Comme beaucoup de lecteurs, quand on me dit Douglas Preston, je pense à son tandem avec Lincoln Child et à leur "créatureé, l'agent (très) spécial du FBI Aloysius Pendergast. Le revoici, encore en duo, mais cette fois avec un journaliste italien, Mario Spezi, pour un livre dont il est (involontairement) le héros. Car, en voulant réaliser une enquête fouillée sur un fait divers ayant défrayé la chronique, les deux hommes vont se jeter dans un piège... institutionnel. Et, cette expérience hors du commun, donne un livre saisissant : "le Monstre de Florence" (en poche chez "J'ai Lu").
Le livre commence par l'affaire elle-même, telle que Spezi l'a vécue, en tant que journaliste. Une affaire qui éclate en 1981, lorsqu'un couple de jeunes gens est retrouvé assassiné en pleine campagne toscane. Apparemment, le couple s'était isolé là pour passer quelques moments intimes en toute discrétion. Alors, est-ce le crime d'un rôdeur ou d'un voyeur (activité apparemment répandue dans la région) ?
Spezi, journaliste dans un grand quotidien, apprend la nouvelle de ce double meurtre complètement par hasard et il est le premier journaliste sur les lieux, bien avant ses collègues. Lorsqu'il soumet son article en conférence de rédaction, un autre journaliste fait soudainement le lien avec une ancienne affaire : en 1974, un couple avait été tué dans des circonstances proches, près d'une vigne, alors qu'ils faisaient l'amour...
Le scoop fait l'effet d'une bombe et, bientôt, tous les éléments matériels montrent qu'il y aurait bien un tueur en série qui s'en prend aux couples d'amoureux, lors de leurs ébats en rase campagne. Au total, entre ce premier crime, en 1974, et 1985, ce sont 7 couples qui seront ainsi assassinés autour de Florence.
Voilà pour les faits. "Le Monstre de Florence" (puisque c'est ainsi que tout la monde va rapidement surnommer ce tueur insaisissable) pourrait retracer ce fait divers. Mais, Preston et Spezi ne se doutent pas un instant que leur curiosité et leur soif de vérité va leur coûter cher...
L'affaire proprement dite a donc pris fin en 1985, sans explication. L'enquête, elle, s'est avérée plus que chaotique, on va y revenir. Spezi est obsédé par cette affaire qui rebondit sporadiquement. Jusqu'au début des années 2000.
Douglas Preston, romancier, auteur de thriller établi, arrive à Florence pour y travailler sur un peintre de la Renaissance quasiment oublié, à la fois pour un article de presse mais aussi pour un de ses futurs romans. Mais, quand Spezi lui parle du Monstre de Florence, Preston est fasciné. Il laisse son peintre de côté et se lance à corps perdu, aux côtés de Spezi, dans une enquête qui, plus de 15 ans après la fin de la série de meurtres demeure un sujet extrêmement sensible...
Parce que le tueur court toujours quand Preston s'emmêle. Et cela s'explique aisément par les cafouillages effarants des policiers et des magistrats chargé de l'enquête. Tous ceux qui se sont succédé ont brillé par leurs errances, par des enquêtes fondées sur des présomptions, sans autre recherche de preuve plus évidente. Tous ont même fini par échafauder des théories abracadabrantesques, comme celle, encore privilégiée aujourd'hui par certains, d'une secte satanique manipulant notables et pauvres hères et s'approvisionnant en morceaux de corps humains pour ses rites...
D'une enquête du type de celles que peut proposer une Ann Rule dans ses livres, ou de celles qui fleurissent à la télé sous forme de documentaires avec témoignages et reconstitutions à l'appui, "le Monstre de Florence bascule alors, non pas dans la Comedia dell'Arte mais dans le grand-guignol. Plus Spezi et Preston rassemblent d'éléments pour alimenter leur thèse, complètement différente de celle des autorités "compétentes", plus on les attaque, plus on les ridiculise et finalement, plus on va s'en prendre à eux.
Car, pour avoir approché de trop près ce dossier et empêcher un juge et un policier de délirer en rond, Spezi va faire de la prison, carrément suspecté d'être lui-même le monstre, et Preston va se voir chassé d'Italie et interdit de séjour dans le pays !
"Le Monstre de Florence" n'est plus alors un récit livresque sur un fait divers ayant défrayé la chronique et sur ses dessous, son dénouement, mais le récit d'une vraie cabale visant deux journalistes qui ont eu l'affront de critiquer un magistrat et un policier.
Pire, la thèse défendue par les deux auteurs, ramènent à la première piste suivie par les enquêteurs, la piste sarde, abandonnée dès la fin des années 80, jetée aux oubliettes sans avoir été creusée, vilipendée par tous ceux qui ont succédé aux enquêteurs initiaux. Et pire encore, cette thèse, sans forcément apporter de preuves matérielles plus évidentes, mais s'appuyant sur un profil réalisé par le FBI, est infiniment plus crédible que la thèse de la secte satanique, étayée par des témoignages hallucinants, venus d'une galerie de personnages hétéroclite, la spécialiste de la théorie du complot, persuadée que les responsables de ces meurtres florentins se cachent aussi derrière les attentats du 11 septembre ; le témoin professionnel capable de raconter tout ce que les enquêteurs souhaitent entendre, histoire de s'octroyer un quart d'heure de gloire wahrolien ; des simples d'esprit, des alcooliques notoires, des marginaux...
Autant de témoignages fumeux qui vont convaincre un juge et un policier et les pousser à abuser de leur pouvoir, à s'entêter, à élargir leur théorie à d'autres faits divers, pourtant sans lien direct avec la série de crimes, à s'en prendre personnellement à Spezi et Preston. Jusqu'à en oublier l'essentiel : la quête de la vérité.
Et pourquoi ce gâchis ? Parce qu'un Italien, semble-t-il, aussi haut placé soit-il, aussi éduqué, intelligent et compétent puisse-t-il être, ne reconnaîtra jamais qu'il a tort, n'acceptera jamais de perdre la face...
Et voilà comment un journaliste fait de la prison pour ses écrits dans une démocratie (où Berlusconi n'est pas le seul à prendre des libertés avec ces principes sacrosaints, les magistrats aussi...), comment un auteur connu se retrouve accusé de complicité de meurtre dans un pays qui n'est pas le sien, comment un enquête bâclée dès le départ se révèle un fiasco sur plusieurs décennies.
Et voilà comment l'auteur de 14 homicides avec mutilation n'a jamais été inquiété, 25 ans après la fin de sa macabre série.
Effarant, je vous le disais.
Etant un inconditionnel du duo Preston & Child, ce livre me titille depuis longtemps.
RépondreSupprimerAprès cette chronique, je crois bien que je vais devoir me le procurer séance tenante.
J'avais découvert les auteurs Preston & Child avec "Relic", qui ne m'avait pas laissé un souvenir marquant (et encore moins l'adaptation ciné). Mais là, grâce à toi, cher Drille, il me semble que ma PAL va prendre un peu d'embonpoint.
RépondreSupprimer@ Duc : fais donc, j'attends ton avis, bien sûr !
RépondreSupprimer@ Eric : j'ai lu "Relic" il y a longtemps, mais j'en ai plutôt gardé un bon souvenir ; de plus, Pendergast est devenu un de mes personnages préférés, dont j'attends la nouvelle enquête avec impatience, même si les dernières que j'ai lues m'ont un peu laissé sur ma faim. Mais "Fièvre mutante" n'est pas loin dans ma PAL, on devrait donc reparler bientôt de Douglas Preston sur ce blog.