mercredi 17 juillet 2013

« C’est l’Amérique, songea-t-il (…) C’est l’Amérique et tout finirait bien ».

Voici un roman qui date de quelques années, déjà, 2006 pour la sortie américaine, 2010 pour la version française, mais dont l’actualité est plus que jamais prégnante (un récent acquittement en Floride vient hélas de le rappeler avec un peu trop de force). Difficile de ranger ce roman dans un genre ou dans un autre, en France, il a été publié par Gallimard en littérature générale, mais puisque l’histoire se déroule sur un quart de siècle environ, en plein XIXème siècle, on sera tenté, comme je vais le faire, de le classer parmi les romans historiques. Pourtant, ne vous y fiez pas forcément, ce roman est une satire violente de l’Amérique actuelle et il est imprégné par une folie et une ironie féroce, servi par un style qui évolue au fil des parties et qui se termine par une fuite dératée et totalement imprévisible. Ajoutez un titre qui ne passe pas inaperçu, « la polka des bâtards », et vous avez le troisième roman du new-yorkais Stephen Wright publié en France…




Lorsque Thatcher Fish et son épouse Roxana ont eu leur premier enfant, en 1844, ils ont choisi de le prénommer Liberty… Pas un prénom facile à porter, mais il allait parfaitement de soi pour ces deux jeunes adultes plein d’idéalisme. Thatcher est, pourrait-on dire, un libre penseur qui affiche publiquement des idées abolitionnistes qui ne se posent pas encore, même au plus haut sommet de l’Etat fédéral.

Le cas de Roxana est encore plus complexe. Fille d’un riche planteur de Caroline du Sud, elle a grandi auprès de ses parents dans cette propriété, Redemption Hall, où de nombreux esclaves noirs sont exploités et maltraités quotidiennement. Très tôt, la demoiselle s’est montrée hostile à cette manière de traiter des êtres humains et cela a engendré quelques tensions avec son père et sa mère.

Des tensions qui ont culminé à la mort d’un des esclaves, lynché après s’être fait justice lui-même. Roxana s’est alors révoltée contre son mode de vie et son éducation et a tout fait pour se démarquer du reste de sa famille. Une brouille qui n’est en rien une passade, peu à peu, la jeune femme s’est rapprochée des esclaves de la plantation, au point qu’on l’a jugée malade…

Alors, pour l’éloigner de ce sud qu’elle vomit et des idées progressistes qu’elle ne cesse de cracher au nez de son entourage, on a décidé que sa mère et elle partiraient plus tôt que prévu en vacances à Saratoga, près de New York. Une énième dispute va aboutir à la rupture, Roxana va fuir sa famille, qu’elle ne reverra jamais, et trouver refuge dans les bras de Thatcher, rencontré à peine quelques jours plus tôt dans le hall de l’hôtel.

Le fruit de cet amour un peu particulier s’appelle donc Liberty, vous comprenez sans doute mieux pourquoi désormais. Un enfant qui va grandir dans une Amérique en plein essor, à tout point de vue. Trois quarts de siècle après son indépendance, l’Amérique se construit peu à peu et la puissance de ce jeune Etat prospère doucement.

Au fil des chapitres retraçant l’enfance de Liberty, Stephen Wright s’amuse à nous montrer cette Amérique naissante en jouant avec les clichés et les images d’Epinal : les charlatans capables de vous vendre n’importe quelle potion soignant n’importe quoi, les médecins qui opèrent en public, comme ce dentiste qui arrache des dents devant une assemblée médusée, les discours enflammés des prêcheurs de tout poil, flirtant parfois avec le créationnisme, la violence de ceux qui ne sont pas encore des cowboys mais qui règlent déjà leurs comptes à coups de fusil…

Mais, c’est aussi le portrait d’une Amérique puritaine, portée sur la religion, très stricte sur la morale et les mœurs que l’on découvre. Une Amérique où la politique tient aussi une place importante, mais où il est difficile de faire valoir des sons discordants, en particulier en matière raciale. Dans les années 1850, les idées de Thatcher Fish, pourtant bien au nord de ce qu’on appellera la ligne Mason-Dixon, sont franchement mal vues. Il est même risqué d’y faire allusion en public, nombreux sont ceux qui sont très chatouilleux sur ces thèmes-là.

Cette première partie alterne entre épisodes assez amusants, comme ce voyage fluvial que font Liberty et son père, dont j’ai tiré quelques-unes des anecdotes citées plus haut, mais aussi bien plus tragiques. Evidemment, tout ce qui concerne la jeunesse de Roxana et sa rupture avec son clan, mais aussi l’apprentissage par l’enfant qu’est Liberty de ce monde des adultes qu’il ne comprend pas encore (et ne comprendra sans doute jamais).

Car Liberty porte bien son nom : très jeune, il se montre plutôt indépendant et n’hésite pas à partir seul en vadrouille autour de la maison familiale. L’une de ses promenades lui vaudra le premier choc de sa jeune existence, la première confrontation avec la violence gratuite des adultes et sera sans doute une révélation très utile pour la suite de sa vie…

Arrivé près d’une maison où vivent une mère, deux enfants sensiblement du même âge que lui et leur chien, Liberty, ingénu, pas méchant pour un sou, s’approche pour lier connaissance. Mais, la femme le reconnaît, elle sait de qui il est le fils. Or, les Fish hébergent dans une partie de leur maison, un homme noir, Euclid, qui traite Liberty en ami et que le gamin considère comme un grand frère.

Une situation qui fait jaser dans la région. Et cette femme, voyant Liberty approcher, va carrément jeter au visage de l’enfant ce qu’elle pense de ses parents, des propos peu amènes, vous l’imaginez bien, puis lâcher son chien et ses rejetons, histoires de donner à Liberty la leçon qu’il ne mérite pas, mais qu’on souhaiterait lui infliger pour les idées de ses parents… Dur, dur, d’être Liberty Fish…

Bien sûr, vous aurez compris que la question de la guerre de Sécession va se poser… Lorsqu’elle éclate, Liberty est un peu jeune pour s’engager, de toute façon. Mais, bientôt, il va devoir décider. Car, cette décision divise Thatcher et Roxana. En bon libre penseur, le père de Liberty est aussi un pacifiste. Peu lui importe que la question de l’abolition de l’esclavage soit l’un des motifs de cette guerre civile, il ne veut pas que son fils s’enrôle.

Sa mère, en revanche, a une vision complètement différente. Oh, n’imaginez pas la belle sudiste passée au nord exhorter son fils unique à revêtir la tunique bleu pour aller à lui seul battre les troupes du général Lee et faire tomber le système esclavagiste. Non, elle est bien plus délicate, et en même temps, bien plus persuasive, jouant sur la corde sensible qu’elle a en commun avec Liberty.

Alors, contre l’avis paternel, Liberty Fish va s’engager et combattre. Enfin, si l’on peut dire, puisque ce que l’on voit de cette campagne au sein de l’armée de l’Union n’est guère convaincant… Liberty n’a pas l’âme, ni le talent d’un guerrier… Il suit plus le mouvement qu’autre chose, devant faire face aux railleries mais aussi aux attaques de certains de ces compagnons quant à ses idées « négrophiles » (évidemment, le mot n’est pas de moi, j’y mets des guillemets et je ne vous cache pas l’aversion que j’ai pour ce mot et ce qu’il sous-entend dans la bouche de ces racistes…).

Mais, tant bien que mal, Liberty échappe aux balles, aux obus, aux baïonnettes sudistes et, lorsque les troupes du Nord finissent, après avoir longtemps reculé, par reprendre le dessus sur les troupes sudistes, il fait partie de ce corps expéditionnaire qui avance en territoire ennemi, réquisitionne, pille, brûle… Bref, se conduit comme une armée vainqueur, avec tous les mauvais côtés de la chose.

Et puis, un jour, reprenant ses habitudes enfantines, Liberty s’en va. Les autres le croient partis pour une balade, lui sait qu’il ne reviendra pas et, même s’il a conscience qu’il est en train de déserter, il se contrefiche des possibles conséquences de cet acte… Il est porté par autre chose, une mission que lui a confiée tacitement sa mère avant son départ sous les drapeaux : renouer le fil avec sa famille maternelle…

Liberty est donc en route pour Redeption Hall, avec seulement une vague idée de la direction à suivre. Là encore, en chemin, il fait quelques rencontres marquantes, toujours sous le sceau de la violence, omniprésente alors. Et il arrive enfin dans la plantation familiale où ce qu’il va découvrir tient tout simplement du délire complet…

Ca, pour renouer le fil familial, il va le renouer. Mais, ses grands-parents maternels, au lieu de sentir les évolutions de l’époque, ont choisi de se radicaliser d’une manière tout à fait… originale… Scientifique, disons, mais là aussi, je devrais pour bien faire, mettre des guillemets à ce mot, tant la science, dans l’esprit malade du grand-père, se retrouve dévoyée…

Commence alors une dernière partie du roman, ébouriffante  et démente où Liberty va accompagner le père de sa mère jusqu’au bout de sa folie furieuse, dans une fuite en avant éperdue avec le projet de refaire ailleurs ce qui ne pourra plus exister dans cette Amérique nouvelle et forcément décadente qui va ressortir de ce conflit fratricide…

Avouons-le, bien que reposant sur des horreurs, cette dernière partie est aussi assez drôle, le personnage du grand-père vaut son pesant de cacahuètes (non récoltées par des esclaves, je précise) et son envolée en faveur d’un monde à ses yeux meilleur car reposant sur la suprématie de l’homme blanc sur l’homme noir est tellement absurde qu’on ne sait plus si on doit rire ou pleurer…

Je ne vais pas vous en dire plus sur cette dernière partie, son dénouement et ce qui va advenir ensuite de Liberty, je vous laisse le découvrir en lisant « la polka des bâtards », c’est évidemment bien mieux. Et je vais essayer maintenant de dégager quelques pistes de réflexion sur ce roman, au travers de différentes citations qui en sont extraites.

Lors de leur périple fluvial, Thatcher Fish et son fils Liberty font la connaissance de deux anglaises, mère et fille, venues s’encanailler en Amérique. Bon, le mot est peut-être un peu fort, mais ces deux touristes semblent décider à voir ce qu’il y a de mieux dans ce pays qui fut encore une de leur colonie pas si longtemps auparavant.

Ce qu’elles veulent voir par-dessus tout, ce sont les chutes du Niagara, dont on leur a tant vanté la beauté et l’impression de danger qui s’en dégage. Et là mère de dire : « nous voulons faire l’expérience du sublime et de la terreur », ce à quoi Thatcher Fish répond : « eh bien, vous constaterez, j’en suis sûr, que l’Amérique regorge de ces deux qualités ».

On imagine avec quelle malice le père de Liberty, et à travers lui Stephen Wright, tient ces propos. Comment ne pas y voir à la fois une description parfaite de l’Amérique des pionniers, mais aussi de cette Amérique actuelle, capable du pire comme du meilleur. Et l’on voit bien aussi, dans cette phrase pleine de naïveté de la Lady, cette fascination que les Européens, en particulier, ont encore largement aujourd’hui pour cette Terre Promise, ce pays de tous les possibles, qu’on pare de toutes les vertus bien souvent en oubliant qu’on y a aussi certains vices profondément ancrés.

Cette fois, c’est la jeune femme anglaise qui fait remarquer avec quel empressement, quelle gourmandise, de nombreux passagers du bateau se sont précipités pour voir de plus près le fameux dentiste déjà évoqué, arracher une dent à un de ses patients en bordure de canal… Augusta compare cela à une foule se ruant sur un pique-nique qui lui aurait été servi gracieusement.

Réponse de Thatcher : « Nous sommes les grands dévorateurs. Nous dévorons l’événement, nous dévorons la géographie, nous dévorons le temps, nous nous dévorons mutuellement. Nous sommes une nation d’appétits incontrôlés ». Et, force est de reconnaître qu’au XIXème siècle, afin d’achever la conquête de son territoire, comme aux XXème et XXIème siècles, l’Amérique ne contrôlera jamais vraiment cet appétit… Et gare à ceux qui essaieront de se mettre sur leur passage, de leur confisquer leur nourriture ou de leur couper l’appétit !

On reste dans la suite de cette discussion, Augusta toujours, lance : « et pourtant, alors que vous célébrez l’individualisme comme la valeur suprême, absolue, vous ne vous lancez dans la poursuite d’un soi-disant bonheur que comme une meute hurlante ». Bon, pas vraiment besoin d’expliciter plus les choses, je pense…

Thatcher répond alors : « Oui, nous sommes tous des individualistes, autonomes et fiers de l’être, mais c’est en groupe que nous préférons poursuivre nos intérêts séparés ». Une belle définition du citoyen américain moyen, qu’en pensez-vous ? Et sans ironie aucune, évidemment, hein, on ne va pas tomber aussi facilement que ça là-dedans, voyons !

Dernier échange entre l’Anglaise et l’Américain, toujours dans la suite de ce dialogue : « je vois mal comment une société fondée sur des contradictions aussi patentes pourrait connaître une quelconque postérité ». Réponse, sobre, de Thatcher : « vous n’êtes pas la seule à le penser ». En crise, l’American way of life, ou lancé à mille à l’heure vers le mur où il finira par se crasher (et nous avec) ?

Et, en écho, quelques pages plus loin, Potter, le cousin de Thatcher, espèce de Tonton Cristobal ou de personnage de western-spaghetti, d’affirmer : « les gens aiment se faire duper, c’est notre passe-temps national ». Là encore, une phrase qui résonne à nos oreilles contemporaines avec force, surtout si l’on pense à une certaine intervention militaire pour débusquer des armes de destruction massive aux mains d’un féroce dictateur, si vous voyez ce que je veux dire…

On rebondit encore, vers la fin du roman, avec cette déclaration d’un autre anglas (décidément, qu’est-ce qu’il y a comme sujets de sa Gracieuse Majesté, dans ce roman !) : « vous les Américains, qui aimez tant la paix, quand vous n’êtes pas occupés à vous entretuer, vous semblez toujours aux prises avec des étrangers d’un genre ou d’un autre ». Pas vraiment de commentaire à faire sur cette remarque, si ?

Voilà ce qui m’a amené à prendre la dernière phrase du roman comme titre de ce billet. Une phrase qui s’impose à Liberty alors qu’un cauchemar vient de le réveiller brutalement : « C’est l’Amérique, songea-t-il, et toi, qui que tu sois tu ne risques rien. C’est l’Amérique, et tout finirait bien ». Méthode Coué, culture de la gagne, orgueil démesuré ? Rayez la ou les mention(s) inutile(s)…

Ce florilège, ces phrases qui m’ont frappé à la lecture de ce roman et que je voulais vous faire partager pour mesurer à quel point la verve de Stephen Wright, s’appuyant sur l’Amérique de la Révolution Industrielle, l’entrée dans le modernisme et le capitalisme issues de la victoire de l’Union face aux Confédérés, vise l’Amérique actuelle et fait mouche à chaque fois…

Et puis, pour reprendre aussi un thème développé par le romancier belge Henry Bauchau dans son roman « le régiment noir » (Babel), qui a aussi pour cadre la guerre de Sécession, il y a chez Wright une manière de rappeler que, si nous nous rappelons que ce conflit a abouti à la fin de l’esclavage, ce n’était pas le cœur du conflit. C’était même assez accessoire, en fait, et il n’y avait pas forcément plus d’Américains favorables à cette abolition au nord qu’au sud.

La guerre de Sécession, c’est la lutte entre deux visions de l’Amérique qui s’opposent, parce qu’elles n’ont rien à voir l’une avec l’autre : le nord veut unifier une Nation encore jeune, imparfaite, qui doit grandir, dans tous les sens du terme, tandis que le sud se bat pour sa terre, et voilà une différence fondamentale : peu importe aux planteurs ce qui se passe à New York, Chicago ou Boston, il vet juste être le maître chez lui…

Et les Noirs, dans tout ça ? Pour reprendre Bauchau : les Blancs du Sud veulent des Noirs comme esclaves, les Blancs du nord ne veulent pas d’esclaves mais ne veulent pas non plus des Noirs… Au cœur du roman de Wright, la question terrible du racisme en Amérique. Et, si en préambule, je signalais les dates de parution, c’est aussi pour remarquer que le livre est sorti avant l’élection d’Obama.

On ne peut pas vraiment dire que cet événement historique ait beaucoup fait évoluer les modes de pensée dans ce domaine… Pourtant, c’est un pas incroyable qui a été franchi, inimaginable pour Liberty Fish et ses contemporains. Un premier pas, nécessaire mais pas suffisant et, on le voit quotidiennement (même si je ne nous crois pas vraiment, ces temps-ci, en position de donner des leçons), l’Amérique reste un pays où le racisme est intrinsèque, à des années lumières du fameux melting pot qu’on nous vantait à l’école…

Avec son acidité et son cynisme, Wright introduit dans « la polka des bâtards » la question du métissage. En effet, c’est de manière tout à fait étonnante et donnant lieu à une situation aussi contradictoire que ridicule, à la fois comique, par son décalage, et tragique, dans les faits. Le métissage n’y est pas vu comme un moyen d’unir deux races, deux cultures, mais bel et bien de permettre à l’une d’éradiquer l’autre… Comme la goutte de lait qui vient éclaircir le café noir… Terrible idée, non ?

Je n’en dis pas plus sur ce sujet, ce serait trop en dévoiler sur la fin du livre. Mais, cela nous amène aussi au titre de ce roman qui vous a probablement, comme moi, intrigué par l’association inattendue de ces deux mots, polka et bâtards… Précision linguistique : « la polka des bâtards » est l’expression choisie par le traducteur du roman, Serge Chauvin, pour rendre le titre original de Wright : « the Amalgamation Polka ».

Une danse un peu particulière, semble-t-il, dans laquelle s'unirait Noirs et Blancs sur ce rythme si particulier... Et Wright de proposer en ouverture du livre, une photo de cette danse qui, si j'en crois certains commentaires péchés sur internet (à prendre avec précaution, je le précise), serait en fait une expression péjorative utilisée par les partisans de l'esclavage pour définir le métissage, selon eux néfaste, qui serait l'inéluctable conséquence de l'abolition... Wright retourne bien sûr cet aspect négatif pour en faire le titre d'une vraie ode au métissage, qui va bien au-delà de l'époque à laquelle se déroule son roman.

Bien sûr, si Wright joue de la caricature propre à la satire, il n’oublie pas aussi de défendre, à sa façon, la notion de métissage et ce qu’elle a de fondamental. D’abord, avec, en exergue du roman, un encadré, comme on dirait en journalisme, un entrefilet citant le sermon d’un pasteur du Massachusetts (qu’on imagine datant de l’époque du roman) dans lequel le saint homme affirme que le mélange des deux races, Caucasienne et Africaine, est exactement ce qu’il convient pour les parfaire chacune. Le billet est plus détaillé que cela, mais cette phrase est si forte que je la tire de son contexte volontiers.

Ensuite, avec cette phrase qui conclut le dénouement de la folle équipée de Liberty et de son grand-père : « Ah les bâtards… C’est la meilleure race qui soit ! ». Bien sûr, la formulation est à remettre dans le contexte de la satire et de l’humour noir, Liberty acquiesce à cette phrase, « avec le sourire rusé et elliptique de son grand-père », précise, vachard, le narrateur, car, vous vous doutez bien que ce n’est pas le grand-père en question qui a prononcé ce mot lapidaire…

En guise de conclusion, « la polka des bâtards » est pour moi un roman picaresque. Certes, Liberty devient adulte en cours d’histoire, ce qui ne devrait plu lui permettre d’avoir droit à ce terme, mais il y a dans ce personnage quelque chose de perpétuellement enfantin qui me pousse à affermir mon avis sur ce qualificatif.

Oui, c’est un roman picaresque dans lequel Liberty ne maîtrise jamais rien, et surtout pas sa destinée. Bizarrement, alors qu’il est le personnage central du livre, il est toujours en retrait par rapport aux autres, ses parents, grands-parents, rencontres diverses, etc. Jamais il n’est aux commandes, sauf en toute fin de livre ou, enfin, on sent qu’il a pris les rênes… et que c’est peut-être le plus dur qui commence.

Sans être simplet ou trop gentil, Liberty est un suiveur, il est entraîné par les événements et ne peut faire face qu’à leurs conséquences… Un véritable tourbillon qui rappelle un peu le personnage du « Tambour », de Günther Grass, même si je ne crois pas que ce soit Liberty qui ait décidé de ne pas vraiment grandir, ou plutôt mûrir.

Liberty regarde cette Amérique qui défile sous ses yeux et il emmagasine tout ce savoir qui s’assimile petit à petit en idée. Oui, bien sûr, il est aussi le fruit de l’éducation très libérale pour l’époque que lui ont donnée ses parents, mais ses convictions vont s’affermir sur le terrain devant les horreurs que peuvent provoquer, et tout à fait sciemment, ses frères humains.

On peut revenir à ce prénom, que je qualifiais plus haut de prémonitoire, et s’il était surtout allégorique ? Cette liberté qu’incarne le garçon et qui passe à portée des uns et des autres, sans que jamais personne ne la saisisse ou alors, pour agir librement mais faire le mal… Oui, je le vois bien ainsi, une allégorie de l’Amérique terre de liberté, la bafouant sans cesse, instaurant des hiérarchies entre humains, déniant des droits aux uns, en accordant plus aux autres, de façon arbitraire…

Bientôt, la liberté guidera le monde… Enfin, si on en croit le véritable nom de la Statue de la Liberté qui se dressera au-dessus de New York, sa torche solidement brandie… A sa façon, avec son air de ne pas y toucher, Liberty Fish pourrait parfaitement être le précurseur de ce message universel, devenu quelques décennies plus tard un des symboles d’une Amérique triomphante.


Dommage que les hommes aient si souvent la vue basse…


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