lundi 15 décembre 2014

"Ne suis-je pas devenue sans le vouloir le symbole d'un monde que vous haïssez ?"

500e billet, déjà ! Voilà une belle bibliothèque, éclectique et subjective, qui va s'enrichir d'un nouveau titre, ce soir. Un voyage en pleine Révolution à la rencontre de deux personnages aux rôles bien particuliers dans cette période. Deux aristocrates, à la fois proches et lointains, liés et inconciliables. Sous la plume d'Alexandra de Broca, la relation entre la Princesse de Lamballe et Philippe d'Orléans, qui deviendra bientôt Philippe Egalité, devient un parfait sujet de roman historique, en particulier en raison du moment choisi pour installer cette histoire et du mode de narration utilisé. Avec "Monsieur mon amour" (publié chez Albin Michel), l'auteur de "la Princesse effacée", renoue avec le roman épistolaire et offre le portrait de ces deux personnalités, mais aussi, en creux, celui d'un couple royal complètement dépassé par les événements...



Le 10 août 1792, Paris se soulève. La foule, armée, s'emparent des Tuileries, des massacres se déroulent dans la capitale, mais la famille Royale, qui est assignée à résidence dans son palais depuis sa tentative de fuite, mise en échec du côté de Varennes, l'année précédente, est épargnée. La Terreur commence.

Trois jours après ces événements, on transfère Louis XVI, Marie-Antoinette et leurs enfants à la prison du Temple. Parmi ceux qui les accompagnent dans cette détention, Marie-Thérèse de Savoie-Carignan, princesse de Lamballe. La plus proche amie de la Reine, depuis son arrivée en France. Mais, elle ne va pas rester longtemps à leurs côtés.

Le 19 août, tous ceux qui n'appartiennent pas à la famille royale sont arrêtés. Le Roi est suspendu de ses fonctions, il est un citoyen comme les autres, il n'a besoin de personne pour le servir. La Princesse de Lamballe est alors emmenée à la prison de la Force. Elle y passera les deux dernières semaines de sa vie, enfermée dans la même pièce de Mme de Tourzel et sa fille Pauline.

Là, pour passer le temps, mais aussi pour plaider sa cause, elle se met à écrire. Une correspondance qu'elle adresse à une personne bien particulière : Philippe d'Orléans. Prince de sang, descendant direct de Louis XIII, élu de la noblesse aux Etats Généraux mais rallié ensuite au Tiers-Etat, il est un opposant affiché de son lointain cousin Louis XVI.

Et, dans la position difficile où elle se trouve, la Princesse sait que son sort peut dépendre de l'influence de cet homme qu'elle connaît bien. Mieux que cela, cet homme dont elle est secrètement éprise, de longue date. Renouant avec lui, qu'elle n'a plus vu depuis longtemps, l'appelant "Monsieur mon amour", elle va alors se raconter, retracer leur relation, faite d'ambiguïté, de séduction, de malentendus, aussi.

Elle raconte comment, jeune princesse piémontaise, elle a quitté Turin et sa famille pour épouser un autre prince de sang, le prince de Lamballe, un libertin et un homme violent qui va la maltraiter. La traiter comme une moins que rien jusqu'à ce que la maladie l'emporte. Elle en conservera une grande introversion, une méfiance des hommes et une chasteté sans faille, malgré ce que les libelles raconteront.

Elle raconte sa complicité amicale avec son beau-père le Duc de Penthièvre, désespéré par le comportement indigne de son fils et qui aidera de son mieux jusqu'au bout sa bru. Elle raconte sa rencontre avec Philippe d'Orléans, son beau-frère, puisqu'il a épousé la soeur du prince de Lamballe, Marie-Adélaïde, qu'elle ne trahira que dans cette correspondance secrète, malgré l'amour qui la consume pour cet autre grand séducteur qu'est Philippe.

Elle raconte enfin son amitié avec la Reine, faite d'intimité, c'est vrai, mais aussi de période de disgrâce qu'elle vivra très mal, quand la Polignac, si différente d'elle, prendra sa place auprès de Marie-Antoinette et encouragera tous ses mauvais penchants, avant de fuir, assez lâchement, dès que la situation du pays s'envenimera.

Elle raconte énormément de choses dans ces lettres qu'elle envoie quotidiennement, du jour de son arrivée à la prison de la force, le 19 août, jusqu'au début du mois de septembre, quand on l'extraira de sa cellule pour un jugement sommaire et une fin épouvantable, que la légende, qui s'est emparée de l'événement, a largement accentuée.

Elle s'y livre, comme elle ne l'a jamais fait auparavant, car elle n'était pas en position de le faire. Mais elle y évoque aussi la vie et l'étiquette à Versailles, de son arrivée à Paris, à 18 ans, pour se marier, jusqu'à la chute de la monarchie. Une étiquette dans laquelle elle se sentait déjà enfermée, prisonnière, comme elle l'est dans sa chambre de la prison de la Force.

Une étiquette qui va aussi étouffer la jeune Marie-Antoinette, qui aspirait à autre chose en devenant Reine de France, et va déchanter. L'ennui. Voilà l'ennemi de la Reine, ce qui va la pousser à enfreindre bien des règles, à commettre des erreurs et faire le lit des reproches, des critiques violentes, mais aussi des rumeurs et des calomnies qui la viseront jusqu'à son exécution.

Des libelles et des pamphlets derrière lesquels, pour beaucoup, on trouvera la main de Philippe d'Orléans. C'est également ce qui rend ce personnage de la princesse de Lamballe très intéressant : elle est le lien direct entre deux personnages puissants qui sont irrémédiablement ennemis. Amie intime de l'une, amoureuse de l'autre, elle va s'oublier et faire passer ses fonctions avant sa propre vie.

Ecartelée, pardon si le mot semble malheureux, mais c'est tout de même ce qu'il ressort de cette lecture, entre la Reine, qu'elle adore, malgré ses défauts, et qu'elle aimerait aider car elle pense qu'elle vaut mieux que cette enfant gâtée, joueuse et un peu trop libre et détachée du sort de ses sujets, et son beau-frère, seul homme qui pourrait lui faire renoncer à la chasteté qu'elle s'impose depuis son veuvage.

Enfermée, comprenant instinctivement qu'elle a peut de chance de sortir indemne de la situation dans laquelle elle se trouve, elle quitte enfin ce costume trop étroit dans lequel elle a vécu pendant pratiquement un quart de siècle. Et, sans jamais renier sa reine, elle fait quelques pas vers les idées révolutionnaires de l'homme de ses rêves.

Pour elle, la question du peuple est centrale. Dans ces lettres, elle évoque son inquiétude, mais aussi sa foi en la monarchie pour améliorer la situation du peuple. Comme sa foi en Dieu, sa confiance en Louis XVI est inébranlable, mais elle a conscience de l'inconscience des problèmes réels des Français de la part de ceux qui fréquentent la Cour, simplement pour l'amusement ou la volonté de plaire aux puissants.

A cet égard, elle est encore en phase avec Orléans, puisqu'il y a longtemps que celui-ci s'est éloignée de la Cour et qu'il tire à boulets rouges sur le Roi, la Reine et leur aréopage de courtisans, prêts à tout pour quelques attentions, pour être considéré par le pouvoir de droit divin et d'en obtenir quelque chose, pas forcément matériel, d'ailleurs.

Rebelle, la princesse de Lamballe ? N'exagérons pas. A l'image de cette phrase, tirée du roman et qui sert de titre à ce billet, elle reste et va rester une incarnation de cet ancien régime que veulent abattre les partisans de la Révolution. La fin du livre, dans le dernier chapitre, qui commence par la dernière lettre de la princesse et se poursuit par un récit factuel, montre à quel point, en ces temps troublés, le sort d'une personne pouvait se jouer à très peu de choses...

On peut d'ailleurs se demander quelle part de subjectivité, de mise en scène, d'hypocrisie, même, il peut y avoir dans les lettres de la princesse, qui joue sa vie. Est-elle prête à dire tout, y compris laisser penser qu'elle est en accord avec les idées de son hypothétique sauveur pour sauver sa vie, essayer de le séduire, lui révéler ce qu'elle ne lui a jamais dit ? Je me suis posé la question...

Précisons une chose importante : quand je parle de roman historique, c'est vraiment un point important. En effet, rien n'indique que cette correspondance ait pu exister, l'idée de faire écrire à la princesse de Lamballe cette série de lettres à Philippe d'Orléans, tout comme le sentiment qu'elle y révèle, tout cela relève de l'imaginaire.

Dans une note annexe, placée en fin d'ouvrage, Alexandra de Broca donne quelques pistes de lectures, quelques clés pour comprendre sa démarche de romancière dans la conception de ce livre. Le possible, le vraisemblable, le crédible, on le sait, sont des voies royales pour les auteurs de fiction qui, même lorsqu'ils mettent en scène des personnages et des événements réels, peuvent s'engouffrer dans les blancs ou les zones d'ombre.

Ici, le choix de la romancière est multiple : raconter des personnages, donner une vision basée sur leurs biographies, mais forcément subjective, dessiner également le contexte dans lequel ils évoluent, et, en l'occurrence, difficile de ne pas voir à quel point il est crucial, et, sans tomber dans le manichéisme, de montrer les torts des uns et des autres, mais aussi la folie qui s'est emparée d'un pays laisser à la dérive par un pouvoir absent, sans doute déjà depuis le règne précédent.

Signe fort, qui ne doit pas être si anodin que ça : des personnages qu'on rencontre au cours de cette histoire, les quatre protagonistes centraux, la princesse, Orléans, mais aussi Marie-Antoinette et Louis XVI, sont les seuls à avoir perdu la vie au cours de la Terreur. Comme si leurs destins étaient inextricablement lié, jusque dans leur fin.

Je n'entrerai pas ici sur les éternels débats autour de la Révolution et de la façon dont on la fait. Les points de vue seront sans doute irréconciliables jusqu'à la nuit des temps... Alexandra de Broca se penche sur le destin de cette femme qui est venue pleine d'allant à Versailles, a vite déchanté, a tenu un rang trop lourd pour elle, mais a vécu pour et par ce statut, autant que par amitié pour la Reine. Cela méritait-il d'être massacrée ?

Un dernier mot sur le mode de narration. C'est vrai que, épisodiquement, le roman épistolaire fait son retour, par vague, par mode. En ce qui concerne "Monsieur mon amour", ce choix est étroitement lié à l'histoire elle-même, on voit mal comment la raconter autrement. Artifice de narration ? Parfois, mais, l'urgence dans laquelle se trouve la princesse, qui ignore combien de temps il lui reste, si ses lettres sont lues, si Orléans agit en sa faveur... tout cela se ressent.

Et puis, il y a un autre élément amusant auquel Alexandra de Broca a bien dû penser avant et pendant l'écriture de son roman. Oh, on est dans l'anecdotique, véritablement, et pourtant, c'est aussi intéressant et, je trouve, pertinent de le relever. Orléans avait un secrétaire, que la princesse n'appréciait pas du tout, elle le fait remarquer à une ou deux reprises. Et ce secrétaire s'appelait... Choderlos de Laclos.

"Monsieur mon amour" est un roman ancré dans l'Histoire. Il la regarde, la travaille, la raconte,  aussi, même si le point de vue sera forcément critiqué par certains, jugé un peu trop favorable, peut-être, à la princesse. Débat sans fin, je l'ai dit. Prenons-le pour ce qu'il est : un roman, avec tout ce que cela implique de subjectivité.

Alexandra de Broca ne revendique d'ailleurs rien d'autre : elle explique bien ne pas faire oeuvre d'historienne, même si elle n'ignore pas quel matériau elle a en main, mais bien écrire une fiction dans laquelle elle met en scène des personnages historiques. La tension naît toute seule, puisque, contrairement à la narratrice, nous connaissons le dénouement d'entrée...

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