurtrier, le transport d'un trésor énorme, la présence de Bartolomeo d'Avellino, que Tancrède et Hugues croisent décidément bien souvent...
 
Autant d'éléments propices à des rebondissements, à des aventures où il faudra faire preuve de courage, mais pas uniquement. Eh oui, Tancrède est jeune et impétueux, comme on le voit quasiment d'entrée de roman, lors de l'escarmouche de Barfleur, dans laquelle il fonce tête baissée... A Hugues de savoir canaliser la fougue de son disciple...

Je me souviens (en fait, je l'ai relu juste avant) que dans le billet sur "Le Peuple du vent", j'avais évoqué le mystère qui entourait Tancrède et Hugues. Un comble, puisqu'ils sont les personnages centraux de la série, mais c'est vrai qu'on les voyait sortir un peu de nulle part et qu'on ne savait rien de leur parcours avant Pirou, de leur rencontre, de ce qui les a mené en Normandie.

On sait que Hugues est originaire d'Antioche, c'est donc un oriental, un Maure, comme il l'entend si souvent, possédant manifestement bien des savoirs, qu'il transmet à Tancrède. De ce dernier, on sait bien peu de choses, et lui-même ignore à peu près tout de ses origines. Hugues semble détenir des informations qu'il refuse de livrer trop tôt à son compagnon.

Pourtant, dès ce deuxième tome, un coin du voile va être levé. Tancrède, et le lecteur avec lui, vont en savoir plus sur son passé, son enfance, sa famille... Et ces révélations sont effectivement bouleversantes, mettons-nous à la place du jeune homme. Ce qu'il avait imaginé, ses désirs les plus profonds, ses rêves, vont se heurter à une réalité qui pourrait être bien moins rose...

C'est une bonne occasion de dire que cette série, si elle est avant tout une fiction romanesque, s'inspire de faits historiques et de personnages ayant existé. Le personnage de Tancrède lui-même, d'ailleurs, est basé sur un véritable personnage historique sans que Viviane Moore suive sa biographie à la lettre pour autant.

Mais il est intéressant de se plonger dans cette période historique qu'on connaît souvent bien mal. Et de se rappeler que, moins d'un siècle avant la période à laquelle se déroulent les aventures de Tancrède, les Normands ont conquis de haute lutte la Sicile, alors terre musulmane, et y ont établi un royaume chrétien.

Cette conquête n'est pas le sujet de la série de Viviane Moore, mais il est conseillé d'aller se renseigner sur la question (pour les amateurs de romans historiques, on peut signaler "le Sang des Hauteville", tétralogie de Michel Subiela) pour mieux comprendre pourquoi, tout simplement, Tancrède quitte la Normandie pour la Sicile.

A la fin de ce deuxième volet, comme pour tous les livres de cette série, on trouve des annexes qu'il ne faut pas passer sans s'y arrêter. D'abord, il y a un glossaire qui peut être utile dans le courant même de sa lecture (surtout si les mots "esnèque" ou "knörr" vous ont intrigué en lisant ce billet) et puis de courtes biographies de personnages historiques, sans forcément de lien avec l'histoire, mais avec l'époque.

Sans oublier le lien direct qui unit les Normands du XIIe siècle aux Vikings, qui fondèrent le Duché de Normandie au début du Xe siècle. On retrouve d'ailleurs dans "Les Guerriers fauves" certains aspects de cette culture qui a perduré. A l'image d'ailleurs de ces guerriers fauves qui donnent leur nom au livre, de leurs embarcations, de leur courage au combat, mais aussi de leur cruauté...

Je vais essayer de ne pas attendre trois ans avant de poursuivre cette série, ne serait-ce que pour poursuivre le voyage avec Tancrède et Hugues et en apprendre un peu plus sur le jeune homme et son passé. Mais aussi le voir évoluer, car ce tome, avec ses révélations, est sans doute un tournant. La véritable entrée dans l'âge adulte de ce garçon aussi attachant qu'il est impétueux.

Curieux de découvrir aussi les intrigues qui jalonneront ce parcours menant aux sources et comment Viviane Moore va faire évoluer son personnage, comment elle va mettre en scène le destin de son personnage, en lien avec celui de son modèle historique. Il y a encore du chemin à parcourir, en fait, cinq tomes, si je ne me trompe pas, pour compléter la série.

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