lundi 1 juillet 2013

« Dans la Chambre, j’étais à l’abri, c’est le Dehors qui fait peur ».

ATTENTION, CE BILLET PEUT CONTENIR DES ELEMENTS QUI PEUVENT ETRE, AUX YEUX DE CERTAINS, DES SPOILERS.

Décidément, cet été 2013 est placé sous le signe du rattrapage des romans oubliés en route. En voici encore un exemple, avec un livre qui m’a été chaudement recommandé lors de sa sortie en grand format. Je n’avais pas saisi l’opportunité à ce moment-là, mais, quand j’ai vu que ce roman sortais en poche, je me suis dit qu’il était temps de m’y attaquer. Une lecture qui résonne bizarrement, car elle repose sur des faits qui, malheureusement, défrayent régulièrement la chronique des faits divers. Mais son auteure, Emma Donoghue, a choisi de traiter cette question sous un angle tout à fait original. Dans « Room », c’est un jeune enfant qui nous raconte sa « drôle » de vie et nous fait partager son curieux apprentissage de la liberté. C’est bouleversant, ça fait réfléchir, ça nous offre un regard différent sur ce qui nous semble si banal : la vie quotidienne.




Jack est un petit garçon qui grandit aux côtés de sa maman (on ne connaîtra jamais son prénom, d’ailleurs). Aujourd’hui, c’est un grand jour, car c’est l’anniversaire de Jack et il fête ses 5 ans. 5, le chiffre préféré de l’enfant. L’occasion de manger un gâteau autour de la table familiale dans ce que Jack appelle « la Chambre ».

En fait, Jack a des petits noms pour chaque objet présent dans la Chambre : Madame Lampe, Monsieur Rocking-Chair, Madame Table, Monsieur Miroir… Enfin, je ne vais pas faire l’inventaire complet du mobilier, je pense que vous avez compris le principe. Et c’est toute la vie de Jack et de sa Maman qu’on découvre petit à petit, une vie apparemment tranquille et réglée comme du papier à musique.

Jack est un enfant très joueur. La majeure partie de son temps est consacrée à différents jeux, pratiqués seul ou avec sa Maman, et, finalement, on a l’impression que chaque activité quotidienne peut devenir un jeu, tant ce petit bonhomme, jovial et plein d’entrain, semble prendre plaisir à cela. Même devant la télévision, par laquelle l’enfant a enrichi son vocabulaire grâce au jeu du perroquet (répéter ce que disent les personnes apparaissant à l’écran, puis explication des mots difficiles), ou au moment du coucher, quand ils improvisent des comptines rimées, tout est propice au jeu.

D’ailleurs, Jack est un gamin éveillé qui aime la lecture, mais plus encore que sa mère lui lise les livres présents dans « la Chambre » (une dizaine au total, 5 avec des images, 5 autres avec uniquement du texte), ou, encore mieux, qu’elle lui raconte des histoires de son cru, qui le transporte loin de sa vie quotidienne. Jack nourrit ainsi une passion pour Alice, à laquelle il peut lui arriver de s’identifier dans certaines circonstances.

Pourtant, au fil des pages, quelques indices apparaissent qui mettent le doute dans l’esprit du lecteur. Oh, pas au sujet de la relation entre la mère et son fils, incroyablement fusionnelle (elle allaite encore Jack, qui considère les seins de sa Maman comme des doudous…). Non, c’est autre chose qui commence à intriguer le lecteur…

Pourquoi ne sortent-ils jamais de ce que Jack appelle « la Chambre » ? Une chambre qui est une pièce unique, pas vraiment spacieuse, qui plus est, et qui ne possède de vue vers l’extérieur que par une unique lucarne, quasiment inaccessible… Pourquoi l’enfant ne dort-il pas dans un lit, mais soit dans celui de sa Maman ou, au moment du coucher, dans la partie de la chambre qui sert de dressing (terme bien pompeux, eu égard au peu de vêtements en leur possession) ?

Enfin, et surtout, qui est cet homme qui apporte des provisions à la mère et son fils, débarque dans « la Chambre » la nuit tombée, s’allonge aux côtés de la maman puis repart, emportant le sac poubelle ? Oui, qui est donc cet homme que semblent craindre Jack et sa Maman, au point que l’enfant se cache jusqu’à ce qu’il soit reparti ?

Qui est cet homme que Jack a surnommé « Grand Méchant Nick » ? La vérité va apparaître peu à peu, elle est atroce, tellement contraire à l’impression de bonheur tranquille que semble vivre Jack. « Grand Méchant Nick » a enlevé la mère de Jack et la séquestre depuis des années, semble-t-il. Enfermée dans cette pièce aveugle et austère, lui octroyant le strict minimum pour vivre, la violant chaque fois qu’il vient la retrouver dans son lit et la punissant avec sévérité lorsqu’elle ne se plie pas à ses désirs ou réclame trop…

Quant à Jack, ai-je besoin de vous expliquer son lien avec « Grand Méchant Nick » ? Oui, Jack est le fruit d’un viol et est tout aussi prisonnier que sa mère, même si lui n’en a pas du tout conscience. Même s’il a été élevé du mieux possible, dans ces circonstances, même s’il sait lire et s’il comprend ce qu’il voit à la télévision, par exemple, Jack est persuadé que le monde se limite à « la Chambre ».

Pour lui, la pièce dans laquelle il a passé toute sa vie depuis sa naissance jusqu’à cet anniversaire, est entourée de l’espace infini, ce qui explique pourquoi ils ne sortent jamais. Chaque chaîne, pense-t-il, montre ce qui se passe sur des planètes différentes, bien loin de « la Chambre », ce qui revient à ne pas avoir d’existence véritable. Et à considérer l’extérieur comme une abstraction, voire un danger terrifiant…

Sa mère, bien évidemment, prisonnière depuis 7 ans d’un pervers, ne voit pas du tout les choses de cette façon. Pour elle, cette réclusion n’a que trop duré. Certains jours, malgré le réconfort que lui apporte son Jack, elle plonge dans une espèce de dépression, laissant l’enfant livré à lui-même. Puis, elle reprend pied et la vie se poursuit ainsi, selon un rythme quotidien immuable.

Mais, après une énième punition (qui a consisté à couper l’électricité et donc, le chauffage, dans « la Chambre » pendant plusieurs jours), elle décide que cela ne peut plus durer. Alors, elle commence à échafauder des projets d’évasion. Seulement, comment faire quand on a la charge d’un jeune enfant ? Un échec, et Jack serait en grand danger, car « Grand Méchant Nick » considère ce rejeton comme moins que rien, ou presque…

Et puis, d’un coup, l’évidence : c’est Jack qui doit s’enfuir. Au pire, il s’en sortira, sera pris  en charge à l’extérieur et connaîtra une vie meilleure loin de « la Chambre » ; au mieux, il réussira à prévenir les autorités et à les mettre sur la piste de son ravisseur. Elle serait ensuite libérée, retrouverait son enfant et pourrait recommencer une nouvelle vie, qui ne sera plus cantonnée à ces quatre murs.

Mais voilà, Jack a bien du mal à comprendre ce que sa mère attend de lui et surtout, pourquoi elle veut quitter ce qui est pour lui un nid douillet, presque une matrice, en tout cas son seul univers fini et connu. Pourquoi risquer d’aller à l’extérieur, dans l’espace où rien n’existe ? Il faut à sa mère des trésors de pédagogie, des disputes éclatent comme jamais auparavant, et, finalement, toujours sceptique, mais souhaitant faire plaisir à celle qu’il aime plus que tout, l’enfant accepte de jouer le jeu…

L’expression est à prendre au sens propre comme au figuré. En effet, si, pour la mère, l’élaboration d’un plan d’évasion est la chose la plus sérieuse qui soit, Jack, fidèle à lui-même, n’y voit qu’une activité ludique de plus, un simple loisir… Là encore, la mère va devoir déployer toute sa diplomatie et le courage qui lui reste, pour que l’enfant cesse ses simagrées et se prépare à jouer son rôle.

Il va falloir un bon moment pour que Jack retienne le plan et surtout accepte enfin l’idée de sortir de « la Chambre ». Le plan, je ne vous le raconte pas, mais je dois dire que, comme beaucoup de scènes de « Room », sa laborieuse préparation crée un certain malaise chez le lecteur : entre la maladresse des deux acteurs, les nombreux essais effectués avant de parvenir à l’effet recherché, les revirements de Jack… Tout cela aurait indéniablement quelque chose de comique si, dans le même temps, on n’avait pas à l’esprit en permanence la gravité de la situation…

C’est le vrai talent d’Emma Donoghue, d’ailleurs : en faisant de Jack le narrateur candide et dépassé par des événements qu’il ne peut pas comprendre, elle crée un décalage certain qui offre, à bien des moments, si ce n’est de francs éclats de rire, au moins de grands sourires, qui viennent quelque peu apaiser les tensions né du contexte dans lequel le récit s’intègre.

Mais ne croyez pas que « Room » soit seulement le récit d’une évasion, fût-elle un temps inspirée par le film, « la Grande Evasion », vu à la télévision… Non, ce livre va plus loin que cela. Bon, on peut considérer que j’en dis trop en disant que l’évasion va réussir malgré les imperfections du plan et les maladresses de Jack, qui ne maîtrise plus grand-chose, une fois sorti de « la Chambre ».

Pourtant, difficile de ne pas parler de ce qui se passe ensuite. Le retour au monde, hors des quatre murs aveugles de « la Chambre ». Ou plutôt, l’arrivée au monde, en ce qui concerne Jack, qui n’avait jamais imaginé qu’il puisse exister autre chose que cet univers clos dans lequel il a grandi. Si sa mère va d’abord devoir faire avec le douloureux traumatisme de son enlèvement, l’enfant, lui, va carrément devoir réapprendre à vivre.

Et à vivre en société, lui qui n’a jamais côtoyé que sa mère, et à peine « Grand Méchant Nick », dont sa mère le protégeait de son mieux… Alors, là, policiers, médecins, infirmières, journalistes avides d’images, patients, parents… Et même simplement les Autres, quels qu’ils soient ! Ca fait beaucoup en peu de temps pour un petit garçon, qui n’est pourtant pas un enfant sauvage…

Là encore, sur un fond toujours dramatique, les situations, pour nous si évidentes (mettre des chaussures, descendre un escalier…), que doit dompter Jack font sourire et donnent lieu à des absurdités dont on n’aurait pas idée, nous qui n’avons pas passé les 5 premières années de notre vie dans une pièce fermée, sans jamais sortir…

Imaginez un enfant emmitouflé, devant porter d’épaisses lunettes de soleil et mettre de la crème solaire à chacune de ses sorties à l’extérieur (quand il accepte de prendre « ce risque », d’ailleurs), parce que sa peau et ses yeux n’ont jamais été accoutumés au soleil… Imaginez un enfant qui a peur des gouttes de pluie, s’émerveille devant la chute d’une feuille d’arbre ou refusant de glisser sur un toboggan dans un parc…

Voilà ce qu’est Jack, véritable sujet de curiosité pour les médecins qui ont pris l’enfant et sa mère en charge, mais aussi pour les médias, qui guettent partout. A l’ère du téléphone portable roi, muni de ses fonctions appareil photo et caméra, autant de paparazzis amateurs en puissance, capable de faire de sa vie un enfer…

Emma Donoghue, même si elle ne creuse pas le sujet au-delà de ce que peut voir Jack, narrateur mais surtout témoin de cette nouvelle vie qu’on lui dit être la sienne, ébauche une critique acerbe de cette société devenue celle du voyeurisme et du scoop à tout prix. La façon dont la mère de Jack va gérer les choses est à la fois habile et dramatique, et le manque de respect des médias pour les victimes de ce genre de faits divers est vilipendé.

Mais, ce que j’ai trouvé de plus intéressant dans « Room », c’est vraiment le point de vue de ce gamin, forcément trop jeune pour bien assimiler les événements. On comprend bien la difficulté que la mère a pu avoir à aborder le sujet de sa (leur) détention face à un garçonnet de 5 ans. Résultat, on a un couple fusionnel qui, d’un seul coup, va diverger sur une question pourtant fondamentale…

Avant l’évasion, on sent bien que la mère est au bout du rouleau, que la coupure de courant infligée par « Grand Méchant Nick » est une goutte d’eau qui fait déborder le vase. A quelques commentaires, on se rend compte que la naissance de Jack, bien que conséquence d’actes épouvantables, a été la bouée de sauvetage de la jeune femme, qui dépérissait dans « la Chambre » et songeait, si ce n’est au suicide, au moins à se laisser mourir.

Avec Jack, elle s’est trouvé une raison de vivre, ou plutôt de continuer à vivre. Un être innocent, tout aussi victime des événements que sa mère (quoi qu’en pense le père de la jeune femme, dont la réaction première fait mal aux tripes), dont elle est responsable, et seule responsable… Tout ce qu’elle veut, c’est prendre soin de cet enfant et, au fur et à mesure, le sortir de là, lui offrir coûte que coûte la vie de n’importe quel garçon…

Alors, elle se bat pour lui, prend des risques pour lui, prend des décisions pour lui… Lorsqu’elle imagine l’évasion, c’est avant tout pour le faire sortir de là. Elle sait qu’il y a un grand risque pour que l’enfant ne puisse aider les secours éventuels à retrouver la maison où elle est détenue et que sa détention pourrait se poursuivre longtemps… A moins que « Grand Méchant Nick » ne décide de se débarrasser d’elle, devenue dangereuse, encombrante…

Mais, il le faut, elle a longtemps pesé le pour et le contre et elle est parvenue à la conclusion qu’elle doit se sacrifier pour son petit bonhomme.

Un bonhomme qui lui, avec son regard de gamin de 5 ans, voit les choses complètement différemment. Mettons-nous un instant à sa place : comment savoir ce qu’il y a derrière la porte de « la Chambre » ? Comment savoir à quels dangers l’expose une sortie, et je ne parle même pas de « Grand Méchant Nick », qui pourrait se rendre compte de la ruse avant que Jack ne réussisse à lui fausser compagnie ?

A la fois effrayé et persuadé que rien d’autre n’existe en dehors de « la Chambre », il est plus que réticent à sortir. Il veut repousser l’évasion, cherche à persuader sa mère de renoncer… Et, lui aussi, c’est par amour pour elle, parce qu’il ne supporte pas de la rendre triste, qu’il va aller au-delà de sa peur et de ses doutes et sortir de son antre, de son refuge.

Une fois dehors, avec toutes les embuches que j’ai évoquées, Jack va, par moments, sérieusement regretter « la Chambre », tant il a du mal à comprendre et maîtriser cette nouvelle vie qu’on lui impose brusquement. I faut dire aussi que « Dehors », sa relation si étroite avec sa mère change. On peut le comprendre, enfin libre, la jeune femme aspire à de l’espace, de l’intimité, des moments pour elle… Quand l’enfant ne veut que poursuivre ce qu’il a toujours connu dans « la Chambre ».

Des difficultés qui vont se poursuivre, on le voit bien à travers la phrase que j’ai choisie en titre de ce billet. Il s’agit d’une réflexion que fait l’enfant sans la dire (à cause des bonnes manières, explique Jack), lorsque son médecin lui dit qu’il est désormais en sécurité. Pour Jack, « c’est tout l’inverse » : le danger, il le ressent maintenant…

La liberté, pas plus pour sa mère que pour lui, est un dur apprentissage. Il faudra du temps, des erreurs, des larmes, des difficultés quotidiennes, des questions, un combat en tête-à-tête avec des peurs tenaces pour qu’enfin le nouveau départ soit véritablement donné. Un nouveau départ qui n’aura lieu qu’après la bouleversante scène de fin du roman, lorsqu’enfin, Jack va prendre conscience que sa vie ne sera plus jamais comme avant… Et que, malgré tout, c’est peut-être mieux ainsi.

L’action de « Room » se concentre en quelques semaines à peine. Jack aura toujours 5 ans, pour nous, lecteurs. Et pourtant, je dois dire que je serais très curieux de voir ce que ce petit bonhomme va devenir en grandissant. Saura-t-il se sociabiliser correctement ? Souffrira-t-il d’un quelconque traumatisme ? Parviendra-t-il à oublier ? Ou bien, lorsqu’il sera en âge de véritablement comprendre ce qu’il a vécu, comment gérera-t-il cela ?

Oui, je sais, je me mêle de ce qui ne me regarde pas. Tout cela, ça appartient à Jack, à sa mère et à leurs proches. A ceux qui vont les aider aussi à repartir du bon pied, qu’on voit déjà à l’œuvre dans le roman. Pourtant, et cela aussi on le constate, en particulier avec le personnage de Noreen, infirmière si pleine de bonne volonté et qui, malgré tout, semble presque toujours tout faire de travers, rompre l’incroyable intimité de ces deux êtres pour leur faire construire une autre existence avec de nouvelles bases, ne sera pas une sinécure…

Je vais finir ce billet en saluant une nouvelle fois Emma Donoghue pour son écriture. Elle a choisi un point de vue qui n’est pas forcément très original : faire parler un enfant, ce n’est pas inédit. Mais, encore faut-il le faire avec talent, et sans tomber dans la caricature. Faire parler un gamin de 5 ans, ça demande du doigté et quelques arrangements…

Car, même très éveillé, il faut reconnaître que Jack a du vocabulaire. Sans doute trop, même pour son âge. Mais, comme sa façon de raconter tout ce qui lui arrive en détails, il faut savoir passer outre et accepter d’abord le parti pris de l’auteur et donc, une certaine licence romanesque. Une marge de manœuvre pour nous servir quelque chose de lisible et de construit.

Pour autant, Jack ne parle pas comme un enfant. Parfois, son vocabulaire « dérape », quelques imprécisions enfantines qui font sourire. Mais aussi pas mal d’inventivité, comme ces « mots-sandwiches », qu’il adore inventer. Sa candeur est aussi rafraîchissante et permet d’être témoin d’un drame terrible avec, à l’esprit, une certaine légèreté.

Il reste un élément, à la fois tellement crédible, mais aussi tellement agaçant, malgré tout, malgré le contexte, malgré le drame et la tension, qu’il faut aborder. C’est le recours permanent, pour tout et pour rien, parfois, aux questions. Je me demande combien de points d’interrogation compte ce roman ! Dans « la Chambre » comme « Dehors », la curiosité de Jack semble intarissable.

Et, si dans « la Chambre », sa Maman avait réponse à tout, quitte parfois à s’arranger un peu avec la vérité vraie, si je puis dire, « Dehors », cela change forcément un peu la donne. Dans cet univers si différent, si inconfortable, les questions sont plus prégnantes, les problèmes, plus délicats et les réponses, pas forcément aussi rassurantes que l’enfant le voudrait…

Voilà encore quelque chose qui contribue à l’inquiétude de l’enfant et à ce que la tension persiste même une fois la libération intervenue…

Au final, Emma Donoghue parvient au compromis parfait entre légèreté (je ne vais pas dire drôlerie, ou comique, il ne faut pas exagérer) et gravité. Entre la comédie et le drame. En refusant le récit clinique d’un fait divers, en ne choisissant pas de décortiquer les choses de façon clinique, méthodique, en n’adoptant pas le point de vue d’une femme séquestrée pour raconter la détention, la romancière ambitionne de nous proposer autre chose.

Il est vrai qu’après le livre-témoignage d’une Natacha Kampusch, par exemple, ou après les reportages en continu disséquant ces faits divers quand ils sont révélés au monde, on peut se demander ce que le roman peut apporter de plus… Emma Donoghue montre justement ce qu’est la force de l’imagination lorsqu’elle s’empare de la réalité et la modèle différemment.

En donnant la parole à Jack, elle change toutes les perspectives, visuelles, intellectuelles et parvient à créer les décalages que j’évoque depuis le début de ce billet. La simple idée de se sentir mieux en réclusion qu’en liberté, même si là, je le dis avec mes mots et mon ressenti, qui ne sont pas ceux de l’enfant, a quelque chose de fascinant et d’effrayant.

Ce décalage, technique de comédie habituellement, quand on confronte un personnage à un univers si différent du sien qu’il y accumule les erreurs, les quiproquos, les maladresses, fonctionne ici remarquablement, même si, encore une fois, on n’oublie jamais quel est le contexte et sa dimension dramatique.


Ce délicat cocktail est dosé au mieux, la recette fonctionne très bien, et je dois reconnaître qu’il est par moments difficiles de ne pas sentir sa gorge se serrer, voire ses yeux devenir humides. On se prend d’affection pour ce gamin déphasé, mais aussi pour sa mère si courageuse. Et on se dit qu’il n’y a rien de plus fort que l’instinct maternel, qu’il peut renverser toutes les montagnes.


5 commentaires:

  1. Oula mais tu racontes tous le roman là! Spoilers, spoilers... ;)

    J'ai lu ce roman il y a quelques mois et j'ai adoré. Très touchante cette histoire et le narrateur n'y est pas pour rien!

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  2. Ah non, je ne dis pas tout, justement, il reste bien des choses à découvrir ! A commencer par l'ambiance et le style si particuliers de ce roman.

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  3. TROP TROP d'informations pour les futurs lecteurs !!!!
    Heureusement que j'avais déjà lu ce bouquin autrement je ne l'aurai jamais acheté!

    J'aime beaucoup ton blog que je trouve riche et intéressant, mais après cette chronique j'ai bien peur qu'à l'avenir je passerai chez toi uniquement après avoir lu les mêmes titres.
    Dommage que tu ne mettes pas "Spoiler" :-( sur tes articles, histoire de conserver un peu le plaisir de découvrir sa lecture.

    En ce qui concerne ton ressenti, j'ai tout comme toi été très touchée pour ce petit Jack, même moi j'ai eu la gorge serrée par moment, j'ai d'ailleurs donné mon coup de cœur à ce livre (sur mon blog) et une mention spéciale à l'auteur qui m'a bluffé!

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  4. Pour moi, il n'y a pas de spoiler. On n'est pas dans un thriller, on est dans un roman de littérature générale. Ce qui prime et ce qu'aucun blog ne rendra jamais, c'est le style instauré par Emma Donoghue pour raconter cette histoire et l'angle très intéressant qu'elle a choisi. Voilà pourquoi il faut lire "Room".

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  5. Une découverte bouleversante pour moi également..

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