samedi 15 juin 2013

"Le grand péché du monde moderne, c'est le refus de l'invisible" (Julien Green).

Il y a les thrillers purs et durs, implantés dans notre monde réel, il y a les thrillers fantastiques, qui intègrent dans leur intrigue des phénomènes étranges, hors du réel, et puis, il y a les thrillers qui oscillent entre les deux, avec une intrigue qui peut laisser penser qu'on va basculer dans le fantastique, mais qui peut finalement choisir de rester ancré dans le réel. Suis-je clair ? J'espère, parce que le roman du jour flirte avec le fantastique, sans en être un. Mais que de questions il pose, tant dans son développement que dans son dénouement ! Jusqu'ici, je ne m'étais guère interrogé que sur le destin des hirondelles alors que le printemps ne revient pas au-dessus de chez moi, à la rigueur, sur les différences entre hirondelles européennes et hirondelles africaines... Mais ce volatile me laissait le plus souvent indifférent, allez savoir pourquoi... Jusqu'à ce que j'ouvre le nouveau roman de Mallock, "le cimetière des hirondelles", publié au Fleuve Noir. Car, à la suite de ces oiseaux, j'ai voyagé, dans l'espace et dans le temps, et j'ai passé une excellente journée de lecture, entre soleil tropical et neige parisienne...


Couverture Le Cimetière des hirondelles


Pourquoi Manuel Gemoni, jeune homme sans histoire, est-il devenu un assassin ? Pourquoi ce spécialiste de l'Egypte ancienne au Collège de France a-t-il disparu pendant deux semaines pour réapparaître à Saint-Domingue et y tuer un vieillard, Tobias Darbier, qu'il ne semblait même pas connaître ? Pourquoi ce garçon, dont la seule bizarrerie est une phobie profonde de la forêt et du noir, a-t-il tué de sang froid avant de dire aux policiers dominicains venus l'arrêter : "je l'ai tué parce qu'il m'avait tué..." ?

Voilà les questions qui tournent dans la tête du commissaire Amédée Mallock dans l'avion qui l'emmène en République Dominicaine. Le flic, bourru et pas franchement porté sur les voyages touristiques, doit en effet prendre en charge Manuel Gemoni afin de le ramener en France, pour qu'il y soit jugé. Une procédure insolite, car Manuel est le frère de Julie, une des adjointes de Mallock au 36, quai des Orfèvres. S'il ne s'était agi de Mallock, flic ayant connu les honneurs médiatiques lors d'une affaire précédente, ce n'est certainement pas à ce groupe qu'on aurait confié la mission de ramener Gemoni au bercail.

Mais le commissaire a donc suffisamment le vent en poupe pour qu'on lui confie ce dossier diplomatiquement délicat avec l'assurance que tout ne partira pas en vrille. Reste que si tout a été en principe prévu en amont par ministères interposés, ce genre de récupération peut toujours prendre un peu de temps et Mallock se prépare à l'idée de rester quelques jours (de trop ?) dans ce paradis terrestre...

6 jours. C'est le temps qu'il va falloir à Mallock pour obtenir un transfert en bonne et due forme. 6 jours, et pas mal d'événements qui vont pimenter le séjour du policier français. Une plongée exotique dans une société bien différente de la nôtre, la découverte de la personnalité de la victime, éminence grise des régimes les plus durs ayant dirigé le pays, quelques étapes gastronomiques, parce qu'il faut toujours découvrir les spécialités locales, des discussions avec des diplomates, des magistrats, des policiers, tous marchant sur des oeufs, et une acclimatation au climat au combien différent de celui de l'Hexagone, surtout en novembre...

Et puis, des choses quand même plus grave et inquiétantes, des interrogatoires délirants de Manuel Gemoni, dont ne sortent que des réponses sans queue ni tête, les menaces qui pèsent sur le jeune homme, déjà grièvement blessé lors de son arrestation, car il a tué une personnalité tout sauf anodine, un séjour qui se prolonge alors qu'il serait bien mieux protégé en France, et, cerise sur le gâteau, une attaque venue d'où on ne l'attendait pas...

Mais ce voyage va aussi être l'occasion pour Mallock de faire d'étranges découvertes. Aucun élément décisif pouvant faire avancer son enquête, ça non, Gemoni n'est pas assez cohérent pour en donner, ni même pour pouvoir expliquer son attitude et son geste, quant aux Dominicains eux-mêmes, on ne les sens guère portés sur les confidences. Mais sur lui-même et sur quelques phénomènes que nous autres, pauvres occidentaux blasés, méprisons... Saint-Domingue est une terre de mystère, de vaudou, de magie, ne l'oublions pas !

Au retour, changement de décor : l'hiver est rude et la neige s'est emparée de Paris. Mais pas changement de situation... Manuel Gemoni n'a toujours pas pu ou su expliquer son geste. Et, mauvais nouvelle supplémentaire, si on l'a autorisé à revenir en France pour être jugé, il est fort probable qu'on le renvoie ensuite en République Dominicaine... Il devient urgent pour Mallock de trouver comment innocenter le frère de son adjointe, sinon, des heures pénibles l'attendent... Et de gros dangers aussi...

Alors, Mallock et son équipe vont s'atteler à comprendre pourquoi Gemoni a tué si loin de Paris. Là-bas, le commissaire n'a rien trouvé, si ce n'est un a priori défavorable à la victime... C'est peu. Et si les réponses à toutes leurs questions se trouvaient en France, là où Manuel a été comme pris de folie, jusqu'à aller à l'autre bout du monde pour assassiner un homme...

Alors, on ne chôme pas, on cherche ce qui a pu déclencher cette pulsion mortelle. Et on va essayer de faire parler le suspect principal. Oh, pas comme ça, dans un interrogatoire classique, puisque ça ne marche pas... Non, Mallock décide alors de recourir à l'hypnose, avec l'aide d'un praticien connu et reconnu, Maître Long, afin de fouiller dans la tête de Manuel pour y trouver enfin de quoi orienter son enquête.

Mais, ce qui va sortir de ces séances est tout bonnement pire encore que ce que Manuel avait pu dire jusque-là... Là, il ne s'agit plus seulement de propos incohérents et incompréhensibles pour ses interlocuteurs... Non, l'histoire que Manuel Gemoni raconte sous hypnose est tout bonnement incroyable, au sens premier du terme, et plonge Mallock, Long, Julie et tout ceux qui vont les entendre, dans une profonde consternation...

Je ne vais évidemment rien vous dire à ce sujet, bien que j'en meure d'envie, croyez-moi, mais c'est le coeur du roman, et comme c'est un thriller, il faut en laisser dans l'ombre pour ceux qui n'auraient pas encore succombé, n'est-ce pas ? Ce que je peux vous dire, c'est qu'après un moment de sidération, assez logique, Mallock et ses adjoints vont se mettre en quatre pour essayer de vérifier le récit de Manuel, aussi ahurissant soit-il...

Une nouvelle enquête commence alors, pleine de surprises, de rebondissements, qui va emmener dans des lieux inattendus et surtout, renvoyer l'affaire à une sombre époque, bien loin des chaleurs dominicaines ou des neiges parisiennes présentes... Il va falloir se démener pour renouer les liens entre tout ça, sans oublier que la pression judiciaire et médiatique enfle et que Mallock a beau avoir un capital sympathie et un dos bien large, les vent finit parfois par tourner, surtout quand on est au service d'un juge ambitieux...

Personne n'est encore au bout de ses peines, dans cet épineux dossier, et si les hirondelles apporteront dans leur sillage des débuts de réponses, elles colporteront aussi dans le même temps leur lot d'emmerdements et d'écueils. Mais, malgré tous ces efforts, malgré des recours à des techniques vraiment peu orthodoxes, cette plongée dans les subconscients ne permettra pas de lever toutes les zones d'ombre...

De quoi rester circonspect, mais aussi de considérer notre bon vieux scepticisme cartésien d'un autre oeil...

Oui, j'ai bien conscience que je laisse beaucoup de zones d'ombre, mais, si je les levais ici, tout le monde me tomberait dessus en brandissant l'étendard du spoiler, qui est au blogueur ce que les gousses d'ail et le crucifix sont au vampire... Croyez-moi, moi qui adore évoquer les thématiques fortes des livres dont je parle, je me trouve terriblement frustré, avec ce roman de Mallock.

Car, je ne peux pas parler et développer ce qui concerne la principale thématique du livre. Et pourtant, qu'il y en aurait à dire sur ce sujet ! Et, plus généralement, sur la question du paranormal dans ce livre, présente à divers moments, sous des formes très différentes et qui, si on se montre attentif à la construction du livre, viennent finalement rendre les choses encore plus embrouillées qu'elles ne le sont déjà...

Alors, intéressons-nous à ce Mallock, que je découvre. Personnage et auteur, tiens, ça me rappelle un autre commissaire, ça... Un certain... San Antonio, non ? Derrière Mallock, il y a Jean-Denis Bruet-Ferreol, je le cite, puisque c'est écrit sur la quatrième de couverture du livre, je ne trahis donc aucun secret... Un touche à tout qui, lorsqu'il se met au roman, met son costume de commissaire, comme Clark Kent, sa cape de Superman.

Mallock, c'est un gros nounours, si, si, je l'affirme ! Un bonhomme bourru, volontiers misanthrope et pas toujours commode, au caractère franc et bien tranché, mais qui sait aussi, avec ceux dont il est proche, révéler son coeur d'or. Dans "le cimetière des hirondelles", d'ailleurs, on le voit d'emblée... Julie ne lui a pas parlé de la disparition de son frère tout de suite, seulement une fois que le meurtre a eu lieu, et elle aurait pu prendre en retour une soufflante...

Non, le commissaire est bien trop malin pour ça, et surtout, il va se débrouiller pour qu'on le charge de l'affaire, malgré l'impression de conflit d'intérêt qu'on peut avoir... Ensuite, certes, il va imposer sa façon de faire, parfois l'infléchir en fonction de ce que ses lieutenants lui diront, mais sans jamais vraiment ouvertement le reconnaître, on a sa fierté, mais bomber le torse aussi lorsque le juge affirmera publiquement que cette affaire n'avance pas et remettra en cause ses méthodes et lui rabattre son caquet joliment.

Oui, l'orgueil du Mallock est proportionnel à sa consommation d'eau-de-vie provenant de la distillation de céréales maltées ou non maltées... Oui, de whisky, oh, si vous chipotez... Bref, le commissaire piave sec, mais avec goût, toujours ! C'est aussi un amateur de musique, aux goûts éclectiques, même si les Beatles, je crois, sont au sommet de son Panthéon.

C'est aussi un homme équipé et à la pointe de la technologie, même s'il se montre discret sur ses recherches personnelles. Pourtant, en quelques clics, enfin un peu plus, il fera avancer son affaire, grâce à une comparaison d'images réalisés en loucedé. Mais, il conserve des automatismes de flic à l'ancienne, le pif, il n'y a que ça de vrai, mes amis... Et, lorsqu'il va un peu l'oublier, dans cette histoire, on va, dans son équipe, se charger de lui rappeler, même si ce sera avec fracas...

Il n'empêche que ce bon vivant, qui, quand il ne picole pas, ne crache pas sur la bonne chère et sait se mettre aux fourneaux pour mijoter de bons petits plats qu'on partagerait volontiers avec lui, reste un enquêteur hors pair, un limier qui ne lâche rien avant d'avoir réussi à résoudre les énigmes. Et plus encore quand il y a une dimension personnelle qui entre en compte, comme ici : Mallock connaît évidemment Julie, avec qui il travaille au quotidien, et avait déjà croisé Manuel et son épouse avant cette pénible histoire...

Et puis, il y a quelque chose que j'adore, chez Mallock : il a un avis sur tout et n'hésite jamais à le donner, surtout si on ne lui a rien demandé... Et allez lui dire, à cet ours pas toujours bien léché, quel euphémisme, que vous n'êtes pas tout à fait en phase avec ce qu'il dit, tiens ! Oui, l'homme a un caractère bien trempé et une personnalité tout sauf lisse, voilà qui en fait un personnage attachant ou agaçant, mais qu'on a envie de suivre, sur qui on sait qu'on peut compter en cas de coup dur...

Pourtant, je ne devrais pas être surpris, de tout ça. Je le savais déjà, via les réseaux sociaux... Et plus encore après avoir été "détronché" en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, au dernier Salon du Livre par le grand homme en personne... Ou son alter ego, je ne sais plus bien... Une rencontre qui m'a permis d'entrer plus facilement dans le roman, parce que j'avais l'impression de déjà connaître Mallock... Pour de vrai !

Quant à son intrigue, je dois dire que je me suis posé des questions... Je ne voyais pas bien où on allait en venir, en particulier dans la partie dominicaine du roman. Et puis... scotché, j'ai été, dès le retour à Paris, dès le premier interrogatoire sous hypnose. A partir de là, je n'ai plus lâché le roman pour comprendre, chercher une explication logique, rationnelle, à une histoire qui défiait encore un peu plus la raison...

J'ai alors suivi les pas de Mallock et de son équipe, partagé leur consternation, leurs interrogations, leur agacement devant l'absurdité apparente de cette histoire, leurs joies pour un mémorable réveillon de Noël et la terrible peine qui va suivre, j'ai cogité en même temps qu'eux, cherché les failles pour s'y engouffrer ou, au contraire, les indices qui corroboreraient le récit de Manuel...

Oui, j'ai vécu intensément cette enquête en ressortant avec les même interrogations que ce coquin de Mallock, qui a cuisiné un rapport aux petits oignons, mais qui se pose encore des questions après... Pas convaincu de ses propres conclusions, le commissaire ? Si, certainement, mais sans doute aussi très curieux de ce qu'il a fait apparaître... Car, derrière une façade au combien rationnelle, on sent bien que le flic teigneux, ne cesse de se demander si, parfois, la vérité ne serait pas ailleurs...

Alors, après le voyage à Saint-Domingue et une expérience, disons, bizarre, puis cette histoire à dormir debout et, au final, des petites choses sans importance mais qui en disent longs sur ce que nous ne comprenons pas, nous, enfants des Lumières, de la Raison et du matérialisme... Et si l'animal intelligent qu'est l'Homme avait perdu de vue une certaine ouverture d'esprit, et s'il avait rogné ses capacités de perception au point de ne plus savoir en ouvrir les portes ?

Et si, tout simplement, il avait désormais des idées trop arrêtées sur tout, et perdu sa capacité à s'émerveiller, à s'interroger, à penser le monde autrement ? Sceptiques, nous le sommes tous forcément un peu, devant les sujets abordés dans "le cimetière des hirondelles", Mallock et son double les premiers, je pense. Mais est-ce une raison pour dire "ça n'existe pas ?" quand un "je ne sais pas" pourrait s'imposer ?

Attention, je ne dis pas que je suis moins sceptique qu'avant d'avoir lu le roman de Mallock, je ne le pense pas, en fait, mais cela ne m'empêche pas de considérer ces sujets avec curiosité... A condition qu'on ne les réduise pas à des numéros de cirque ou à des émissions de télévision bien racoleuses, chargées d'attirer la ménagère et d'assurer une confortable audience...

Là, Mallock fait de cette question délicate, polémique, un vrai ressort de son intrigue. Comme dit en préambule, on n'est jamais loin de franchir cette frontière si floue qui nous sépare du fantastique. Ce à quoi se refuse Mallock, persuadé qu'il y a un mobile bien humain, bien terrestre à tout cela... Et pourtant, des mangroves dominicaines à une forêt normande bien sombre et peu rassurante, sans oublier un site parisien bien connu, qu'on découvre de façon très étonnante et originale, partout le doute demeure...

Comme si une petite voix murmurait à notre oreille un mantra : "ce n'est pas tout, c'est insuffisant, il y a une autre explication"...

A moins que cette voix ne soit... une musique... obsédante...



1 commentaire:

  1. Rien que pour le côté intriguant et décalé de ce thriller je le lirais bien tiens ! J'aime bien ce personnage atypique tel que tu le décris ( à la fois irritant mais que l'on a envie de découvrir). Je vois que tu t'es posé pas mal de questions avec ce roman ... tu doutes, tu doutes, Drille ! hihi !

    RépondreSupprimer