Chaque fois que sort un nouveau thriller signé Jean-Christophe Grangé, je trépigne, je piaffe, je me ronge les ongles jusqu'à le tenir en main. "Le passager", son dernier roman, tout juste sorti chez Albin Michel, n'a pas échappé à la règle et, après un passage obligé entre les mains paternelles, j'ai pu me plonger dans ses 750 pages.
Mathias Freire est, en peu de mois, devenu un des rouages essentiels d'un hôpital psychiatrique de Bordeaux. Un soir d'hiver, alors que la ville repose sous un brouillard épais, on lui amène un homme retrouvé errant dans la gare de Bordeaux, un annuaire et une clef à molette tachés de sang dans les mains. Apparemment, l'homme a tout oublié de qui il est et d'où il vient.
Alors que Freire prend cet énigmatique patient sous son aile, un crime extrêmement violent est découvert à Bordeaux également. Anaïs Chatelet, une jeune officier de police, à la personnalité et aux méthodes peu orthodoxes, se retouve en charge du dossier. Un homme a été retrouvé près de la gare de Bordeaux et, sur son corps, a été placée... une tête de taureau, comme si la victime était le Minotaure...
Un homme sans souvenir mais avec du sang sur les mains... Un meurtre extraordinaire commis à deux pas de là où l'on a retrouvé l'amnésique... Le lien semble évident.
Pas pour Freire, persuadé que son patient souffre d'un syndrome très rare et très particulier : "le syndrome du voyageur sans bagage" ; autrement dit, on perd toute notion de sa vie initiale et on s'en reconstruit une totalement différente, comme si l'existence précédente n'avait jamais existé.
Freire peine à reconstituer le parcours de cet homme aux vies multiples, alors que les enquêteurs concentrent leur enquête sur lui.
Mais, alors que Freire démêle le vrai du faux et que Anaïs souhaite placer l'homme en garde à vue, il est assassiné avec sa compagne par de mystérieux hommes en noir. Le seul témoin est Freire qui réussit à s'échapper de justesse.
Ce n'est que le début d'une fuite bien plus longue. Car, désormais, le vrai suspect du meurtre du Minotaure, à la gare de Bordeaux, c'est lui, Mathias Freire. Et pour cause : on a retrouvé des empreintes digitales sur la scène de crime qui correspondent aux siennes. Enfin, à quelqu'un qui lui ressemble comme deux gouttes d'eau, mais qui se nomme Victor Janusz, un SDF interpellé quelques mois plus tôt à Marseille...
Freire découvre alors que son identité est une coquille vide et comprend que lui aussi est sans doute "un voyageur sans bagage".
Pour s'innocenter de ce meurtre, il doit donc retrouver qui il est vraiment. Mais son parcours est long et semé d'embûches. Et surtout, en remontant son passé et ses vies antérieures, il va vite découvrir que sa vie est jalonnée de meurtres horribles en lien avec des épisodes mythologiques...
Et qui sont donc ces hommes en noir qui veulent manifestement le tuer ?
Pour son 9ème roman, Jean-Christophe Grangé s'intéresse à nouveau au fonctionnement de notre cerveau, comme il l'avait fait dans "l'Empire des loups" et "la forêt des Mânes". Un cerveau que, finalement, on connaît si mal, qu'on comprend si mal et qu'on ne parvient pas à maîtriser (et sur ce dernier point, franchement, tant mieux...).
Cette fois, Grangé, journaliste et grand reporter avant d'être écrivain et auteur de thrillers, nous fait découvrir cette étrange pathologie, apparemment très étudiée outre-Atlantique mais négligée en Europe : "le syndrome du voyageur sans bagage". La quête de Freire m'a rappelé, avec des différences, le film "Memento", de Christopher Nolan, où le héros doit remonter sa vie, qu'il oublie au fur et à mesure qu'elle se déroule, à l'aide de post-it. Là, les post-it sont des rapports de police, la reconnaissance de son visage par d'anciennes connaissances, des oeuvres d'art, des sites internet ou encore des papiers personnels.
Quant à Freire, puisqu'on le découvre au début du roman sous cette identité, il est le Thésée de son propre labyrinthe cérébral, s'accrochant à ses existences précédentes comme au fil d'Ariane. Pas étonnant de le voir soupçonné du meurtre d'un Minotaure !
Mais "le passager" est aussi et surtout un roman sur les marginaux, de plus en plus nombreux dans nos sociétés contemporaines. Qu'ils soient SDF, immigrés, fous, artistes maudits, truands, prostituées, célibataires, ils survivent plus qu'ils ne vivent et, dans sa fuite, Freire va se plonger dans ces mondes interlopes qu'il (re)découvre, parfois à ses dépens et surtout en opposition totale avec la vie de notable qu'il s'est constituée derrière son personnage de psychiatre.
L'exploration de ces univers, avec leurs règles propres, leurs violences intrinsèques, leurs hiérarchies, parfois, leurs dominants et leurs dominés, est tout simplement passionnante. Si Freire, poussé par son syndrome, s'est immergé dans ces mondes si différent du sien, c'est pour fuir quelque chose. Fuir un ennemi puissant, incarnant l'autorité, la norme, un pouvoir légitime écrasant tout ceux qui refuse ses règles ou, au mieux, les repoussant dans des limbes où la vie est loin d'être rose.
A ce titre, Freire est aussi un marginal à sa façon, pour avoir refusé cette autorité, avoir essayé de se dresser face à elle et à ses actes. Et, face à lui, Anaïs est elle-même une marginale : elle a rejeté sa famille (pour des raisons que je vous laisse découvrir...), elle traverse des difficultés psychologiques qui ressortent régulièrement, elle est, c'est peu de le dire, plutôt réfractaire à l'autorité. Et sa volonté de comprendre qui est Freire, de prouver qu'il n'est pas celui que l'on croit, c'est-à-dire un assassin détraqué, vont encore plus la marginaliser, jusqu'à l'envoyer en prison, lui faire perdre son statut social, en faire elle aussi, la proie d'une autorité supérieure, sa hiérarchie.
Enfin, la présence de la mythologie au coeur de l'histoire, la construction du roman, ses ressorts dramatiques et son final font de ce "Passager" une véritable tragédie grecque. Mais une tragédie qui s'inscrit parfaitement dans notre société si matérialiste où les dieux de l'Olympe règnent désormais sur l'industrie, les finances et le politique.
J'adore lire tes chroniques !
RépondreSupprimerCelui là, je vais voir pour l'emprunter d'urgence :-)
Lovecats
Bon... Mon premier commentaire a disparu dans les bagages de blogspot... En tout cas, j'ai été ravie de vous voir à Nancy !
RépondreSupprimerBessora
Merci, Bessora ! Ce fut une belle rencontre et promis, on mettra moins de 7 ans, cette fois-ci, avant de se parler de nouveau...
RépondreSupprimerSoyez la bienvenue sur ce blog et j'espère que vous reviendrez déposer un message lorsque je publierai un billet sur votre "cyr@no" !
Je viens de lire la forêt des Mânes qui m'a moyennement convaincue, mais je guettais celui-ci et il vient de rejoindre ma PAL, je pense que je vais m'y mettre rapidement !
RépondreSupprimerCraklou, je profite de ton message pour signaler ici quelque chose que j'ai déjà dit ailleurs : pour ceux qui se poseraient des questions sur la fin du Passager, qui en sortiraient frustrés ou pas trop sûr de bien avoir compris, je propose une fin "mythologique" qui, après avoir été testé sur des lecteurs (sans qu'aucun mal ne leur soit fait, je le précise !), a le mérite d'exister. Je la soumets volontiers à qui veut !
RépondreSupprimerJe suis en train de le lire et je voulais absolument connaître ton ressenti, sûrement parce que j'aime tes interventions, si je puis dire, dans les forums de LA.
RépondreSupprimerLe livre n'y est pas encore arrivé mais toi, tu m'as fait frissonner en découvrant l'horreur de la (double ?) personnalité de Freire. Merci pour ce partage, je poursuis ma lecture ;)
J'ai absolument détesté ce roman que j'ai trouvé répétitif et ou l'auteur use jusqu'à la moelle ses filons habituels: les meurtres apparemment sans lien, des enquêtes séparées qui convergent vers un tueur unique, les méandres du cerveau et de la mémoire... En plus, il use sans vergogne des ficelles les plus grossières pour sortir son héros des situations les plus inextricables (c'est Jason Bourne ce Freire!). Si l'on y ajoute des longueurs pénibles et une fin qui en fait tellement des tonnes dans le twist qu'elle en devient un pétard mouillé, je crois bien qu'on tient l'un des pires Grangé.
RépondreSupprimerHé hé, les ressentis de lecture sont divers, c'est aussi ce qui est intéressant... Je ne partage pas votre avis, et en particulier sur le dénouement, pour lequel j'ai une lecture mythologique qui vaut ce qu'elle vaut (c'est la mienne, rien ne dit que l'auteur la partage) mais qui évite l'aspect pétard mouillé, sans jeu de mots, qu vous dénoncez... En tout cas, j'ai apprécié cette lecture et la réflexion sur la quête d'identité qui l'accompagne et que Grangé poursuit dans "Kaïken".
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