Il est des livres, parfois, dont on se demande comment on peut en parler, comment on peut exprimer ce que l'on a ressenti en en tournant les pages... "Tout, tout de suite", de Morgan Sportès (en grand format chez Fayard) fait partie de ces livres. Car, en le refermant hier soir, c'est un mélange d'émotions qui m'a étreint : colère, indignation, compassion, inquiétude, révolte devant ces comportements individuels et collectifs qui aboutissent à un tel drame...
Car, si vous n'avez pas entendu parler de ce livre, précisons que c'est un roman (en tout cas, c'est ce qui est indiqué sur la couverture ; Morgan Spotès préfère utiliser pour sa part l'expression "conte de faits") qui nous relate en détails, bien plus en profondeur que ne peuvent le faire à chaud la presse écrite et, encore moins, audiovisuelle, un épouvantable fait divers : l'enlèvement et l'assassinat d'un jeune commerçant de confession juive par une bande de gamins menée par un leader "charismatique", bande qu'on appellera par la suite "le gang des barbares"...
Mais tout l'intérêt de ce livre est de nous expliquer avec force détails, comment on a pu en arriver là et le mérite de Sportès est de nous raconter une histoire assez éloignée, au final, de celle, succincte et pleine de raccourcis, qu'à l'époque, on nous avait servie. Et surtout, au lieu de tomber dans les clichés, les idées reçues et les théories les plus absurdes, il nous dresse le tableau d'une délinquance ordinaire, au mobile uniquement crapuleux, qui va déraper, aller crescendo jusqu'à cet assassinat final, me semble-t-il, plus motivé par la rage et la frustration d'avoir échoué que par une quelconque revendication politique ou religieuse.
L'affaire étant encore fraiche, les accusés nombreux et les ramifications assez longues, Sportès a fait le choix de modifier les noms des protagonistes. Mais pour le reste, son travail de fourmi permet de mieux comprendre ces agissements qui ont choqué notre pays entier en 2006, alimenté le climat si malsain de cette époque et amorcé une campagne présidentielle à venir sous des auspices bien peu agréables.
Disons-le dès le départ : Yacef (le "cerveau" du gang, l'instigateur de l'affaire et celui qui a été condamné pour l'assassinat d'Elie) n'est pas un dangereux islamiste, n'est pas un militant politique dénonçant la pauvreté en Afrique, n'est pas un Robin des Bois des temps modernes, comme il a essayé à plusieurs reprises de se présenter. Son antisémitisme (circonstance aggravante retenue contre lui aux Assises) n'est pas structuré intellectuellement, mais repose sur des idées reçues ("les juifs ont le l'argent et s'ils n'en ont pas, alors, la communauté paiera, ils sont très soudés"), des discours entendus ça et là, qui hélas, sont dans l'air du temps, reconnaissons-le, mais que Yacef, avec son peu d'instruction et sa mythologie de l'argent facile, n'a assimilés que partiellement.
En fait, Yacef est juste un truand minable qui va décider un jour de réaliser "le grand coup" qui lui permettra, pense-t-il, de toucher le pactole. Mais Yacef, dison-le tout de go, est un bras cassé. Tout pêche, de ses idées, pleines de préjugés, à sa logistique plus que brouillonne, en passant par la gestion abracadabrantesque de ses troupes et un caractère irascible qui semble le faire passer en un instant d'un charme certain à une colère noire, effrayante.
Autour de lui gravite une galaxie de jeunes gens complètement paumés chez qui la misère intellectuelle et morale semble l'emporter sur la misère matérielle (certes, ils sont issus de milieux modestes et si certains sont connus des services de police, comme on dit, c'est pour des vétilles). Leur principal point commun : avoir des envies au-dessus de leurs moyens pécuniaires ; des envies sans véritable luxe, mais qu'ils veulent assouvir au plus tôt et par n'importe quel moyen, prêts à tout qu'ils sont pour toucher illico quelques euros.
Le "génie" de Yacef, c'est de savoir séduire autant qu mettre sous pression ses comparses. Mais il les tient aussi par ses promesses de rémunération qu'il distribue avec une prodigalité impressionnante. Comment, dans ces conditions, imaginer qu'il renoncera à ses projets insensés ? L'attrait de l'argent et les promesses faites à tort et à travers sont les garants d'un drame quasi certain.
Car Elie ne sera que le point d'orgue d'une série de tentatives d'enlèvements et d'extorsions. D'abord des menaces envers de notables, médecins en particulier, de faire exploser leurs cabinets. Puis, germe cette idée d'enlèvement, sur un modèle simple : un appât féminin ("les filles, c'est toutes des vicieuses", est l'un des crédos de Yacef), un enlèvement dans un coin sombre, de nuit, une rançon, emballé, c'est pesé.
Mais les tentatives se succèdent en vain et le degré de violence augmente à chaque fois. Sans qu'aucun des comparses ne se pose plus de question que cela. Yacef compartimente si bien les différents secteurs de son "gang" qu'aucun n'a vraiment une vision entière des évènements. Pourtant, les scrupules, ni même le sentiment de participer à des faits criminels de plus en plus graves ne paraissent leur traverser l'esprit. Il faudra la longue, interminable détention d'Elie pour que des dissensions apparaissent, sans que pour autant, personne ne trahisse le secret en dénonçant les coupables et en sauvant Elie du sort inexorable qui semble l'attendre, dans un appartement vide d'abord puis une cave sordide.
Yacef, lui, se révèle alors un jusqu'au-boutiste, empêtré dans ses promesses, blessé dans son orgueil de ne pas obtenir "tout, tout de suite". On ne peut s'empêcher de penser, à la lecture de ce livre, que tout était si mal agencé, qu'il y avait ben trop de monde impliqué, pour que rien ne filtre et, qu'en 3 semaines de détention, les policiers ne puissent être informés de ce qui se passait à Bagneux... Et pourtant, c'est faire fi d'un ciment peu commun et d'une solidité à toute épreuve : la peur.
Car, loin des caïds hollywoodiens, les petites frappes devenues bientôt barbares, se sont toujours tues par peur de représailles, finalement plus fortes que l'appât du gain. Et voilà un gang bien différent des fantasmes ambiants ! Et pourtant, tout aussi effrayant, même si les raisons diffèrent : pas d'impitoyables voyous à la gâchette facile, tenant une cité sous sa coupe, en en faisant une zone de non-droit ; mais de jeunes gens désoeuvrés, sans éducation, sans perspective, sans véritable désir à moyen où long terme, incapable de se rendre compte des conséquences de leurs actes mais finalement prêts à n'importe quoi par bêtise.
De l'autre côté, une société sous tensions, sociales, économique, mais aussi raciales et religieuses, appelons un chat, un chat. Tensions entretenues par une classe politique aux tendances de plus en plus populistes, même si cela doit disloquer le tissu social. Dans ce contexte, et sur une telle affaire, Sportès pose aussi beaucoup de questions sur l'enquête des policiers, avec un leitmotiv : aurait-on pu sauver Elie ? Les négociations ont duré 3 semaines, période pendant laquelle le sort d'Elie n'a cessé de se dégrader, jusqu'à son ignoble assassinat. Jamais les autorités n'ont cédé aux exigences de Yacef. Mais jamais ils n'ont réussi non plus à le "loger" pendant ce temps. Une fois Elie retrouvé, trop tard, l'enquête ira très vite, mais à quel prix ?
Un mot sur la place de l'islam dans ce sordide fait divers. Que n'a-t-on entendu ou lu à ce sujet ? Yacef lui-même, devant les Assises, a joué ouvertement cette carte du Djihad, lamentable tentative pour fuir ses responsabilités. Car l'islam, dans ce drame, n'est rien. Aucun n'a agi par idéologie islamiste. Et, même si un certain nombre des participants à l'enlèvement et à la séquestration est de confession musulmane, aucun n'a été influencé par cela dans ses actes. Au contraire, même. J'ai été frappé par les déclarations de certains des membre du "gang", catholiques convertis à l'islam dans leur adolescence. Tous évoquent l'islam comme une religion de paix, de tolérance, une religion respectueuse et solidaire... Sans jamais paraître réaliser que leurs actes ont été en tous points diamétralement opposés à ces préceptes louables qu'ils exposent aux enquêteurs. Preuve, encore une fois, de la déconnexion totale de ces jeunes gens entre leur vie et les faits qui leur sont reprochés...
Je voudrais terminer ce billet en revenant sur le thème de "barbares" qui est aujourd'hui indissociable de ce fait divers. Sportès le rejette. Sans doute a-t-il raison. Mais l'ignorance se trouve aussi du côté de ceux qui ont eu l'idée de ce nom de "gang des barbares". Ouvrons le dictionnaire : l'acception de l'être cruel et sans humanité arrive en 4ème. La première entrée est le sens historique : le barbare était, sous l'Antiquité, celui qui n'était ni Grec, ni Romain. Autrement dit un étranger.
Et voilà comment ce surnom ne vient qu'alimenter les haines et les tensions raciales, pourtant si artificielles dans ce dossier. En faisant, littéralement, des kidnappeurs d'Elie des étrangers, on les a stigmatisés pour leurs origines représentatives de la société multiethnique qu'est la France aujourd'hui. Alors que si l'on soit stigmatiser quelque chose dans cette affaire, c'est la faillite de notre modèle français, capable d'engendrer dans l'échec patent de son école républicaine et laïque, de tels comportements.
Au final, "tout, tout de suite" est une lecture qui fait froid dans le dos, car on sait que tout y est réel. On y apprend énormément de choses sur cette affaire, une nécessité dans un monde où tout va si vite et on ne prend pas le temps de prendre du recul. Sportès va au-delà des apparences, remet dans son contexte ces faits, apporte des précisions glaçantes sur les faits et sur l'enquête et, finalement, met en évidence les maux dont souffre notre Douce France...
Je me permet de mettre un petit mot, vu que tu en as parlé sur LA, et avec ta chronique pour compléter, je vais surement finir par le lire.
RépondreSupprimerMerci!
Merci à toi, c'est vraiment un livre qui me marquera longtemps. J'espère que tu auras la possibilité de le lire et de revenir partager ton avis ici.
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