Oui, je sais, ça démarre fort. D'autant que notre livre du jour n'est pas une fiction mais le récit par une chroniqueuse judiciaire, et pas n'importe laquelle, d'un des grands faits divers contemporains. Cette phrase, c'est elle qui a fait basculer cette affaire après presque 40 ans d'enquête, d'atermoiements, de doutes, de présomptions, trois procès et je ne sais combien de magistrats instructeurs. A plus d'un titre, l'affaire Agnelet/Le Roux entrera dans les anales judiciaires du pays par son caractère atypique, sa durée, son dénouement, son contexte spécial, ses zones d'ombre et, sans doute plus que tout, son personnage central, Maurice Agnelet. "La déposition", récit que publie les éditions l'Iconoclaste ma chroniqueuse judiciaire du Monde, Pascale Robert-Diard, n'est pas seulement la récapitulation des rebondissements qui ont marqué cette affaire, mais l'affrontement de deux hommes, un père et son fils, dans une ambiance familiale qu'on devine plus qu'oppressante...
Avril 2014, Maurice Agnelet, 76 ans, est jugé à Rennes devant la Cour d'Assise pour le meurtre de sa maîtresse Agnès Le Roux à l'automne 1977. C'est la troisième fois que cet avocat se retrouve ainsi dans le box des accusés. Acquitté lors de son premier procès, il a été condamné à 20 ans en seconde instance, après un appel du Parquet.
Le jugement a été cassé par la Cour Européenne des Droits de l'Homme suite aux démarches des avocats de Maurice Agnelet. Cette affaire a, en effet, une particularité : on n'a jamais retrouvé le corps d'Agnès Le Roux. Agnelet est donc jugé pour un meurtre qui reste hypothétique, en l'absence de toute preuve matérielle.
Longtemps, cette affaire a été marquée par le duel à distance que se sont livrées deux personnalités au caractère bien trempé : d'un côté, Maurice Agnelet, donc, et de l'autre, Renée Le Roux, mère de la victime présumée et matriarche d'une famille qui a fait fortune dans les casinos. Persuadée que l'avocat a tué sa fille, cette mère, inébranlable, a tout fait pour que Agnelet soit jugé...
Pourtant, c'est une autre personne qui, en ce début avril 2014, alors qu'on entre dans la dernière semaine du procès rennais, va apporter le témoignage décisif. Cet homme, c'est Guillaume Agnelet, le propre fils de l'accusé. Longtemps soutien actif de son père, aux côtés de sa mère et de son plus jeune frère, il avait pris du champ depuis et n'était pas attendu en Bretagne pour ce 3e procès.
Et pourtant, le voilà, témoignant à charge contre son père, citant cette phrase terrible que je réécris : "De toute façon, tant qu'ils ne retrouvent pas le corps, je suis tranquille. Et moi, le corps, je sais où il est". Dixit Maurice Agnelet. Guillaume donnera dans sa déposition d'autres éléments troublants, tous issus de conversations passées avec son père. Jusqu'à une théorie très plausibles des faits.
La Cour d'Assises est figée, l'affaire est pliée et, sans grande surprise, quelques jours plus tard, la condamnation à vingt ans de prison de Maurice Agnelet est confirmée. Le témoignage de Guillaume a pesé plus que lourd, on l'imagine, dans la décision des jurés. Le pourvoi en cassation de Maurice Agnelet a été rejeté l'été dernier, l'affaire est donc sans doute définitivement close...
Comme tous les journalistes (nombreux) présents à Rennes ce fameux jour, Pascale Robert-Diard est restée stupéfaite devant la déposition de Guillaume Agnelet, à laquelle personne, ni la Cour, ni les avocats, de la partie civile comme de la défense, ne s'attendait. Et elle a voulu chercher à comprendre ce qui pouvait pousser un fils, après si longtemps, à accuser son père d'un meurtre...
Elle a donc écrit à Guillaume Agnelet qui a accepté de lui répondre, de lui livrer sa version des faits, le récit de près de 40 ans pendant lesquels policiers, juges, avocats, ont fait pleinement partie de sa vie. Guillaume avait 8 ans, lorsque l'affaire a débuté. Désormais quadragénaire, il sait qu'il a pris la décision la plus difficile de sa vie, rompant sans doute avec toute sa famille. Le clan Agnelet.
Je ne vais pas revenir ici sur le détail des faits. Sans doute nombre d'entre vous avez entendu parler de cette incroyable affaire où l'on retrouve aussi bien l'ombre de la mafia que les liaisons dangereuses entre magistrats et franc-maçonnerie sur la Côte d'Azur, fortes sommes d'argent et vie sexuelle et sentimentale bien remplie... Evidemment, le livre retrace l'histoire, vous ne serez pas perdus.
Ces faits, ils tiennent une place importante dans ce livre de 230 pages, donc relativement cours (d'autant qu'il s'achève par la retranscription d'une grande partie du jugement rendu par la Cour d'Assises de Rennes), mais ce qui retient l'attention, ce n'est pas uniquement cela. On s'intéresse surtout à l'étrange famille que constituent les Agnelet et au lien particulier qu'entretiennent Maurice et Guillaume.
La famille Agnelet... Le père, Maurice, aussi séducteur et charismatique qu'il peut se montrer dur et intransigeant. La mère, Anne, qui ferme les yeux sur les multiples liaisons de son époux de l'époque et ne s'opposera pas frontalement à lui même par la suite, alors qu'ils ne vivent plus ensemble. Les fils, Jérôme, Guillaume, Thomas, dont les relations avec le père paraissent assez complexe.
Intéressons-nous à Guillaume, puisqu'il est le personnage central du livre, bien malgré lui. Fils cadet, il se retrouve, c'est clairement dit, en position de fils aîné à la mort de son frère Jérôme, dans les années 80. Un rôle qu'il va manifestement avoir du mal à endosser... Mais qui va aussi lui valoir les confidences de ses parents, qui seront le fondement de sa déposition.
Pourtant, ce qui frappe le lecteur, c'est le cas de conscience (je crois d'ailleurs, si je me souviens bien, que Guillaume a employé ces mots lors de son adresse à la Cour d'Assises) que connaît le fils de Maurice Agnelet et les doutes qui naissent assez tôt dans son esprit et qu'il balaye d'abord. On mesure à quel point cette histoire et ce qu'il en devinait ou en savait ont rongé ce garçon pendant de très longues années.
Et puis, il y a la personnalité de Maurice Agnelet. Lors de ses trois procès, on ne peut pas dire que l'homme aura conquis le public. Au contraire. Ce sera même un des soucis de sa défense, qui sait très bien qu'à chacune de ses interventions, il donne une mauvaise image de lui. A tel point que Maître Saint-Pierre, dans sa plaidoirie, à Rennes, s'adressera directement à lui pour lui reprocher ce comportement hautain, tout en rappelant que ce n'est pas parce qu'on est antipathique qu'on est un assassin.
Mais ça, c'est l'image publique. Ce qu'apporte le témoignage de Guillaume, c'est un portrait plus intime, plus personnel de Maurice Agnelet. Et ce qui en ressort est encore pire que ce que l'on peut imaginer. De "La Déposition", on ressort avec un sentiment de malaise certain devant la peur que l'on ressent chez ce fils. Un peur panique, qui n'a cessé de prendre de l'ampleur au fil des ans.
Et, à voir le comportement d'autres proches de Maurice Agnelet, on comprend à quel point tous ont vécu dans la crainte, crue, aiguë, diffuse mais omniprésente, des réactions de Maurice Agnelet envers qui sortirait de la voie tracée. D'antipathique, Maurice Agnelet devient, dans le portrait qu'en fait son propre fils, un être manipulateur, menaçant. En un mot : dangereux.
Guillaume est-il le plus fort ou au contraire, le plus fragile des membres du clan Agnelet ? Toujours est-il que son témoignage recoupent d'autres éléments obtenus par d'autres acteurs de l'affaire. Et ce, de façon troublante, parfois. Sans qu'on puisse parler de hasard, de manigance ou de collusion. Non, ce ne sont peut-être que des indices, mais en apparaissant à plusieurs reprises, ils prennent du poids.
Alors, Guillaume est-il un garçon courageux qui a osé s'opposer au père omnipotent et menaçant ? Ou a-t-il simplement cédé à la peur qui le tenaille ? Un peu des deux, si l'on en croit l'enchaînement des faits. Mais ne voyez pas de connotation négative à ce propos. Non, je défie quiconque, sous la pression qui pesait sur Guillaume, de ne pas sérieusement flipper. De ne pas craindre pour sa vie.
Comment en arrive-t-on à ce qu'un fils, adulte, la quarantaine, redoute de voir son père mener des représailles contre lui ? Ou, il le dit formellement, attente à son existence ? Dans "La Déposition", Pascale Robert-Diard développe cet aspect familial qui, des deux côtés du dossier, s'avère fondamental.
Les Agnelet comme les Le Roux sont deux clans qui s'affrontent devant la justice, devant les médias, aussi. Deux clans qui, en apparence, sont extrêmement soudés. Du côté Le Roux, cette impression ne sera pas démentie. Mais, on comprend, à travers ce livre, qu'il n'en est pas de même du côté Agnelet et que l'union est forcée.
Peut-être suis-je influencé, mais lors de son témoignage devant la Cour d'Assises de Renne, Anne, l'ex-épouse de Maurice Agnelet, la mère de Guillaume, paraît terrifiée. Et réfute tout ce que dit son fils dans son témoignage, comme Thomas, comme Maurice. Guillaume ment, Guillaume affabule, selon eux...
Un terrible déni qui a frappé chaque membre du clan pendant longtemps, jusqu'à ce que Guillaume cède, au troisième procès, après 37 ans d'enquête. Mais, il n'a pas entraîné ses proches dans son sillage et passe pour le vilain petit canard, le traître... Sa mère l'accusera même d'être un garçon violent, cherchant à décrédibiliser ses propos.
J'ai évoqué la relation au père, la relation de Guillaume à sa mère est également, à un degré moindre, fascinante et déroutante. Cela témoigne de l'emprise de Maurice Agnelet sur son ancienne épouse. Et cela en fait, à mes yeux, mais je ne suis qu'un humble lecteur et spectateur, un personnage effrayant qui pourrait tout à fait avoir tué une femme, que ses raisons soient bassement pécuniaires, comme on le suppose, ou qu'il se soit débarrassé d'une personne qui s'accrochait.
Les Agnelet ont lavé leur linge sale devant les Assises, en tout cas, ils ont exposé leurs différends lors de cette journée comme le système judiciaire français en a connu peu dans son histoire. "La déposition", c'est véritablement le récit de cette implosion, de ce qui a mené à cette situation qui a suspendu le temps dans le prétoire.
C'est un livre glaçant, assez éprouvant, aussi, car on compatit avec cet homme qui se retrouve dans ce terrible engrenage malgré lui. De l'admiration envers son père lorsqu'il était enfant jusqu'à la méfiance, la défiance, près de 40 ans après, on suit ce véritable chemin de croix, marqué par l'étincelle du doute qui, petit à petit, gagne en ampleur.
Malgré tout, malgré la condamnation de Maurice Agnelet, très certainement suite aux mots de son fils, la vérité reste inconnue. Les Le Roux sont certainement soulagés de voir celui qu'ils ont poursuivi pendant toutes ces années enfin derrière les barreaux, mais peuvent-ils faire le deuil d'Agnès, volatilisée, jamais retrouvée ? Et saura-t-on jamais avec certitude ce qu'elle est devenue ?
tu as vu le film L'homme qu'on aimait trop ? il reste assez ambigu sur la vérité de cette affaire
RépondreSupprimerNon, je ne l'ai pas vu. Mais la seule réalité de cette affaire est judiciaire, puisque, encore une fois, on n'a ni corps, ni preuves, ni aveux... D'où, aussi, le poids incroyable de ce témoignage de dernière minute émanant du propre fils du principal accusé.
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