Avouez ! Ca vous manquait, les titres avec jeu de mots bien pourri intégré ? Vous voilà servis ! Tout ça pour parler, bien plus sérieusement, d'un court roman d'anticipation (moins de 200 pages) qui nous emmène dans un pays dont on parle beaucoup ces derniers mois et dont on devrait entendre parler encore plus dans les semaines et les mois qui arrivent : le Brésil. Un choix intéressant, on le comprend dès les premières pages, tant le plus grand pays d'Amérique latine s'annonce comme un futur géant économique, mais pas seulement. C'est donc à Sao Paulo que se déroule le nouveau roman de Johan Heliot, "Involution", publié chez Nouveaux Millénaires, collection des éditions J'ai Lu. Un roman futuriste où la science-fiction ménage ses effets de surprise et où l'on retrouve des éléments qui rappellent... Bon, vous verrez ça plus loin, pas de raison que je ne ménage pas mes effets aussi !
Dans la deuxième moitié des années 2020, le Brésil est devenu une puissance économique de premier plan, et plus simplement un pays émergent. Il se hisse même au niveau du géant américain, qu'il vient concurrencer un peu partout, dans l'absolu, mais aussi à des niveaux un peu particuliers, comme l'éthique et le respect de l'environnement.
L'exemple le plus représentatif est un géant en plein essor, en passe de prendre le leadership mondial de l'internet à Google. Son jeune fondateur, Sebastian Terra-Pereira, "le dernier nabab made in Brazil", comme le surnomme la presse du pays, a choisi de baptiser sa boîte Globo, avec un G, un L et deux O (dont le dernier en forme d'orobase, c'est-à-dire comme une arobase, mais à partir d'un o), histoire de bien montrer dans quelle cour il entend jouer.
Avec un modèle différent de son concurrent US, Terra-Pereira a bâti un empire industriel qui s'est tout entier installé dans un des lieux les plus emblématiques de la ville de Sao Paulo (désolé, mon accent portugais est lamentable, même à l'écrit, c'est dire...), la tour Copan, construite 75 ans plus tôt selon les plans du fameux architecte Oscar Niemeyer...
C'est là qu'a rendez-vous un jeune Français, Vincent, pour se voir signifier son embauche. Une aubaine, pour ce garçon, dont la carrière chez Mémotech, entreprise de haute technologie française (si, si, c'est possible...), s'est achevé sur un brutal coup d'arrêt. La faute à un chagrin d'amour que Vincent n'a pas pu encaisser et qui l'a laissé démoli...
Jusqu'à il y a deux mois, et l'appel providentiel de Globo. Providentiel pour plusieurs raisons : on l'a dit, Globo est l'entreprise qui monte, futur n°1 mondial de l'internet à court terme ; ensuite, après son renvoi de Mémotech, peu nombreux étaient ceux qui voyaient encore un avenir à Vincent ; enfin, parce que c'est au Brésil que Chloé, l'ex de Vincent, est venue s'installer avec leur fille, Angie. De quoi donner un sérieux coup de boost à sa motivation moribonde !
Chloé, elle aussi, a donc profité du nouvel eldorado que représente le Brésil. Elle n'est pas venu les mains vides de France, elle a apporté avec elle une technologie bien particulière qu'elle a mise au point et qui a été testée avec succès, si on peut dire... Sauf qu'en France, on lui a trouvé une application sécuritaire qui a tourné à la bavure et valu à la jeune femme une certaine impopularité et une réelle mauvaise conscience...
Au Brésil, alors que les tensions sociales et la violence des gangs venus des favelas sont pourtant toujours redoutées, la technologie mise au point par Chloé devrait servir à tout autre chose : la prospection pétrolière en Atlantique. Les gisements traditionnels sont en voie d'épuisement, mais, si Chloé ne se trompe pas, on pourrait en exploiter d'autres, situés à une profondeur bien plus grande sous le manteau terrestre.
Alors qu'elle doit expérimenter prochainement cette technologie révolutionnaire, d'étranges phénomènes se produisent, en particulier une inattendue chute d'objets parfaitement identifiés... Leur particularité ? Fonctionner par les réseaux informatiques... Des pannes simultanées qui ont pour conséquence directe de réveiller les violences endémiques qui gangrènent le pays de longue date...
A quoi attribuer cette panne ? A celui que vous attendez tous depuis que vous avez lu, hilares, si, si, j'en suis certain, le titre de ce billet : l'AMAS. Quèsaco, l'AMAS ? Un acronyme, bon, ça vous fait une belle jambe, en plus, vous ne vous en doutiez pas... L'acronyme pour "Anomalie Magnétique de l'Atlantique-Sud", voilà !
Un phénomène sur lequel se penche le gratin scientifique mondial, certains redoutant que, s'il s'aggrave encore, l'AMAS n'ait des conséquences terribles pour la planète. Mais, les avis divergent et l'AMAS fait l'objet d'une violente controverse quant aux conséquences exactes de l'AMAS... L'avertissement brésilien est enregistré, mais apparemment insuffisant pour justifier l'alarmisme de certains...
Alors que Vincent s'installe, qu'il reprend contact avec sa femme (ravie de cette attention, vraiment...) et sa fille, alors que Chloé se prépare minutieusement pour sa première expérimentation grandeur nature, alors que la violence s'installe dans la ville, la catastrophe annoncée par certains se produit... Et ses conséquences seront aussi inattendues que terribles...
Je parle peu des couvertures dans mes billets, vous l'aurez remarqué, mais un détail m'a frappé tout de suite sur celle d'"Involution" : On reconnaît le drapeau brésilien, mais le globe terrestre au centre a été retiré et remplacé par cette vue aérienne de l'Amérique du Sud. Mais, il manque surtout le bandeau qui ceint ce globe et sur lequel est inscrite la devise du pays : "Ordem e progresso" (et non, mon accent ne s'est pas amélioré depuis tout à l'heure...).
"Ordre et progrès"... Si j'ai noté cette absence (et n'y voyez pas une critique, ce n'en est pas une), c'est parce que cette devise me paraît définir parfaitement les enjeux qui se présentent pour le Brésil, lorsque commence le roman. Les deux éléments sont même étroitement liés : l'ordre est maintenu et permet le progrès qui, par sa technologie omniprésente, permet l'ordre... Cercle vicieux ou vertueux, selon le point de vue...
Dans ce Brésil futuriste et pourtant si proche de celui que nous connaissons, dans la droite ligne de son évolution au XXIème siècle, mais sans avoir résolu ses problèmes majeurs, la technologie est partout, pour le meilleur et pour le pire. Quant à Sebastian Terra-Pereira, difficile de se faire une idée précise à son sujet...
Génie visionnaire et généreux ou personnage brillant et médiatique masquant bien une part plus sombre ? Difficile à dire, tant ce play-boy paraît vouloir jouer sur tout les plans et profiter de son charisme hors du commun. Mais, tout puissant qu'il soit, tout informé, car dans nos sociétés modernes, l'information est l'un des nerfs de la guerre, saura-t-il anticiper et affronter les événements ?
La famille de Vincent, reconstituée partiellement et, il faut le dire, sans trop de concertation, se retrouve au coeur des événements mais ne maîtrise rien du tout. Le projet de Vincent de reconquérir Chloé (pour Angie, aucun problème, elle est ravie de retrouver son papa et même de pouvoir passer du temps avec lui) va se heurter au brusque changement de situation et la vie de ces trois-là va prendre une toute autre tournure au milieu du chaos...
Roman d'anticipation, roman apocalyptique, roman de SF mais qui comprend aussi un drame familial, sorte de fil rouge de la trame, "Involution" est d'une forte densité : il se passe beaucoup de choses en peu de pages, on aurait même peut-être voulu voir l'après-catastrophe un peu plus développé.
Mais le plus surprenant, c'est de retrouver quelques éléments qu'on avait déjà vus chez Johan Heliot, en particulier dans sa trilogie de la Lune, en particulier dans le premier tome, "La Lune seule le sait". Mais, si l'auteur reprend certains éléments, il les transpose de l'univers steampunk et du XIXème siècle revu et corrigé de la trilogie à un futur proche et au combien plausible.
Et cela change tout ! Là où l'univers de la trilogie de la Lune est à prendre au deuxième, voire au troisième degré, où l'humour et le décalage sont omniprésents, malgré la noirceur, ici, on est vraiment dans un pur scénario catastrophe, angoissant, absolument tragique et qui file d'autant plus le frisson que son contexte pourrait fort bien ressembler à la réalité dans laquelle nous évoluerons dans une quinzaine d'années.
Autre différence dans le traitement : un certain fatalisme, qu'il n'y avait pas dans la trilogie. Il faut dire que les enjeux diffèrent également d'un livre à l'autre. Je ne sais pas si ce sont les années qui passent, l'évolution du monde vers un futur plus qu'incertain ou un simple choix littéraire, mais j'ai trouvé que "Involution" jetait un regard sombre sur l'Humanité et laissait planer peu d'espoir...
Comme tout roman d'anticipation, on peut y voir une fable ou un avertissement, mais j'ai eu l'impression d'un constat amer sur une lancée qu'il sera difficile de stopper, encore moins d'inverser. Ca, c'est pour le contexte global du roman, les questions du développement économique, de la place de la technologie dans le quotidien, des ressources énergétiques, de la protection de l'environnement, des révoltes populaires ou encore des économies parallèles reposant sur les trafics, etc.
Pourtant, la catastrophe est indirectement liée à tout cela. J'aimerais vous donner deux références qui me viennent à l'esprit, mais je crains qu'on me reproche d'en dire trop alors que, jusqu'ici, j'ai essayé au maximum de ne pas dévoiler les éléments charnières de l'intrigue... "Involution", c'est un regard sur une Humanité qui marche sur la tête et fonce sereinement vers sa chute.
Alors que vaut une espèce qui provoque elle-même tous les éléments susceptibles de la mener à sa perte ? Et quelles réponses peut-on proposer face à une telle volonté collective d'auto-destruction ? L'amour, peut-être, qui transcende tout... Mais cela reste une démarche individuelle, un coquille de noix sur un océan déchaîné...
Un dernier mot sur la partie scientifique du roman. Je le dis tout net, je ne suis pas apte à juger sur le fond de ce que raconte Johan Heliot, mais j'ai trouvé ça passionnant. Jules Verne était le personnage central de "la Lune seule le sait" et je pense qu'il n'aurait pas renié ce que propose l'auteur d' "Involution".
Là encore, me revient une des références que j'évoquais tout à l'heure sans la nommer (c'est agaçant, hein ?), une référence cinématographique. Avec un parallèle qui, je ne pense pas me tromper, pourrait se prolonger au-delà de ce simple angle de vue. Mais cette thématique scientifique, que ce soit Globo ou la volonté d'exploiter de nouveaux gisements pétroliers, vient s'inscrire dans des préoccupations très contemporaines, avec des enjeux de pouvoir qu'on devine sans mal gigantesques...
Je suis sorti avec pas mal de questions en tête de cette lecture et je trouve que le décor mis en place par Johan Héliot pour son roman, en particulier le choix du Brésil, est très original et pas du tout anodin. Quant au titre, "Involution", si comme moi, vous ne connaissez pas le(s) sens de ce mot (ah ben oui, buse en sciences, je vous l'ai dit !), évitez de chercher avant...
Bonjour. C'est un roman qui ouvre en effet des pistes de réflexions et qui ne ménage pas l'action. Mais je l'ai trouvé trop court. Bien des pistes sont ouvertes mais je trouve qu'on n'en sait pas assez. Bref, j'en veux encore !
RépondreSupprimerBonjour, et merci de venir lire et écrire ici ! Je suis d'accord pour dire que c'est trop court, d'ailleurs, je le dis dans le billet, mais pour moi, la réponse, la seule qui vaille, on l'a dans le livre. Et elle est lapidaire et sans appel ;-)
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