vendredi 16 septembre 2011

Une entreprise de (re)construction.

La rentrée littéraire, c'est souvent l'occasion de retrouver les auteurs qu'on apprécie, mais c'est aussi, pour moi, en tout cas, l'occasion de nouvelles expériences littéraires, de découvrir de nouveaux auteurs, d'explorer de nouveaux univers. En voilà un bel exemple avec "son corps extrême", de Régine Detambel, qui, après Julliard, Gallimard et le Mercure de France, publie ce roman chez Actes Sud.




Alice a 49 ans, un âge fatidique, car il paraît que les carrés parfaits (49=7x7) sont des périodes-clés, lorsqu'une nuit, elle est victime d'un terrible accident de la route. Les ouvriers du chantier proche du lieu de l'accident n'ont rien vu, distraits qu'ils étaient par une biche et son faon. Mais les circonstances de cet accident laissent à penser que Alice a pu provoquer la collision avec un pylône.

Sortie vivante mais démolie, Alice va connaître le coma puis une longue hospitalisation avant d'être transférée dans un centre de rééducation pour reconstruire son corps et réapprendre à être autonome. Des périodes différentes, en particulier les deux premières, où l'immobilisme est de mise. Une impossibilité à se mouvoir propice à laisser vadrouiller son esprit, à faire le point sur une vie bien compliquée qui peut expliquer le geste de désespoir de cette femme, seule, toujours seule.

Alice est divorcée, en rupture avec son fils, sa mère est morte depuis longtemps, de son père on en sait assez peu, si ce n'est qu'il n'est pas non plus à son chevet... Petit à petit, comme les pièces d'un jeu de construction s'assemblent, la vie d'Alice nous apparaît, tout en laissant dans l'ombre ce qui pourrait vraiment nous aider à comprendre son geste mais aussi la sensation qu'elle rejette les soins, que le désespoir l'emporte sur la volonté de se remettre d'aplomb.

Il faudra une rencontre, celle de Caire, gravement blessé lui aussi, en rééducation pour un bail lui aussi, pour qu'enfin, Alice régurgite le passé qui l'étouffait et rentre dans la période de reconstruction, non plus seulement de son corps, mais de tout son être. Une complicité, plus qu'un sentiment, va s'établir entre les deux êtres brisés, suffisante toutefois pour qu'Alice s'accepte enfin et retrouve le courage de continuer.

Régine Detambel, avant d'être écrivain, est kinésithérapeute. Dans "son corps extrême", elle nous emmène donc dans un univers qu'elle connaît bien, celui des hôpitaux et des centres de rééducation, décrivant parfaitement tant le décorum que les sensations et même le parcours du combattant que peuvent représenter les exercices visant à remettre sur pieds ces grands blessés.

Mais "son corps extrême" n'est pas la chronique d'un accidenté revenant à la vie. C'est, comme le titre l'indique, une réflexion sur le corps.Un corps qui, pendant la majeure partie de ce court roman (à peine plus de 130 pages), n'a rien de l'entité humaine et chimique que nous voyons chaque jour. Le corps, dans l'esprit d'Alice, est plutôt assimilé à un objet inanimé.

Le roman s'ouvre sur le chantier de réfection d'une route qui se déroule à proximité du lieu de l'accident. Mais, ensuite, lorsque l'on retrouve Alice sur son lit de souffrance, c'est son corps, totalement désincarné, qui est devenu un vaste chantier où tout est à restaurer, reconstruire.

Detambel manie le paradoxe en donnant vie, par l'usage d'adjectifs appropriés, aux objets et machines entourant Alice, tandis qu'elle utilise des adjectifs plus matérialistes pour désigner le corps et ses différentes partie (on le voit bien, lorsqu'elle évoque ses articulations, soit en les comparant à des minéraux, soit en en faisant l'esquisse d'une machine ne fonctionnant plus du tout).

Enfin, elle accentue cette impression de machinerie corporelle dans l'évocation de la maternité. Que ce soit la naissance d'Alice ou sa propre grossesse, cet acte si beau, si naturel, si plein de vie, devient mécanique, comme si le nouveau-né n'était qu'un produit fini sortant d'une machine-outil conçue à cet usage. Aucune passion, aucun lien charnel, dans aucune des relations humaines qu'a connues Alice, d'ailleurs. Et, là encore, son père, ouvrier, sa belle-mère, peintre, ne font usage de leurs mains que comme des outils, jamais pour caresser, toucher...

Ce corps, qui lui semble étranger, Alice le rejette, non  pas comme la simple enveloppe qu'il peut être, mais bien comme le réceptacle de tout son être, de toute la vie de cette être, de toute la souffrance qui émane de cette vie. "La douleur n'est pas dans le corps. Elle est dans la vie", écrit Detambel. Cette phrase évoque la vie de Caire, mais elle s'applique aussi parfaitement à Alice.

En cherchant, très probablement à en finir, Alice n'a réussit qu'à se détruire, physiquement. Sa personnalité, elle, était déjà en miettes depuis bien longtemps, alors... Alors, si l'hospitalisation sera un calvaire pour elle, subissant une fois encore ce corps qu'elle a elle-même ruiner sans réussir à l'effacer, la rééducation sera une renaissance. Non, une reconstruction. Reconstruction du corps, mais aussi et surtout de l'âme.

Une restauration de fond en combles qui va permettre à Alice d'effacer les traces de ce passé (qui repose sur un secret terrible) qui l'écrasait. Ce n'est pas l'accident, mais bel et bien les soins consécutifs à ce drame qui vont l'aider à faire table rase de tout ce qui l'a progressivement lézardée jusqu'à l'écroulement final.

Et, une fois tout mis à terre, alors, on peut repartir sur de nouvelles fondations pour ériger une nouvelle vie sur ce corps rénové entièrement. Et c'est pour cela que "son corps extrême" s'achève sur une nouvelle destruction. Non pas de son corps ou de son être, mais des objets qui ont entouré son ancienne vie et qui, eux aussi, pour achever le chantier, doivent à leur tour, être détruits pour être, bientôt, remplacés par un nouvel environnement qui servira d'écrin à ce corps et à cette personne renaissants.

Un roman difficile, dur, mais plein d'un optimisme diffus qui s'affirme au fur et à mesure de l'avancée du livre. Et puis, un hommage à tous ceux qui travaillent dans ces hôpitaux et ces centres où l'on prend en charge des gens bien cabossés pour en refaire des hommes neufs.

Je parlais de découverte en début de billet, en voilà une, et une belle. Alors, un grand merci aux éditions Actes Sud, qui m'ont envoyé ce livre, et un grand merci pour la confiance qu'ils font à l'humble blogueur, amoureux des livres et des écrivains, que je suis.

4 commentaires:

  1. Tout à fait remarquable cet article. Merci pour cette analyse si précise et si fine !

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  2. Quel beau billet ! Je n'avais pas fait le parallèle avec la reconstruction du chantier du début...

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  3. Ton article est très bien écrit, ce fut un plaisir de vous lire Mister ...

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  4. Merci à tous, vos commentaires sont des encouragements à poursuivre dans cette voie...

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