lundi 5 septembre 2011

Le massacre d'essaims innocents

Depuis quelques mois que je suis inscrit sur le site Livraddict, j'ai pu y discuter régulièrement avec pas mal d'internautes dont un jeune auteur belge qui vient d'auto-éditer son premier roman. L'auteur s'appelle Eric Descamps et le roman, "Alvéoles".




Dans le Vaucluse, ainsi que dans plusieurs autres coins de France (et peut-être d'Europe), des personnes sont embauchées par une filiale de Météo France pour aller déposer dans des lieux précis, des stations météorologiques de nouvelle génération. Mais, tout cela est un leurre et les porteurs connaissent quelques sérieux soucis de santé à leur retour de mission... C'est le cas de Daniel, un mari et père aimant, qui a accepté le job pour arrondir ses fins de mois en cette période de chômage un peu trop longue à son goût. Résultat : un séjour à l'hosto et son mal transmis à sa fillette et une épouse que l'inquiétude pousse au bord de l'hystérie...

Milos est un hacker, plutôt doué dans son genre. Il vient de mettre au point un redoutable virus informatique, baptisé "la chute des dominos". Un virus qui intéresse beaucoup de monde : Milos est surveillé de près par une charmante agent, membre d'un organisme international de lutte contre le cyber-terrorisme ; il est aussi en contact avec une multinationale agroalimentaire suisse, qui a, dans ses cartons, un projet machiavélique, grâce auquel ils espèrent créer un marché incontournable où leurs produits seront plus que recherchés...

Sabrina est la charmante agent chargé de séduire Milos et de lui voler son virus informatique. Mais, elle qui joue les Mata-Hari va se retrouvée trahie par son propre patron, Morhange, qui se laisserait volontiers corrompre, histoire d'assurer confortablement son avenir financier... Et voilà comment Sabrina, de chasseuse, se retrouve proie, d'adversaire de Milos, sa seule alliée pour essayer de sauver leurs deux vies.

Judith et Domenico sont deux jeunes mariés comblés. Leur voyage de noces doit se dérouler dans la douceur du Vaucluse, dans un maison isolée, symbole de la Dolce Vita. Tout se passe bien pendant le trajet, la maison correspond parfaitement à leurs attentes. Mais le rêve vire au cauchemar quand Judith est inexplicablement attaquée par un essaim d'abeilles. La jeune femme, allergique à leur venin, tombe alors dans un profond coma, au grand désarroi de son cher et tendre, un ex-flic bien décidé à comprendre ce qui a bien pu autant mettre en colère ces insectes habituellement plutôt paisibles.

Enfin, des ruches entières sont décimées, non par des pesticides répandus dans la nature, mais par un terrible prédateur : le frelon d'Asie. Sauf qu'on comprend difficilement comment une telle myriade de frelons a pu débarquer aussi subitement dans nos contrées pour s'y attaquer systématiquement aux essaims autochtones...

Voilà planté le décor de ce techno-thriller. Evidemment, toutes ces histoires, telles les pièces d'un puzzle, vont s'assembler au cours du roman. Car la disparition des abeilles, qu'on constate déjà depuis plusieurs années et qu'on estime liée à un pesticide, le gaucho, pourrait bien être une aubaine pour certains... Alors, pourquoi ne pas l'encourager sciemment ?

Au-delà de cette facette environnementale, "Alvéoles" est un vrai techno-thriller, dans la lignée d'un Crichton ou du Dan Brown de "Forteresse digitale". Car l'informatique y tient une grande part, et, en particulier, tous ces réseaux qui gèrent nos sociétés, nos institutions, nos entreprises et, finalement, nos vies quotidiennes.

Sans rejeter tout cela, mais sans faire non plus de concession à ces systèmes forcément faillibles, Descamps met en lumière tout le pouvoir de nuisance qui peut s'installer derrière le contrôle de ces machines et des programmes qui les font tourner.

Mais, le plus fascinant, c'est que le choix de mettre en parallèle les réseaux informatiques et les abeilles est tout sauf un hasard. Car, on le sait, l'abeille est un insecte sociable, une ruche est un système très organisé, avec des rôles spécifiques, une hiérarchie précise, etc.

Descamps nous montre que l'informatique et le développement exponentiel des réseaux sociaux informatiques pourrait modifier nos rapports sociaux, nous ramener à des instincts quasi animaux qui pourraient bouleverser nos comportements. L'humanité, une ruche qui s'ignore ?

D'ailleurs, pour accréditer cette idée, Descamps inocule dans son récit une goutte, non pas de miel, mais de fantastique. Une forme de communication entre humains sans paroles, juste par l'esprit, comme savent le faire les insectes avec leurs antennes... Une capacité que, pour le moment, peu sont capables de mettre en pratique, sans même en comprendre le fonctionnement, et qui laisse à l'écart tous les non-initiés...

Autre parallèle saisissant : la circulation du venin dans les veines de Judith et la progression du virus informatiques dans les réseaux qu'il pénètre. Le mal se répand au rythme de la circulation sanguine ou des informations binaires et il faut vite trouver l'antidote pour endiguer ce flux potentiellement létal, pour la machine humaine, comme pour l'organisme électronique.

Au final, "Alvéoles" est un roman réussi, surtout si l'on considère que c'est la première expérience du genre de son auteur. Le suspense est soutenu, le rythme et la tension vont crescendo, les archétypes (la méchante multinationale, l'ex-flic revanchard et borné, l'agent sublimement séduisante et qui sait se servir de ses charmes...) sont utilisés à bon escient, sans tomber dans les clichés faciles.

On ressent un malaise à la découverte du plan de la multinationale, un plan qu'on ne peut s'empêcher de croire crédible, sans se dire qu'on est devenu un fana de la théorie du complot. Descamps met dans le mille en dénonçant cet ultra-capitalisme, capable d'envisager le pire pour se créer des débouchés, obsédé par un profit qui fait tourner les têtes (pensantes) au point de perdre de vue qu'on se dirige droit dans le mur.

Dans le même temps, on s'attache aux personnages, on se prend à souhaiter qu'ils ne leur arrive rien de fâcheux, car, comme ces abeilles victimes d'un prédateur, les deux ménages embringués dans cette histoire bien malgré eux, sont d'innocentes victimes.

Leur révolte aboutira-t-elle, comme lorsque, parfois, au sein d'une ruche, certaines abeilles se retournent contre leurs congénères pour contester un changement ?

5 commentaires:

  1. Merci à Joyeux-Drille pour ce billet! En tant que petit-artisan-de-l'écriture (et pour cet ouvrage-ci, de la "micro-édition"), c'est toujours un plaisir d'apprendre qu'un récit a plu.
    Je ne nourris pas d'autre ambition que de "faire passer un bon moment", il semble que la mission soit remplie.
    Pour le reste, il faut du temps, et des gens comme vous, passionnés-acharnés de lecture, pour que ces projets se fassent connaître petit à petit, et puissent faire plaisir au plus grand nombre.
    Merci encore,
    Eric (Atine Nenaud)

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  2. Merci, Eric ! Pour le divertissement, ne t'inquiète pas, tu as atteint ton but avec moi, j'ai passé un agréable moment en compagnie de Judith, Valérie, Faustine, Sabrina (et des personnages masculins aussi, hein...).

    Ravi que l'auteur soit également satisfait du regard que je porte à son travail et content d'avoir su percevoir, entre les lignes, ou plutôt les rayons, pour rester dans le vocabulaire apicole, certains thèmes sous-tendant le récit.

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  3. Voilà des parallèles fort intéressants, d'autant qu'effectivement la disparition des abeilles posent plus de questions qu'il n'y a de réelle réponse; en espérant qu'on ne devienne pas parano à la lecture de ce livre (comme certains le sont devenus après Millenium :lol: ).
    Encore un billet fort bien fait Drille :)

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  4. Là, c'est surtout la réponse imaginée par Eric qui peut franchement faire flipper... Même si on a aussi le droit de penser que la science peut apporter des réponses raisonnables à des problèmes concrets. Le souci, c'est quand le profit ou l'ambition du profit s'emmêle...

    Merci de ta fidélité, My.

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  5. Pour information, étant donné que les éditions Atine Nenaud sont à peine sorties de l'oeuf (mai 2011), le réseau de distribution de l'ouvrage est très réduit. Mais un petit mail à atine@enattendantlorage.org pourra vous éclairer (ou une visite sur mon modeste site)...

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