samedi 1 octobre 2016

"Il valait mieux laisser Leonardo à sa vie d'Américain. Pourquoi le ramener à ses origines alors que sa mère a tout fait pour l'en éloigner ?"

Au moment d'attaquer la rédaction de ce billet, je ne vous cacherai pas que je suis bien embêté... On a là un roman tellement composite que je ne sais pas vraiment pas quel bout le prendre. C'est une quête d'identité, on le comprend à travers la citation extraite pour servir de titre à ce billet, mais il y a aussi une partie thriller, du roman historique, une vraie dimension politique et critique... Et tout ça donne un roman prenant, dont le personnage principal n'est peut-être pas celui qu'on croit. "Le jour se lève et ce n'est pas le tien" est le nouveau roman de Frédéric Couderc, paru aux éditions Héloïse d'Ormesson, et il nous emmène entre New York et l'île de Cuba. Il nous fait surtout découvrir un personnage devenu un héros national pour de nombreux Cubains alors que le reste du monde l'a oublié. Et pourtant, son destin est tout sauf anodin, et le romancier français l'a compris...



Leonard Parker va enterrer sa mère, Dora Parker. Cet obstétricien, marié et heureux en ménage, en est très affecté, on le comprend. Il est surtout un peu agacé, car il ne comprend pas pourquoi sa mère a choisi d'être enterré dans un cimetière situé à l'opposé de la ville de New York par rapport à son habitation... Union City, le choix lui semble bizarre...

Bizarre aussi, cette cérémonie au cours de laquelle Alice, l'épouse de Leonard, aperçoit une inconnue, une femme d'un certain âge, qui est manifestement venue rendre un dernier hommage à la défunte, mais ne s'est pas présentée à la famille... Il y a de quoi se poser des questions et mettre en action l'imagination d'Alice, qui gagne sa vie en écrivant des romans à l'eau de rose...

Mais, l'enquête qu'elle décide de mener va connaître un arrêt brutal : Leonard se faut sauvagement agresser, sans doute par un militant anti-avortement, et sombre dans le coma. A son réveil, il n'est plus vraiment le même homme. Le mari aimant, qui ne se posait aucune question sur son passé, est désormais obsédé par les secrets de sa mère.

Il quitte sa femme, son boulot et une seule chose compte désormais : comprendre. Comprendre tout ce que lui a caché Dora Parker et découvrir qui était son père, qu'il n'a jamais connu. Sa détermination se cristallise sur un lieu bien précis : Cuba... Se pourrait-il qu'il soit originaire de cette île, lui qui a toujours vécu en étant persuadé qu'il était un Américain pur sucre ?

Parallèlement, le lecteur découvre un journal intime, signé par Dolorès de la Prada. Le texte date de 1959 et nous emmène justement à Cuba. La jeune femme est née d'une famille issue de la noblesse espagnole et devenue propriétaire terrienne sur l'île. Le père de Dolorès a toutefois largement prospéré sous la dictature de Batista, en se lançant dans de juteuses affaires.

Mais, avec la révolution lancée par Fidel Castro et ses Barbudos, Batista a été déchu et la famille De la Prada est désormais dans la ligne de mire du nouveau pouvoir socialiste en train de se mettre en place. On chasse les traîtres, on confisque les richesses gagnées indûment, avec les Américains et les mafieux, on nationalise certaines entreprises aux capitaux US...

Alors que l'étau se resserre, Dolorès va retrouver par hasard un garçon qu'elle avait connu des années plus tôt, avant qu'il ne quitte Cuba. Il s'appelle Camilo Cienfuegos et le revoilà à la Havane, aux côtés des frères Castro et du Che. Il a participé activement à la campagne révolutionnaire, on dit même qu'il a libéré la capitale sans qu'un seul coup de feu n'ait été tiré.

Camilo est beau, c'est un séducteur et son aura est encore renforcée par son statut de héros révolutionnaire. Son charisme est évident, largement supérieur à bien des leaders du nouveau pouvoir, y compris Raul Castro et Che Guevara. Il subjugue, multiplie les conquêtes et devient rapidement l'incarnation du romantisme à la sauce cubaine...

Entre Dolorès et Camilo, les retrouvailles prennent vite la forme d'une liaison aussi torride que secrète. Elle sait pertinemment que cette relation n'est pas exclusive, mais Camilo revient toujours vers elle, avant d'aller remplir ses tâches révolutionnaires. Mais, bientôt, le couple est rattrapé par les événements politiques qui agitent Cuba en cette année 1959...

On s'en doute, les deux histoires, séparées par 50 ans (l'action contemporaine se déroule en 2009), sont étroitement liées. Ces liens, on les pressent mais ce n'est pas le but de cette histoire, en tout cas pas directement. En fait, la mort de Dora Parker est un détonateur : paradoxalement, au lieu d'emmener ses secrets dans la tombe, elle va, en disparaissant, ouvrir une boîte de Pandore.

J'insiste sur la date, car le roman de Frédéric Couderc, sorti en septembre, arrive alors que les relations entre Cuba et les Etats-Unis se réchauffent. Mais, en 2009, ce n'est pas le cas et cela complique forcément la donne, ne serait-ce que pour se rendre sur l'île depuis le territoire américain. Mais, les vrais obstacles vont venir d'ailleurs...

Cette révolution castriste a mis à bas tout un système mafieux qui enserrait Cuba comme une pieuvre le ferait avec ses tentacules. Les lecteurs de James Ellroy connaissent bien tout cela et l'on voit d'ailleurs passer quelques noms et visages connus, déjà vus dans la trilogie "Underworld USA"... On retrouve tout le grenouillage américain autour de Cuba depuis un demi-siècle...

N'en disons pas plus là-dessus. Mais, cela nous permet d'introduire un des éléments importants de ce roman : Frédéric Couderc a tissé une trame romanesque totalement imaginaire, mais il s'est inspiré pour cela de personnages bien réels. Pour nombre d'entre eux, ils n'apparaissent pas tels qu'on les connaît ou tels qu'on peut en retrouver la trace.

Mais, en annexe, vous découvrirez ceux qui se cachent derrière les personnages de papier, renommés pour l'occasion. Et puis, il y a ceux qui apparaissent bien dans leur identité propre, y compris Fidel Castro. Le Lider Maximo est un peu le trait d'union entre les deux époques, jeune chef révolutionnaire devenu cacique d'un pouvoir dévoyé.

Ce n'est toutefois pas lui qui est le personnage historique le plus important de ce roman. C'est Camilo. Je ne vais pas vous raconter sa vie, elle est au coeur de l'intrigue. Evitez donc de vous précipiter sur un moteur de recherche pour savoir qui il est, vous feriez alors apparaître des éléments forts de l'histoire, car c'est bien autour de son destin que tourne le livre.

Ce que je peux vous dire, en revanche, c'est que Frédéric Couderc s'est appuyé sur les zones d'ombre de l'Histoire pour élaborer son intrigue. Un aspect classique du travail de romancier qui est ici très bien exploité. Camilo Cienfuegos est entouré d'un mystère qui perdure encore aujourd'hui et pourrait bien ne jamais se dissiper...

Alors, puisque c'est la force de l'imaginaire, pourquoi ne pas allez au-delà de ce qu'un historien peut proposer ? Frédéric Couderc s'empare des rumeurs, des théories, des controverses, et les intègre à son récit, en en faisant un ressort particulièrement efficace. Avec, en plus de l'aspect purement romanesque, des éléments qui lui permettent de critiquer durement le régime castriste.

Et pas seulement le régime, mais certaines de ses figures emblématiques : Raul Castro, l'actuel chef de l'Etat cubain, mais aussi Che Guevara. Ils en prennent pour leur grade, tous les deux, mais particulièrement le cadet des Castro, dont Couderc dresse un portrait tout sauf héroïque... Et c'est le point de départ d'une critique sévère de ce que sont devenus les idéaux révolutionnaires cubains...

Le projet initial qui devait destituer Batista pour instaurer la démocratie sur l'île a rapidement laissé la place à une prise de pouvoir autoritaire de la part des Castro et de leurs lieutenants. Et gare à ceux qui montraient des réticences, ils ont été écartés sans ménagement. Certains comptes personnels ont également été soldés, sans merci...

On voit, au fil des rencontres, apparaître la diversité des exilés cubains : les anti-castristes purs et durs, opposants de toujours, par idéologie ou parce que la dictature les a marqués ; et puis les déçus du castrisme, ceux qui pensaient voir advenir un régime juste et égalitaire, avant de déchanter et de devoir, eux aussi, quitter l'île...

C'est dans ce contexte que s'inscrit le récit de Dolorès de la Prada, celui d'un régime qui se durcit et délaisse ses promesses pour instaurer un pouvoir sans partage, sans grand rapport avec l'utopie initiale... Il y a donc un marteau et une enclume, et si l'on se retrouve entre les deux, il faut savoir se protéger... Les voilà, les enjeux !

Ne croyez pas pour autant que Frédéric Couders soit juste un anti-castriste primaire et viscéral. Non, dans "Le jour se lève et ce n'est pas le tien", il donne aussi une vision acerbe de l'exercice du pouvoir aux Etats-Unis : des magouilles d'hier (et seulement d'hier ?) de la CIA, capable de s'allier à la mafia pour retrouver son île chérie, à la crise des subprimes et du capitalisme triomphant, là aussi, il y a à dire.

Quête d'identité, thriller, roman historique, roman politique et critique... Il me semble que j'ai évoqué tous les aspects de ce roman riche qui aurait pu partir dans tous les sens mais se tient bien, au final. Les vilains petits secrets d'hier et d'aujourd'hui sont équitablement partagés, Dolorès hier, Leonard aujourd'hui, se retrouvent malgré eux dans ce maelström...

Je ferais une erreur en ne parlant pas d'amour dans ce billet, car il est là aussi, très présent, dans la période passée, bien sûr, mais aussi dans la période présente. Amour passion, amour conjugal, mais aussi amour filial. Oh, ce dernier, bien sûr, est le moins évident, les mensonges et les secrets de Dora blessant profondément Leonard. Mais, l'ignorance est la meilleure des protections...

Alors, oui, il y a beaucoup d'amour dans ce roman, des amours contrariées et des remises en question. Alice, l'épouse de Leonard, reste un personnage secondaire mais elle n'en est pas moins touchante, désarmée devant les événements qui la prive de l'homme qu'elle aime, sans qu'elle puisse se l'expliquer vraiment.

Quant à Leonard, si l'on comprend rapidement ce qu'il devrait découvrir, reste à comprendre les conséquences que cela aura sur lui et sur la suite de son existence. Le personnage au départ, m'a semblé un peu falot, jusqu'à son agression. Ensuite, il ne se métamorphose pas en super-héros, mais il trouve une raison de sortir de son train-train et de sa confortable vie.

Mais, le véritable personnage central de ce livre, c'est vraiment Camilo, dont le charisme traverse les années et les pages pour arriver jusqu'au lecteur. On a envie de mieux le connaître, de le suivre. Dans son journal, Dolorès écrit cette phrase : "... Et par-dessus les flots, je verrai briller Camilo". Pour nous, nous qui n'avions jamais ou si peu entendu parler de lui, c'est désormais à travers les pages du rman de Frédéric Couderc que nous voyons briller son image, incandescente...

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