mercredi 27 mars 2013

Le faux con malté...

Oui, j'ai osé. Un des plus mauvais calembours du monde en guise de titre... Mais, prenez-le comme un réel et humble hommage au livre dont nous allons parler. Car, ces derniers jours, j'ai connu deux désillusions livresques, des lectures sur lesquelles j'ai calé, oui, je n'ai pas honte de le dire, et voilà bien longtemps que cela ne m'était pas arrivé... Alors, "Lasser, un privé sur le Nil", premier volet d'une saga signée pas Sylvie Miller et Philippe Ward, et publié aux éditions Critic, a été pour moi comme un bol d'air vivifiant. Et comme ce livre est franchement drôle, je l'ai lu avec d'autant plus de plaisir. Si vous aimez les romans noirs des années 30-40, la fantasy, l'uchronie, l'humour, l'Egypte antique, les clins d'oeil aux copains (et aux moins copains...), bref, si vous avez envie de vous amusez avec une lecture qui fait fi des genres et ne se prend pas au sérieux, suivez-moi, direction l'année 1935 et une ville du Caire un peu spéciales...


Couverture Lasser, détective des Dieux, tome 1 : Un privé sur le Nil


Voilà 3 ans que Jean-Philippe Lasser, détective privé plus porté sur le whisky que sur le boulot, a posé ses valises sur les rives du Nil. Oh, il n'a pas vraiment eu le choix, la dernière enquête qu'il a pu mener dans sa Gaule natale, du côté de Marselha, lui a valu de solides inimitiés justifiant un exil d'abord plein de promesses, rapidement suivi de lendemains déchantant...

Cela fait donc 3 longues années que Lasser vivote, prenant quelques affaires minables qui lui permettent de payer sa chambre à l'hôtel Sheramon du Caire, ainsi que son abondante consommation d'alcool. Une vie qui n'a pas vraiment de quoi satisfaire son homme, mais qui a le mérite d'un certain confort et d'une certaine sécurité, surtout en repensant à ceux qui, en Gaule, auraient bien aimé lui faire la peau...

Jusqu'au jour de cette année 1935 où, alors que Lasser est, comme à son habitude, au comptoir, en train de picoler, entre Isis, l'une des plus importantes déesses du panthéon égyptien. Et, chose étrange, quand on connaît la piteuse réputation du détective, c'est bien Lasser qu'elle vient voir. Pas pour faire la causette, la déesse n'est d'ailleurs guère patiente, mais bel et bien pour lui proposer un travail. Un travail au combien plus important que ceux qu'a accomplis Lasser depuis son arrivée en Egypte.


Isis voudrait que Lasser enquête sur la disparition d'un livre. Mais pas n'importe lequel, un livre appartenant à Thot. Un dieu aux immenses pouvoir mais que les autres dieux estiment, pour les plus sympas, étourdi, tandis que les plus durs le trouvent en voie avancée de sénilité... D'où l'importance de ce livre et la convoitise qu'il suscite, puisque c'est le livre le plus précieux des dieux égyptiens, celui qui renferme un pouvoir immense...

Lasser, qui a toujours soigneusement éviter de se frotter aux questions divines, il en garde un souvenir trop douloureux, ne peut décemment refuser... D'abord, qui pourrait dire non en face à Isis ? Un coup à se faire vaporiser... Ensuite, parce que le simple bracelet que lui tend la déesse suffira à lui payer chambre, whisky et tout le tralala pendant au moins une année. Enfin, parce que Lasser a beau sembler être une sacrée feignasse, il cache sous ses dehors de loser un truc incroyable : une conscience professionnelle...

Mais la vie de détective dans un pays où des dieux font la pluie et le beau temps et où un pharaon essaye de diriger un royaume terrestre d'une main de fer dans un gant de velours n'a rien d'évident. Ca multiplie les embûches et les adversaires potentiels... A moins qu'on ne doive parler de suspects ? Dans tous les cas, qu'il croise le sinistre Hussein Pacha, chef de la garde du Pharaon ou le dieu Seth, le mauvais garçon du panthéon égyptien, Lasser va devoir prendre l'habitude de numéroter ses abattis...

Un enquête loin d'être de tout repos, donc, au cours de laquelle Lasser va devoir louvoyer entre les bassesses humaines et les ambitions divines. Mais, le privé peut aussi compter sur le renfort d'une assistante dévouée, Fazimel. Enfin, assistante, c'est encore beaucoup dire, car la jeune femme est d'abord la réceptionniste du Sheramon, avant d'être celle que Lasser présente bien aisément comme sa secrétaire...

Mais, Lasser est un tenace, surtout quand il commence à réaliser que son enquête dérange bien du monde, au sein du panthéon comme dans les hautes sphères humaines. Il ne se décourage jamais, malgré les obstacles, les mensonges et les roustes. Et s'il n'est pas franchement aisé d'évoluer, pour un humain, dans un monde divin, il a aussi un avantage : étant étranger (et raisonnablement veule), il ne craint (presque) pas les pouvoirs de ces dieux qu'il doit côtoyer.

Ajoutez un zeste de chance, une excellente intuition, un bon coup de main de la part de Fazimel et une Isis qui, malgré son côté hautain, son autorité naturelle et un physique à la Jessica Rabbit (euh, les psys amateurs, on ne vous a rien demandé...), s'avère une commanditaire impliquée et juste. Et comme elle a missionné Lasser (non, pas de contrepèterie), elle entend qu'il réussisse dans son enquête, quitte à mettre son grain de sel au moment opportun...

Ah, oui, j'ai oublié de vous dire... Ne croyez pas que je viens de raconter tout le livre. D'abord, il y a une chute très drôle à cette enquête dont je ne vous dirai rien, ensuite, l'univers créé par Sylvie Miller et Philippe Ward, à la fois déjanté mais très précis quant aux détails et bourrés d'images qui restent en tête, mérite le déplacement, enfin, je ne l'ai pas encore dit, mais "Un privé sur le Nil" est un roman feuilleton...

Un prologue, dont je vous ai donné, mine de rien, quelques éléments ci-dessus, si, si, suivi de cinq enquêtes, voilà ce qui vous attend si vous lisez ce livre. Et, à chacune d'entre elle, le paysage s'enrichit, de nouveaux personnages interviennent, dieux ou humains, Lasser et Fazimel gagnent en épaisseur, leur psychologie aussi, et on commence à les regarder différemment. Les enquêtes elles-mêmes sont plus élaborées, on le constate à la longueur de ces épisodes, qui croît plus on avance dans le livre.

Après avoir enquêté sur la disparition du livre de Thot, Lasser va devoir retrouver le chat de la déesse Sekhmet, qui a mystérieusement disparu avant un concours de beauté féline ; un autre chat, dont nous allons reparler, va, à la façon d'un chat botté, aider Lasser à asseoir sa réputation auprès de Pharaon et de sa cour ; puis, le privé va devoir à nouveau travailler pour Isis, qui s'est fait voler quelque chose d'irremplaçable, un des morceaux du corps d'Osiris, son frère et époux, qui fut, rappelons-le, découpé en 14 parties et éparpillé par Seth, ce vil jaloux ; enfin, Lasser va devoir prouver l'innocence d'un prince Nubien, accusé d'avoir voulu assassiner Pharaon, une situation qui risque, au-delà de l'incident diplomatique, de déclencher une guerre...

Petit à petit, et parfois sans en être le seul responsable, Lasser va s'affirmer comme ce qu'on a du mal à croire au début du livre : un détective possédant les compétences du job. C'est vrai que son caractère un tantinet indolent, une tendance marquée à l'éthylisme et, parfois, une saine couardise peuvent contribuer à lui donner une image pas très reluisante. Mais l'intuition est là, aiguisée, et l'homme peut se montrer bien plus déterminé qu'il n'y paraît. Avec, aussi, un sens développé de la justice, non, je n'emploie pas de grands mots à tort et à travers, une fois dans le feu de l'action, c'est souvent la volonté de coincer le voleur, le traître ou l'assassin qui prend le dessus sur tout le reste.

De simple chasseur de cocus, et encore, d'assez bas étage, lorsqu'on le découvre en Gaule, Lasser va devenir, au fil de ses enquêtes égyptiennes, un digne émule des Marlowe, Sam Spade ou Nestor Burma, pour ne citer que ces quelques figures emblématiques. Sans doute s'étonne-t-il lui-même de ses prouesses et de la reconnaissance croissante qui les accompagne, lui dont l'ambition semblait avoir fait naufrage dans le Nil... Ou dans le whisky 16 ans d'âge, je ne sais pas trop...

A ses côtés, gagnant en importance quand Lasser gagne en envergure, on trouve Fazimel (tiens, un patronyme qui me rappelle quelqu'un...), plus fidèle et dévouée que jamais, plus fine mouche et utile, aussi, même si Lasser doit calmer ses ardeurs, parfois difficilement, pour ne pas trop l'exposer à de trop grands dangers. Mais Fazimel est aussi une source inépuisable source d'informations, elle semble tout savoir sur presque tout, semble même très à l'aise en présence des dieux, chose rare et même étrange chez un humain, comme en témoigne une scène torride où elle trouve les mots (les gestes ?) justes pour réveiller la libido paresseuse d'Osiris, sans oublier qu'elle dispose aussi de quelques tours dans sa manche qui peuvent surprendre chez une simple réceptionniste d'hôtel, même s'il s'agit d'un palace...

On n'en saura pas beaucoup plus sur cette jeune femme débrouillarde et qui n'a jamais froid aux yeux. Certes, Lasser a bien du mal à s'habituer à sa conduite sportive, au volant d'une Coccinelle rose aux origines bien mystérieuses et qui ne passe pas inaperçue sur les routes du Caire et de toute l'Egypte. Mais sans elle, sa métamorphose en un détective privé de premier plan possédant une clientèle hyper-sélect n'aurait sans doute jamais eu lieu. Nul doute que Fazimel aura un rôle à nouveau décisif dans les futures enquêtes de Lasser.

Autre personnage important, Ouabou. Ouabou est un chat, animal sacré en Egypte mais vite horripilant pour un Lasser qui a l'impression que ce chat-là retombe toujours DANS ses pattes à lui... Il faut dire que Ouabou n'est pas un chat comme les autres, il appartient à la déesse Sekhmet, il est doté de la parole et, lorsque Lasser se retrouve avec ce greffier collé aux basques, il doit faire avec l'ambition du félin de devenir... détective privé !

Mais, résumer Ouabou à ces quelques traits rapidement esquissés et à cette image pas très flatteuse serait au combien réducteur... Ouabou a lui aussi quelques tours dans son chapeau (c'est une métaphore...) qui n'ont pas fini de surprendre un Lasser dont l'image d'homme blasé à l'extrême s'accommode difficilement des surprises permanentes que lui réserve cette Egypte exotique à plus d'un titre... Bien sûr, je ne vais rien vous dire ici de ce que Lasser va finir par apprendre sur Ouabou, je ne voudrais pas vous gâcher certains plaisirs de lecture... Mais, comme je le signalais plus haut, au cours d'un des chapitres du livre, il va se muer en chat botté pour faire de Lasser un Marquis de Carabas... Il a de la ressource, le matou !

On peut encore citer, parmi les personnages rencontrés par Lasser au cours de ses enquêtes Sphinxy, indic pas très net et d'une grande roublardise. Hâpi, 13ème du nom, est un taureau, tenancier d'un night-club divinement à la mode, l'Argemmios ; toujours bien informé, Hâpi sera d'une grande utilité à Lasser, et à plus d'une reprise... Une rumeur insistante laisse entendre que c'est Philippe Ward lui-même qui se cacherait sous les traits de Hâpi, mais faut-il croire aux rumeurs ?

N'oublions pas U-Laga M'Ba, un scribe d'origine nubienne, dont les connaissances encyclopédiques seront également utiles à Lasser, mais pas seulement. Car cet intellectuel sera le guide du privé en Nubie lorsque celui-ci devra s'y rendre pour prouver l'innocence d'un prince nubien en fâcheuse posture et démanteler une situation internationale particulièrement tendue...

Du côté des dieux, Isis, sans le dire vraiment, s'érige en protectrice de Lasser. Soit elle le missionne en personne, soit elle envoie à lui ses divins proches quand ils sont dans l'embarras. Malgré sa posture supérieure, hautaine, elle est sans doute celle en qui Lasser peut avoir le plus confiance. Car Sekhmet est bien plus ambiguë dans tout ce qu'elle fait, Osiris est un dieu bien falot, ma foi, quant à Seth, il s'impose comme un ennemi juré du privé, même lorsqu'il n'est pas directement impliqué dans les mauvais coups que doit démanteler Lasser. D'autres divinités aux rôles plus mineurs et aux caractères bien moins charmants encore, sont aussi au programme.

Mais, Lasser se retrouve au coeur de la rivalité ancestrale qui oppose Isis à Seth. Et, entre dieux, tous les coups sont permis, surtout s'ils sont tordus... C'est donc avec prudence que doit agir Lasser, car Seth, malgré sa réputation (assez juste, reconnaissons-le) d'imbécillité crasse, a un pouvoir de nuisance bien supérieur à ce que peut endurer le plus résistant des humains... Et comme Lasser n'est pas trop du genre à aimer avoir mal...

C'est d'ailleurs un des thème passionnant de ce roman-feuilleton : l'inconfortable position de Lasser, humain presque lambda, face aux dieux. Ceux-ci considèrent l'humanité avec un certain mépris. On ne peut pas dire qu'ils agissent pour se faire aimer des hommes, plutôt pour s'en faire craindre. Et leurs petits soucis quotidiens, leurs mesquines affaires, leurs gigantesques ambitions et leurs rivalités incessantes passent largement avant le sort pas toujours enviable de ceux sans qui on peut se demander s'ils seraient vraiment des dieux...

A Lasser, en permanence, de ménager la chèvres et le chou, les susceptibilités et le manque de magnanimité naturelle des dieux d'un côté, et la fragile existence d'humains souvent débordés et craintifs devant l'immense pouvoir auquel ils sont assujettis. Sans oublier l'ambition humaine, loin d'être inexistante, qu'il s'agisse de Pharaon lui-même et, plus encore, de son chef de la garde, le mal intentionné et cruel Hussein Pacha, dont la bêtise n'a d'égal que son inimitié pour Lasser.

Mais je ne voudrais pas finir ce billet sans saluer l'humour omniprésent de la première à la dernière page. Sous des formes diverses et variées : comique de situation, pour lequel l'Egypte antique regorge de perches bien tentantes ; clin d'oeil nombreux et très réussis, j'en ai signalé quelques uns dans ces lignes, mais j'en passe volontiers d'autres sous silence pour le plaisir de vous laisser les découvrir, ainsi que le cadre dans lequel ils interviennent. Et encore, je ne les ai sans doute pas tous repérés moi-même, alors amusez-vous, limiers amateurs, surtout si vous avez une bonne connaissance du milieu SFFF (pour les béotiens, Science-Fiction, Fantasy, Fantastique). Sans oublier un recours, qui n'est pas sans me ravir, au calembour, et de la meilleure eau (celle du Nil ?), qui plus est.

Lasser lui-même, et souvent à son détriment, est aussi un des ressorts comiques de l'histoire. Les traits de caractère mis plus haut en exergue en sont de bons exemples, et peuvent aisément servir de base à placer ce héros atypique dans des situations bien embarrassantes, lui qui sans être un gaffeur invétéré a tout de même le chic pour se mettre dans de beaux pétrins...

Et puis, les enquêtes elles-mêmes reposent souvent sur des situations amusantes, parfois un peu absurdes, qui, forcément, poussent Lasser à se décarcasser pour accomplir des exploits dignes des travaux d'Hercule sans en avoir la flamboyance... A se demander si les dieux ne se foutraient pas un peu de la trogne du privé, par moments...

Enfin, qui dit privé et années 30, dit forcément clins d'oeil aux maîtres du genre. J'ai cité certains personnages plus hauts, citons leurs auteurs, aussi, dont les lectures ont dû nourrir le travail des créateurs de Lasser : Chandler, Hammett (auquel je rends moi-même hommage, avec mon titre de billet désolant...) et Léo Malet. Comment, en effet, ne pas songer à Burma quand Lasser enquête, soutenu par une ravissante jeune femme, Fazimel, et un chat, Ouabou, véritable homologue égyptien de Rififi ?

Allez, j'en reste là, "Un privé sur le Nil" m'a donné la banane, et c'est le plus important, n'est-ce pas ? Je me suis amusé comme un petit fou à découvrir les enquêtes délirantes que doit mener Lasser, les situations loufoques et souvent cartoonesques qui en découlent et les personnages hauts en couleurs qui émaillent les récits. J'ai la chance de connaître Sylvie et Philippe, pour les côtoyer chaque année aux Imaginales et à quelques autres reprises, et je n'ai pu m'empêcher de les imaginer en train d'élaborer leurs gags, de les mettre en mots et en images, tels Goscinny et Uderzo à la grande époque d'Astérix...

Je voyais le sourire narquois de Philippe et les yeux pétillants de Sylvie, j'entendais le rire contagieux de Sylvie et l'accent chantant de Philippe et j'en ai conclu sans aucun doute que les deux complices avaient dû s'amuser énormément à concocter ces savoureuses histoires... Et ce n'est pas fini, un tome 2 est déjà en librairie, je le lirai d'ailleurs prochainement, et la saga Lasser ne fait que commencer...

Alors, laissez-vous emmener en croisière au gré des courants d'un fleuve plus sacrés que jamais et je suis sûrs que, comme moi, vous finirez morts de rire sur le Nil...


2 commentaires:

  1. Je suis conquise ! Crois tu que mon amour immodéré des mythes antiques en soit la cause ? (moi je sais ce qu'Isis a perduuuuu :D )

    Total, ce roman atterrit aussi sec dans ma Wish List!

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  2. J'attendrai ton avis, mais, même s'ils jouent avec, les auteurs ont une vraie passion pour l'Egypte antique et Sylvie, en particulier, m'a parlé de ses recherches approfondies, qu'elle poursuit en vue des tomes suivants.

    Pour Osiris, je ne dirai rien ;-)

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