vendredi 19 septembre 2014

Fluctuat sed mergitur...

Comme dit précédemment, je suis dans une période catastrophique. Euh, en termes de lectures, pas dans ma vie, je vous remercie ! Non, il se trouve que j'ai enchaîné une série de romans qui, dans des genres différents, évoquent des catastrophes, naturelles ou non, et l'hypothétique fin de notre monde... En voilà un nouvel exemple, avec un thriller d'anticipation, véritable page-turner, qui nous emmène au coeur d'un Paris englouti sous des eaux pas vraiment tranquilles. Dans ce décor sidérant, et avec tous les inconvénients que cela entraîne, nous suivons une course-poursuite échevelée dont la source est à définir. Le seul indice : à côté de ce qui se trame, la pluie n'est qu'un léger souci... Avec "le dernier déluge" (publié en grand format chez Albin Michel), David Emton nous fait boire la tasse, nous glace jusqu'aux os et nous assène une idée centrale assez terrifiante : et si la nature, loin d'être une Mère, était notre pire ennemi ?





La veille de Noël. Des fêtes un peu particulière, car voici cinq semaines qu'il pleut sans discontinuer sur Paris. Et pas une petite bruine. Non, des cordes, des hallebardes, des trombes d'eau ininterrompues. Le cours de la Seine n'a cessé d'enfler au point de commencer à déborder au coeur de la capitale et la crue historique de 1910 n'est déjà plus qu'un lointain souvenir comparé à ce qui est en train de se produire.

Tout le monde est sur les dents pour sauver ce qui peut l'être, patrimoine, archives, oeuvres d'art, sans oublier la population, qu'il faut essayer d'évacuer. Car l'eau, on ne l'arrête pas, elle s'immisce partout, remplit chaque vide, chaque creux, chaque tunnel, et à Paris, ce n'est pas ce qui manque. On annonce même que les digues de retenue en amont ont lâché. Bref, la situation est grave, mais elle sera bientôt désespérée, surtout s'il ne s'arrête pas de pleuvoir !

Les autorités politiques, la police, l'armée, les pompiers, tout le monde travaille d'arrache-pied dans des conditions précaires, dangereuses, incertaines pour essayer d'éviter un drame pire encore. Mais la chaîne de commandement va bientôt devoir jongler entre les priorités. Et les maillons de cette chaîne vont recevoir des ordres qui ne se discutent pas, sans forcément avoir tous les éléments en main...

Malgré tout, certains s'apprêtent à fêter Noël. Difficile d'envisager un réveillon traditionnel dans cette ambiance et ces complications, mais ceux qui ont encore un domicile suffisamment élevé pour ne pas être inondé vont essayer de continuer à vivre. C'est le cas de Christine Petit, jeune femme célibataire, qui occupe un poste d'hôtesse d'accueil dans une grosse société : Galaxim.

Elle vit dans un modeste deux pièces du Ve arrondissement de la capitale, assez haut pour ne pas craindre l'eau, mais s'attend à se retrouver sous peu confinée chez elle, car la circulation dans Paris va devenir bientôt un vrai casse-tête. Pas de famille, pas vraiment d'ami, ce Noël diluvien s'annonce d'une rare tristesse pour elle.

Et puis, on sonne à sa porte. Un coursier qui lui apporte un paquet. Bizarre, parce qu'il est 7h du matin un 24 décembre et parce qu'elle n'attend rien. D'autant que, vu le bazar dehors, ce n'est pas vraiment le moment de passer sa commande sur un site de vente en ligne... Les délais de livraison sont pour le moins aléatoire...

Mais, il n'y a pas d'erreur, c'est bien à elle qu'est destiné ce paquet. Et, apparemment, c'est la société pour laquelle elle travaille qui le lui envoie. Du boulot à la maison ? Une veille de Noël, en plus ? Non, c'est trop inhabituel, trop bizarre. Et c'est encore pire que ce qu'elle imaginait quand elle ouvre le paquet car dedans, se trouve...

... Un bébé.

Oui, vous avez bien lu. Un bébé. Emmailloté, si je puis dire, dans un paquet spécial, une espèce de liquide amniotique artificiel, dirait-on, qui doit avoir pour but de maintenir l'enfant comme s'il était encore dans le ventre de sa mère. Il se pourrait bien que ce soit un prématuré. Quant à ses parents, difficile d'imaginer qui ils peuvent être.

Il faut dire que Galaxim est une boîte qui travaille dans les technologies scientifiques de pointe. Une société à l'excellente réputation dans un domaine où l'on devient vite un apprenti-sorcier dès qu'on choisit de s'aventurer dans des domaines qui flirtent avec les lignes jaunes de la bioéthique. Mais Jacques Levine, généticien mondialement reconnu et patron de Christine est respecté justement pour son humanisme et son respect de l'éthique.

C'est d'ailleurs Jacques Levine lui-même qui lui a fait parvenir ce... colis, enfin, ce... bébé. Mais pourquoi ? Pourquoi elle, insignifiante et surtout, pas scientifique pour deux sous ? Pourquoi cet homme qu'elle admire l'a-t-elle choisie pour lui confier un enfant qui doit avoir quelque chose de spécial ? Pourquoi lui confier ainsi, en passant par une entreprise de coursiers ?

Cela en fait des questions. D'autant que, si Christine n'a jamais perdu l'espoir de devenir mère un jour, elle a été un tantinet prise de court par cet "accouchement" express. Ce n'est pas qu'elle n'a pas l'instinct maternel, mais là, ce nourrisson dans son liquide étrange, elle ne sait pas trop comment s'y prendre... Un petit coup de main, quelques conseils ne seraient pas de trop. Sans même parler de ce que M. Levine voudrait qu'elle fasse de cet enfant...

Alors, elle prend son courage à deux mains et va sur le palier frapper à la porte de ce voisin qu'elle a toujours trouvé craquant, sans jamais oser lui dire, persuadée d'être transparente pour ce beau gosse, journaliste scientifique, le genre baroudeur... Pas vraiment le mec qui se retourne sur une voisine hôtesse d'accueil...

Mais, là, cas de force majeure. Lui aura les connaissances pour savoir quoi faire ou au moins lui donner des pistes. L'aider à comprendre ce qui lui échappe dans cette histoire. Et lui dire quoi faire... Evidemment, Damien est plus qu'intrigué par cette étrange apparition. Et plus encore par l'enfant. Mais c'est avant tout le nom de "Galaxim" qui semble exciter sa curiosité...

Il ne semble pas si certain que cette respectable société le soit autant qu'on veut bien le dire. Et ce bébé, là, dans son jus nutritif, pourrait bien être la preuve de quelques magouilles pas franchement glorieuses. Bref, son sixième sens journalistique se déclenche et il décide de se pencher sur la question. En décryptant d'abord l'énigme fixée sur le paquet qui contenait le bébé...

Et puis, rapidement, autre chose va le pousser à s'impliquer... Pendant que Christine est chez lui, on sonne chez elle. Et la personne en question n'a pas vraiment une tête d'angelot, de berger ou de roi mage venant se recueillir à la crèche... Apparemment, ce bébé est demandé... Et pas par des gentils, non, le mec, là, a une tête de tueur...

Commence alors une fuite éperdue dans Paris sous les eaux pour échapper à un, non, pardon, à deux tueurs ultra-déterminés dont la mission semble claire : récupérer l'enfant et ne laisser aucun témoin. Mais qui les envoie ? C'est là le hic : le déluge ne semble plus préoccuper personne dans les plus hautes sphères mondiales. Non, la cible n°1, c'est le bébé...

David Emton est un petit coquin. En effet, lorsqu'on se retrouve avec son livre en main, ce titre, cette couverture, on pense à un roman catastrophe où la météo tient le rôle principal, où les personnages centraux vont devoir lutter contre la montée des eaux, vivre des aventures dans Paris martyrisée, Paris outragée, Paris inondée...

De prime abord, avant d'entamer la lecture du "Dernier déluge", j'avais pensé à une version française d'un formidable roman britannique, "De feu et d'eau", de Richard Doyle, où Londres se retrouve sous la menace d'une gigantesque tempête qui pourrait s'engouffrer dans l'estuaire de la Tamise et remonter son court... Un suspense haletant qui aurait fait un parfait film catastrophe, comme on en a tant connu pendant les années 70.

Sauf qu'après quelques pages seulement, on comprend que ce n'est pas du tout ça. Que la pluie, l'eau qui monte, Paris, les inondations, le Zouave du Pont de l'Alma qui risque la noyade au lieu de se mouiller les chausses comme d'hab', tout ça, c'est du décor. C'est du théâtre. Une unité de lieu, humide et hostile, qui va accueillir une intrigue bien différente.

En fait, ce déluge, c'est ce qui vient pimenter et donner une bonne touche d'originalité à un thriller qui proposerait sinon, une course-poursuite assez classique, une intrigue que Dan Brown ne renierait pas (on pense d'ailleurs un peu au Silas du "Da Vinci Code" avec l'un des tueurs, même s'il ne porte ni robe de bure, ni cilice).

Mais là, alors qu'on se déplace au mieux en cuissardes, au pire en barque en plein coeur de la capitale, que l'eau monte partout et, quand elle monte, il lui arrive aussi de descendre, dès qu'elle trouve de l'espace, dans les sous-sols, le métro et bien d'autres lieux qui peuvent devenir des pièges, qu'il faut échapper à ses poursuivants et essayer de comprendre qui est ce bébé et ce qu'il faut en faire, là, ça devient très étonnant.

Cependant, tout cela, ce n'est pas le coeur du problème qui se dessine sous nos yeux. D'abord, il y a la vision du monde très différente de Christine, idéaliste, parfois naïve, et de Damien, plus cynique, plus pessimiste, aussi. Elle est amoureuse de cette nature qu'elle voudrait voir préserver. Il tient un discours bien différent, dans lequel la Nature n'est pas une victime, ni une alliée, mais une adversaire.

La pluie, qui ne cesse de tomber, comme tout autre fléau météorologique ou sismique, par exemple, tout ça pourrait être une réaction de défense d'une planète qui se sent agresser. Pour Damien, la relation entre l'Homme et la Nature ne peut passer que par la domination de l'un sur l'autre et pas dans la cohabitation harmonieuse.

Et donc, l'homme doit tout faire pour empêcher la nature de lui nuire par quelque moyen que ce soit. Voilà une vision largement à contre-courant ! Attention, Damien n'est pas quelqu'un qui veut détruire la nature, entendons-nous bien, mais il ne lui fait pas confiance, il la croit dangereuse et voudrait pourvoir calmer ses ardeurs. Il la redoute, et le déluge semble lui donner en partie raison.

Etonnamment, ce côté "entité vivante" d'une nature capable de réagir et de se venger de celui qui la maltraite, était déjà au coeur du livre dont nous avons parlé il y a quelques jours, "Après la chute", de Nancy Kress. Dans un genre littéraire, un style et un contexte totalement différents, mais j'ai été amusé et surpris de croiser cette théorie très intéressante.

Euh, intéressante ne signifie pas que je la partage. En revanche, je trouve que sur le plan strictement romanesque, cette Nature douée d'un... instinct, d'une... raison, je ne sais pas quel mot pourrait convenir, est un formidable argument et un bel outil pour toute imagination galopante. D'autant que David Emton, à travers Damien, multiplie les démonstrations scientifiques, comme si ces créations humaines étaient des boucliers ou des preuves de la supériorité humaine, remise en cause par les éléments.

Entre la visite de Paris telle qu'on ne la verra jamais, en tout cas, je l'espère, malgré les prévisions de crues bien plus fortes et violentes que celle de 1910, et les questions qui tournent autour du bébé, le suspense, assez classique dans la structure, fonctionne bien. David Emton utilise des ficelles qu'on connaît, mais il casse aussi quelques codes.

Enfin, il y a cet enfant... Il y a quelque chose de biblique dans ce déluge. Le navire du blason de la capitale a des airs d'Arche de Noé (non, même pas de jeu mots avec le nom de l'ancien maire, tant pis pour vous !). Mais, comment ne pas songer à Jésus, avec ce bébé qui apparaît comme par l'opération du Saint-Esprit, oui, je sais, c'est facile, un 24 décembre ?

Hérode a des héritiers, nombreux et puissants, prêts à tout pour traquer cet innocent qui ne pourra pas fuir en Egypte à dos d'âne, mais va devoir faire confiance à ses parents adoptifs et provisoires pour retrouver des terres plus calmes, en traversant une Mer Morte pas près de s'ouvrir toute seule sur son passage, bien au contraire.

Que l'on soit croyant ou pas, nous vivons dans l'ère chrétienne, dont le point zéro est la date (approximative) de la naissance de Jésus. En cela aussi, ce bébé si menacé, a des airs christiques, puisqu'on croit deviner peu à peu que, par lui, une nouvelle ère pourrait débuter... Mais de quelle manière ?

Terminons par quelques derniers mots sur la toute fin du livre. Sans la dévoiler, bien sûr. Mais David Emton joue là aussi avec des peurs qu'on a déjà vu exploitées par d'autres romanciers, qui ont aussi été évoquées lors d'événements récents et qu'on pourrait relier à des événements présents. En imaginant les dernières pages se déroulant sur un autre continent, on se sent saisis d'un profond malaise et on croise fort les doigts pour que l'auteur se trompe.

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