samedi 10 septembre 2011

Quand les liens familiaux fondent comme les glaces...

"Banquises" (en grand format chez Albin Michel) est le septième roman publié en 10 ans par Valentine Goby et la publication de "la note sensible" (premier roman très réussi, que je recommande et qui est disponible en Folio). Un roman qui nous emmène au Groenland, pas cette grande terre glacée qu'on imagine façon image d'Epinal, mais le Groenland à l'époque du réchauffement climatique et de l'irrémédiable fonte des glaces.




En 1982, Lisa a 14 ans quand sa grande soeur, de 8 ans son aînée, disparaît lors d'un voyage au Gorenland. Cette passionnée de musique, qui a déjà beaucoup voyagé pour aller écouter des concerts classiques dans les plus grandes salles du monde, a choisi cette curieuse destination après la mort précoce de sa meilleure amie, qui l'accompagnait partout.

Mais, le jour de son retour, à Roissy, ses parents et Lisa vont attendre en vain. Jamais Sarah ne donnera plus signe de vie...

Commence alors non pas le deuil, mais la gestion de l'absence inexplicable et inexpliquée d'un être cher. Les parents, impuissants devant cette perte incompréhensible, vont refuser farouchement, chacun à leur façon, la mort de leur enfant, pendant que leur deuxième fille souffre d'être engloutie dans le vide créé par la disparition de sa soeur.

28 ans après, les parents veulent vendre leur appartement, trop plein de souvenirs. Mais surtout, cet appartement a été mis au nom de Sarah, la disparue. C'est donc elle qui devrait faire les démarches pour le vendre... à moins que ses parents fassent les démarches administratives pour que leur fille aînée soit reconnue décédée. Terrible dilemme...

C'est ce moment que choisit Lisa, la cadette, pour entreprendre à son tour un voyage au Groenland, sur les traces de sa soeur. Des traces qui consistent en quelques photos, découvertes dans le sac à dos de Sarah, retrouvé sur un bateau. Lisa sait donc où commencer ses recherches, et, bien qu'elle se fasse peu d'illusions, tient un possible fil d'Ariane. Car, comprendre, à défaut de savoir, serait le meilleur moyen d'enfin commencer ce deuil impossible qui permettrait de normaliser la vie d'une famille partie à vau-l'eau.

Tout en racontant la lente déréliction de sa famille, Lisa nous emmène à sa suite à la découverte d'un Groenland guère plus fringuant. Car, les glaces fondent, irrémédiablement, menaçant une civilisation, des peuples, des personnes qui voient se liquéfier leur existence en même temps que les banquises disparaissent. Et le village si blanc, si glacé, si froid aperçu sur les photos prises par Sarah près de 30 ans plus tôt, a bien changé. C'est devenu un lieu dangereux, en sursis, les pieds dans la gadoue, où se déplacer en traineau est dangereux, car les crevasses se multiplient sans prévenir, où la pêche, activité traditionnelle et indispensable pour vivre sous ces latitudes, est très compliquée par l'arrivée précoce d'une douceur synonyme de destruction de l'environnement.

Lisa y découvre une population de survivant, au bord du désespoir, qui n'arrive pas à se résoudre à quitter son glacier natal, grignoté de toutes parts, car, à la capitale ou au Danemark, c'est la pauvreté, la promiscuité, les espaces confinés qui attend ces gens dont l'avenir est celui d'une Atlantide moderne.

La description de ces quelques semaines passés au Groenland est poignante, très dure, violente même. On se rend compte concrètement d'effets climatiques qu'on pense souvent abstraits. Des semaines rendues plus dures encore par les échecs successifs pour se lancer sur les traces, hypothétiques, de Sarah et par un évènement inattendu : l'impossibilité de quitter les lieux, en raison de la suspension des vols ordonnée après l'éruption du fameux volcan islandais.

Un "rab" de quelques jours qui va marquer à jamais Lisa, tant ce village groenlandais va se métamorphoser sous ses yeux en décharge, fosse septique, bidonville...

Mais la découverte de ce village et de sa tragique destinée est une incroyable allégorie de ce que Lisa et ses parents ont vécu depuis 1982 et la disparition de Sarah. Jusque-là, leur famille était soudée, comme le Groenland lorsque sa banquise était solide, inexpugnable. Mais, lorsque l'un des membres de la famille s'est éloigné, brusquement, inexorablement, comme ces gigantesques icebergs qui se détachent de l'inlandsis sous l'effet du réchauffement, ce fut le signal littéral de la fonte des liens familiaux.

Progressivement, les trois membres restant vont commencer à s'éloigner les uns des autres, ne restant liés que par le souvenir du seul être qui manque (et par qui tout est dépeuplé) et par l'espoir d'un improbable retour. Comme cette couche de glace superficielle qui se reforme l'hiver venu, masquant le véritable drame des terres glacées jusqu'au retour tant redouté de la douceur.

Et chacun va partir à la dérive, sans tenir compte des autres, voguant vers un destin indécis, qui importe peu, espérant que les courants les rapprocheront de Sarah...

Il faudra en fait que Lisa, devenue écrivain, ressoude (solidement ?) tout cela en "devenant quelqu'un", grâce à la publication de ses livres. Devenant un nouveau centre d'intérêt et de fierté pour des parents éprouvés, dont la réussite de leur cadette adoucira la douleur sans pour autant la faire disparaître.

Autant d'éléments qui laissent à penser à un roman autobiographique, même si aucune des interviews de Valentine Goby que j'ai pues lire jusqu'à présent ne vienne le confirmer

Mais cette auteur qui s'est si souvent attachée au corps dans ses précédents romans, cette fois, utilise son absence abyssale comme pivot de son histoire. Et, à travers cette absence, nous aide à réfléchir à l'impossibilité de faire son deuil quand la mort se fait intangible.

Un roman dur, sombre, prenant, plein d'empathie, comme toujours avec Valentine Goby. Un roman qui nous sensibilise aussi à cette disparition progressive des déserts glacés...

3 commentaires:

  1. Ce livre me donne bien envie ! Je le note et surtout l'auteur que je ne connaissais pas du tout. Cela m'a l'air en tout cas passionnant et poignant.

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  2. Quelle jolie critique mon cher drille, tu es très tentant !

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  3. Comme je le dis, je me suis sérieusement demandé quelle était la part d'auto-fiction dans ce livre, tant les sentiments paraissent justes, le désespoir de ces parents et la douleur muette de cette soeur très bien rendus. Je poserai la question à Valentine Goby que je dois voir bientôt, sans doute à Nancy.

    Maintenant, j'essaye d'être sincère dans mes billets, je ne garantis pas que tout lecteur appréciera les livres dont je parle, qui ne sont pas exempts de défauts, sans doute, mais j'espère donner envie de lire, de se faire un avis sur un texte.

    Et j'aime franchement bien ce que fait Valentine Goby depuis ses débuts.

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