Cette année, Voltaire n'est arrivé qu'au printemps, la nouvelle enquête du philosophe, vous l'aurez compris. Une parution au début du mois de mai, au moment où j'ai la tête dans le guidon pour les Imaginales. Il a donc fallu faire patienter l'auguste écrivain (celui qui est dans le livre ? Celui qui le signe ? A vous de choisir...) jusqu'à maintenant. Que de frustrations mutuelles enfin effacées ! "Un carrosse nommé désir", c'est le titre de ce nouveau volet de la série de Frédéric Lenormand "Voltaire mène l'enquête" (en grand format aux éditions Lattès), sans débardeur ni Marlon Brando (ou alors, j'ai mal cherché), mais avec un Voltaire qui, par la force des choses, s'émancipe de sa chère marquise du Châtelet (enfin, pas complètement, faut pas pousser François-Marie dans les orties) pour se révéler enfin un détective de premier ordre. Il faut dire que cette fois, il a une sacrée motivation : l'espoir de disposer enfin d'un home, sweet home à la hauteur de son statut, enfin de ce qu'il pense être son statut...
Un cousin belge de la Marquise du Châtelet est sur le point de rendre l'âme à son créateur, laissant derrière lui un joli pactole, titres, propriétés et monnaies sonnantes et trébuchantes en quantité appréciable. Surtout pour un philosophe peu habitué à avoir les poches pleines et ayant des vues sur un investissement de toute première qualité.
En effet, Voltaire se rêve en propriétaire (certes, un peu par procuration, puisque ce n'est pas lui qui avancerait les fonds nécessaires, on l'a bien compris), et pas de n'importe quelle masure. Non, il vise grand. Et beau. Un hôtel particulier sur l'île Saint-Louis, en plein coeur de Paris, rien que ça. L'hôtel Lambert et ses peintures signées Le Brun et Le Sueur sont à vendre et Voltaire s'y voit déjà.
Il serait même déjà prêt à s'y installer, si on le laissait faire, mais pour l'acte de propriété, il faudra débourser une coquette somme. Que la Marquise ne possède pas pour le moment. Son parent agonisant tarde à pousser son dernier souffle et l'argent dont disposait Emilie lui a servi à faire imprimer ses travaux scientifiques...
Pas le temps d'attendre, l'aubaine risquerait de filer sous le nez du philosophe, il faut donc trouver de l'argent au plus vite. Une telle somme ne peut se gagner en un clin d'oeil, il faut donc envisager d'emprunter et la Marquise, pleine de ressources, sauf du genre de celles qui pourraient permettre d'acheter l'hôtel rubis sur l'ongle, connaît justement le financier ad hoc.
Il s'appelle Charles Michel de Roissy, et comme les choses sont décidément bien faites, il vit dans le même quartier, à deux pas de l'hôtel Lambert. Voltaire n'attend pas plus longtemps et s'y rend aussitôt. Mais il tombe mal : le maître des lieux n'est pas chez lui, et pour cause, il a disparu. Rien de surprenant pour son épouse, qui connaît son cher et tendre, ainsi que ses faiblesses...
Joueur, buveur, jouisseur, tout le contraire de sa femme qui paraît bien austère, Charles Michel de Roissy est coutumier de ce genre de frasques et, lorsqu'il découche, on ne s'inquiète guère chez lui. Mais cette fois, c'est différent, on commence à redouter le pire : le banquier est bien monté dans un carrosse pour rentrer chez lui en titubant sérieusement... Mais il n'y est jamais arrivé...
N'écoutant que son bon coeur, et son intérêt personnel, pas de banquier, pas de prêt, pas de prêt, pas d'hôtel particulier, Voltaire décide de se lancer à la recherche du banquier et de le ramener à son épouse (moyennement) éplorée, à sa famille et à toute cette maison, rendue fort fébrile par l'absence du paterfamilias.
Alors que Emilie du Châtelet s'est entichée d'un nouveau scientifique, Samuel König, fils de pasteur et élève de Bernoulli, Voltaire se lance corps et âme dans cette enquête, bien décidé à emménager au plus vite sur l'île Saint-Louis et à contrecarrer les projets macabres que les ravisseurs du banquier entendent mener à bien...
Une enquête menée tambour battant, dans une capitale en fête, toute enivrée des festivités annonçant le prochain mariage de la fille aînée de Louis XV avec l'infant d'Espagne. Entre bals et commémorations plus spectaculaires les unes que les autres, pas évident d'y retrouver son banquier. Il va falloir à Voltaire toute sa raison, mais aussi son intuition et une bonne dose de créativité et de sans-gêne pour résoudre cette affaire...
Qu'on se le dise, l'ennemi de Voltaire, ce n'est pas la finance. En tout cas pas en ce moment, puisqu'il a besoin d'elle pour mener son projet immobilier à bien. Et ce n'est pas tout : il veut montrer à Emilie qu'il peut, quand il le veut, se débrouiller tout seul dans certaines occasions. Certes, obtenir un prêt aurait été plus simple (quoi que...), mais mener l'enquête est désormais dans ses cordes.
j'ai souvent eu l'impression en lisant cette série (qui en est à son huitième tome, déjà !) que Voltaire résolvait ses enquêtes un peu par hasard ou grâce à l'intervention d'Emilie, et qu'il ne maîtrisait pas complètement cette fonction de détective amateur. Lui dirait le contraire, du haut (très haut) de l'opinion qu'il a de lui-même.
Mais, cette fois, il se lance sans filet, sans garde-fou, sans soutien, tout seul comme un grand, sans même Linant pour l'épauler (quelle tristesse de ne plus retrouver l'abbé goulu et joufflu, souffre-douleur du philosophe !) dans une enquête qui n'a rien d'évident. L'enlèvement de Charles Michel de Roissy ressemble à un tour de magie superbement réalisé, sauf qu'il ne s'agit pas d'une illusion pour la victime.
Le temps presse si l'on veut retrouver le banquier en vie et en bon état (enfin, suffisamment pour pouvoir prêter à Vol..., euh, à Emilie, la somme nécessaire à l'acquisition de l'hôtel Lambert), et les indices sont peu nombreux. Pas de quoi effrayer le philosophe qui trouvera bien quelques pistes à remonter à sa façon.
Comme à chaque fois, Voltaire fait le spectacle, intenable, surprenant, capable de se retrouver dans les situations les plus improbables et de s'en tirer sans trop de mal, mais aussi de montrer certains talents, en particulier pour le déguisement, qu'il maîtrise de mieux en mieux. Vraiment, il m'a épaté dans cette enquête, par sa roublardise et sa capacité à tromper son monde.
Qu'il s'agisse de la police, qui le tient toujours à l'oeil, au cas où il lui prendrait l'idée de diffuser de nouvelles idées subversives en ces temps de joie et de bonheur partagé, du clergé, qu'il voudrait éviter et qu'il ne cesse, enquête après enquête d'approcher de si près qu'on pourrait se demander s'il ne va pas finir par se découvrir une vocation, ou des suspects qu'il traque sans relâche...
C'est lui, et lui seul qui mène la danse. Il n'est pas, comme ça a pu être le cas par le passé, dépassé par les événements et à contre-temps, non, là, c'est lui qui imprime le rythme et fait avancer l'intrigue, petit à petit. Un tome charnière, de mon point de vue, qui laisse imaginer des enquêtes à venir où le seul Voltaire assumera les enquêtes et assurera.
Pour autant, on reste dans un roman de Frédéric Lenormand, avec pour règle bien définie d'amuser le lecteur, de le faire rire. Qu'il s'agisse des comportements de Voltaire, des situations dans lesquelles il se retrouve, de ses petites et grandes phrases, de son ego surdimensionné et de son incroyable confiance en lui, mais aussi la galerie de personnages secondaires, toujours savoureux...
Le reste, c'est la plume de l'auteur qui s'y colle, multipliant les références littéraires (on croise aussi bien Tennessee Williams, dans le titre de ce roman, qu'Edmond Rostand et une fameuse tirade de son personnage le plus célèbre) ou non, les calembours et les quiproquos (cette fois, c'est Marivaux qui se retrouve ciblé par le facétieux Voltaire).
Comme à chaque tome, derrière l'enquête, on trouve une thématique que Frédéric Lenormand prend comme fil conducteur de sa satire. Pour "Un carrosse nommé désir", il s'attaque à l'argent, ou plus exactement à la richesse et à ceux qui s'enrichissent par tous les moyens possibles, même ceux que la morale (et la philosophie) réprouvent.
Cela va même encore plus loin, merveille de l'éducation judéo-chrétienne, il est facile de contrebalancer ses actes les plus condamnables par de belles et bonnes actions... Ainsi, le sieur de Roissy s'est-il enrichi largement grâce à la traite négrière, mais avec ses bénéfices, il a pu ouvrir un pensionnat destinés aux orphelins.
Dans cette société monarchique, on voit apparaître une nouvelle classe aisée, issue de la finance, capable de rivaliser, tout du moins par la fortune, avec les plus anciennes familles aristocratiques. Il faut dire que ces dernières sont plus habituées à dilapider qu'à thésauriser, quand ces bourgeois font exactement le contraire (même si Roissy, dans ce cas précis, n'est pas le plus exemplaire).
"A qui profite le crime ?", a-t-on l'habitude de se demander (tout en ajoutant que le crime ne paie pas, allez comprendre), et c'est ici l'adage parfait, l'équation que doit résoudre Voltaire, lui qui prise si peu les sciences, surtout lorsqu'elles sont pratiquées par les hommes que fréquentent d'un peu trop près Emilie du Châtelet.
Mais, on se demande aussi, en refermant le livre, qui sont vraiment les méchants de l'histoire. En écrivant cela, j'aimerais vous parler d'un personnage qui m'a touché, remarquable à plus d'un titre et qui semble assez décalé dans cette série. Au milieu de ces personnages tous plus branques ou exubérants les uns que les autres, elle (oui, elle) dénote par son sérieux, sa colère, sa profondeur.
J'aimerais vous en parler plus en détails, mais c'est impossible, car cela nous emmènerait bien trop loin et en dévoilerait bien trop. Je me demande même si Voltaire n'est pas impressionné et même admiratif, lui qui n'est pourtant pas né épaté... Mais pas longtemps, juste le temps de n'être ébloui à nouveau que par lui-même, comme d'habitude !
Alors que l'auteur planche (déjà !) sur la prochaine enquête du plus virevoltant des philosophes à perruque Régence (allez jeter un oeil sur son profil Facebook pour en savoir un peu plus), on a hâte de retrouver Voltaire pour le voir confirmer ses nouvelles dispositions, son nouveau talent d'enquêteur au service de la justice (et un peu de lui-même, parce qu'on n'est jamais mieux servi que par soi-même).
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