Pas de versets sataniques en vue, mais des chansons de Brel et surtout le deuxième tome d'une série qui me plaît bien, avec une nouvelle enquête complexe qui va même pousser nos intrépides enquêteurs à franchir le Périphérique, eh oui, c'est dingue, je sais... Voilà un très bon exemple d'un polar qui sait être noir sans jamais perdre le sens de l'humour, qui sait parler de sujets sérieux sans se prendre au sérieux. Après "l'heure des fous", Nicolas Lebel met une deuxième fois en scène son trio de flics emmené par l'irascible capitaine Mehrlicht dans "le jour des morts" (en poche aux éditions Marabout). Une histoire sombre comme un ciel de Toussaint (enfin, quand la météo est de saison) et bien enquiquinante à gérer. Avec, au coeur de ce récit, une réflexion sur la justice, sur l'opinion et sur la société du buzz permanent, au mépris de tout le reste... Sérieux, sans se prendre au sérieux, je vous dis !
Fin octobre. Les uns préparent leurs costumes d'Halloween, les autres s'apprêtent à profiter du weekend de la Toussaint pour se rendre sur la tombe de leurs proches. Et, comme souvent, le temps est bien triste et bien humide sur Paris. Le capitaine Mehrlicht veille sur son ami Jacques, qui se meurt du cancer à l'hôpital Saint-Antoine.
Plus exactement, les deux copains font tourner tout le service d'oncologie en bourrique, façon Jean-Gabin et Pierre Fresnay dans "les vieux de la vieille" (oui, je sais, il y a aussi Noël-Noël, mais là, ils ne sont que deux) en picolant, clopant et multipliant les frasques jusque dans les couloirs. Mais comment refuser à un ami qui vit ses dernières semaines ces pieds-de-nez à la Camarde ?
Alors, lorsque Mehrlicht reçoit le jour de la Toussaint un appel sur son portable émanant de ce même établissement, il a comme un coup au coeur. Pourtant, c'est pour tout autre chose qu'on fait appel à lui : un meurtre. On n'est plus en sécurité nulle part, voilà qu'on bute les mourants sur leur lit d'hôpital ! Mehrlicht, flanqué de ses acolytes, Dossantos et Latour, et de son nouveau stagiaire, Lagnac, fonce.
La victime, un homme d'une soixantaine d'années, a manifestement été empoisonné. L'hypothèse d'un ange de la mort, ces personnels médicaux qui abrègent la vie de patients sans se soucier de leur avis, vient aussitôt à l'esprit. L'unique témoignage, celui d'un autre malade hospitalisé à l'étage, semble étayer cette thèse, puisqu'il évoque une femme en blanc, un Ange de la mort...
Au boulot pour essayer de coincer cette suspecte, mais les éléments dont dispose l'équipe de Mehrlicht sont très, très mince. Et l'adversaire s'avère retors. Et dangereux. Quelqu'un qu'il ne va sûrement pas falloir sous-estimer. Une impression qui devient une certitude quand de nouvelles victimes sont signalées.
Le décompte s'emballe brusquement, en particulier parce qu'une famille entière est décimée avec le même poison... Pas de doute, une empoisonneuse particulièrement efficace et meurtrière sévit et la psychose s'installe. Bien malgré lui, après une courte guerre des polices, perdue sans avoir même pu combattre, Mehrlicht hérite du cadeau emp... euh, de cette sale affaire.
L'urgence est réelle et les flics vont devoir se creuser sérieusement les méninges pour trouver un possible point commun entre les victimes. Pas seulement pour remonter la piste, mais aussi pour essayer de calmer une opinion publique qui a peur. Si l'Empoisonneuse frappe au hasard, chacun peut être le prochain sur sa terrible liste...
Je n'en dis pas plus, à vous de jouer si vous voulez voir où cette enquête va mener notre groupe du commissariat du XIIe arrondissement. Une enquête enlevée, pleine de rebondissements et avec son lots de surprises pour le lecteur, car, autour de l'intrigue principale, on découvre, et ce, dès les premières pages, des histoires qui n'ont pas l'air d'avoir de rapport évident avec le sujet...
Je n'en dirai pas beaucoup plus sur ce sujet, ce sera à vous de lire le roman pour cela. Mais ces personnages vont sans doute vous intriguer, avant de trouver petit à petit leur place dans la trame générale (rassurez-vous, Nicolas Lebel n'a pas complètement perdu la raison...). Et, là encore, il y a matière à évoquer des sujets sérieux tout en les traitant avec ironie.
Juste un truc, quand même, appréciation personnelle, mais ça devrait coller avec d'autres qui vont venir d'ici la fin de ce billet. Il est beaucoup questions de vieux livres, dans cette partie-là, de premières éditions de classiques, des objets de collection, désormais, mais aux antipodes de la modernité impersonnelle des e-books. Comme la subsistance d'un ancien monde qui s'éteint, doucement, mais pas sans résister à l'avancée inexorable du progrès...
Parmi les nouveaux personnages, il y a... le stagiaire ! En passe de devenir un running-gag, cette affaire-là, d'un livre à l'autre. Ménard, finalement bien accepté par Mehrlicht, allergique aux stagiaires, a fini par trouver un poste dans un autre service. Place à Guillaume Lagnac, un jeune homme au profil sensiblement différent de celui du précédent stagiaire...
Comment vous dire ? Si, d'emblée, Ménard attirait la sympathie, avec son côté timide de premier de la classe, Lagnac, c'est tout le contraire. On lui flanquerait bien une bonne paire de baffes, histoire d'effacer ce sourire plein de morgue... Il y a chez Lagnac ce côté arriviste, fils-de et bien conscient de l'être qui donne des boutons... Et pas qu'au lecteur !
Avant d'évoquer deux thèmes très importants, un dernier clin d'oeil : autre running-gag, celui de la sonnerie de téléphone de Mehrlicht. Elle change, au début du roman, mais le principe reste le même. Et, au-delà du côté comique qu'instille cette sonnerie à chaque fois qu'elle retentit, Nicolas Lebel fait encore fort en trouvant des citations en parfaite adéquation avec les situations. Chapeau l'artiste !
Mais venons-en aux choses sérieuses. Avec un premier thème qui est celui de l'agitation médiatique. "Le jour des morts" est paru en 2014, avant, donc, la catastrophique année 2015 que nous avons connue. Et déjà, on voit le mal que peut faire le principe de l'information continue, alimentée par le scoop capable de faire le buzz, au mépris de toute autre valeur.
Avec un "beau" sujet comme l'Empoisonneuse, il y a de quoi se lancer dans une magnifique course au scoop, quitte à piétiner le travail des enquêteurs, faire flipper la population, raconter ce que tout le monde veut entendre, oublier le bon vieux principe d'objectivité, tellement has been... Bien sûr, il y a la télé, et particulièrement, les chaînes dédiées à l'information, mais il y a aussi internet.
A l'heure où chacun peut s'ériger journaliste, éditorialiste, reporter d'images, etc., il devient délicat de traiter l'information au plus juste. On s'emballe vite, et l'opinion avec, jusqu'à perdre toute notion de bon sens, d'équilibre, de calme et de recul... Surtout le recul : l'immédiateté recherchée, par tous, nous compris, pousse à ce genre de dérapages, qui se multiplient.
Ici, je n'entre évidemment pas dans les détails du roman, mais on retrouve ce double problème : les informations glanées à la source et livrées telles quelles, sans réflexion, juste en voulant faire du bruit, mais aussi la réception dans le public de cette boule de neige médiatique. Une psychose ? Si c'est bon pour les connexions, les ventes ou l'audimat, quel est le problème ?
L'Empoisonneuse, c'est un sujet formidable. Quand c'est dans un roman, le lecteur frissonne puis referme le livre une fois terminé et on n'en parle plus, peu importe que le personnage ait été mis hors d'état de nuire. Mais, IRL, comme on dit, dans la vraie vie, ce sujet reste une histoire formidable, qui prend des proportions incroyables, lorsque chacun se sent menacé.
Nicolas Lebel, d'ailleurs, s'amuse avec ça (même si, là, le rire est un peu jaune) en remettant au goût du jour le fameux lancement de Roger Gicquel, à propos de l'affaire Patrick Henry : "la France a peur". Oui, notre pays a peur, et pas que de l'empoisonneuse. Entretenir cette peur, même parce qu'on tient une bonne histoire, ce n'est pas raisonnable. C'est dangereux et ça flatte de bas instincts...
Or, cela nous amène à l'autre thématique forte du "jour des morts" : la justice. C'est un fondement de la République, mais, au-delà, de toute société. Et ce que je viens de décrire, autour du système médiatique, amène à ce qu'on passe outre cette notion afin de la rendre expéditive, et souvent, définitive.
N'entend-on pas, en ce moment, des voix s'élever pour réclamer la peine de mort pour tel ou tel, comme à chaque fois que des crimes défrayant la chronique sont commis ? La peine de mort... La vengeance institutionnalisé pour la parer des oripeaux de la justice... Beau paradoxe et sujet de réflexion idéal pour un cours de philosophie...
Pourtant, en y réfléchissant bien, les médias ne sont qu'un symptôme, dans cette affaire. Car, les procès en sorcellerie médiévaux, les tribunaux révolutionnaires, les lynchages ou appels aux lynchages qui jalonnent notre histoire montrent bien que ces tendances existaient bien avant que les réseaux sociaux les relayent allègrement.
Attiser les braises, le vent de l'Histoire s'en est chargé à toutes les époques. Aujourd'hui, c'est simplement l'échelle qui a changé et cela prend vite des proportions qui peuvent être terrible. La vindicte populaire se propage plus vite qu'une traînée de poudre, et les conséquences ne sont jamais bonnes. Pour personne.
Allez, j'en termine avec cette partie, mais c'est justement le coeur de l'intrigue qui se trouve là. La question de la justice, de qui la rend et comment, des conséquences de ces décisions, tout cela est traité sous différents angles dans "le jour des morts", et le travail de Nicolas Lebel doit être salué pour l'habileté et la justesse du raisonnement, quoi qu'on puisse penser du livre en lui-même.
Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que cette deuxième enquête du capitaine Mehrlicht s'achève sur un épilogue en forme de citation. Longue, la citation, puisque cela fait trois pages, et extraite d'un des livres les plus forts de Victor Hugo, "Le dernier jour d'un condamné", dans lequel l'écrivain prenait position contre la peine de mort...
Comme lors de la lecture du premier tome, je me suis énormément amusé devant les facéties de Mehrlicht, intenable, caractériel à souhait, nicotiné jusqu'à la moelle des os. Même Dossantos et Latour, pourtant habitué à la personnalité iconoclaste de leur supérieur, ont du mal à le reconnaître, tant il est survolté.
Mais, l'intrigue est également remarquablement efficace, car longtemps, on patauge, comme les enquêteurs, avant que cela ne se débloque et que l'on commence à entrevoir l'enchaînement des faits, les mobiles, l'agencement des différents fils narratifs, etc. Tout cela grâce à un inlassable travail de terrain, jusque dans des contrées reculées, indignes du parangon de civilisation qu'est Mehrlicht.
Enfin, on n'est jamais au bout de nos surprises, car, jusqu'aux dernières pages, il se produit des événements tout à fait inattendus qui oscillent entre drame et comédie, tant certaines situations frôlent le burlesque. Et, si l'on rit, si l'on tremble, on n'oublie pas la petite note d'émotion qui va bien. Je suis curieux de poursuivre l'aventure aux côtés d'un Mehrlicht qui, malgré son côté rogue, devient de plus en plus sympathique...
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