Direction l'Australie, pour notre billet du jour. Mais, oubliez les plages, le surf, les cartes postales de la côte sud de l'île, c'est ailleurs que l'on se rend, dans l'Outback, ce désert impitoyable où, pourtant, l'homme essaye de vivre. Et où l'homme blanc, lui, est allé chercher divers minerais, au mépris des Aborigènes qui vivaient là depuis toujours... Depuis, les prospecteurs ont déchanté, mais il reste quelques vestiges, des villes fantômes, comme au Far West. Et d'autres bleds encore habités, mais pour combien de temps ? Cotton's Warwick fait partie de ces coins perdus, oubliés, désolés... Un endroit où il fait bon mourir à petit feu, jusqu'à extinction totale. A moins que quelqu'un ne vienne y mettre bon ordre... "Bienvenue à Cotton's Warwick", de Michaël Mention (en grand format chez Ombres Noires, désormais sous le pavillon Flammarion), est un roman implacable, entre pulp, roman d'horreur, fantastique, qui nous plonge dans une atmosphère très particulière, étouffante et hostile, qui pourrait bien tourner à la totale démence...
Cotton's Warwick, dans l'Outback australien. 17 habitants, tous des hommes à l'exception de Karen, la vingtaine, qui tient le bar local, rendez-vous incontournable de cette étrange communauté. Un bled perdu, en déshérence, que ne fréquente guère qu'un chauffeur routier qui vient y traficoter avec le maître des lieux, Quinn, à la fois maire, ranger, prêcheur, banquier, et bien d'autres choses encore.
Quinn règne en despote sur cette communauté sans foi ni loi, sans doute pas arrangée par la consanguinité, plus affreux, sales et méchants les uns que les autres, aussi obsédés sexuellement qu'ils sont frustrés (forcément, avec seulement Karen, qui les repousse tous, dans le paysage), nourris à la viande et à la bière (l'eau étant absente de ce désert, pour quelque usage que ce soit, dirait-on...).
A Cotton's Warwick, il n'y a rien, rien du tout... Ah, si, un abattoir, dans lequel travaille sans relâche celui que les natifs du lieu appellent avec un mépris non dissimulé "l'Autre". Un jeune homme dont on se demande comment (et pourquoi) il a pu venir se perdre sous ces cieux fort inhospitaliers et qui bosse comme un automate en espérant qu'on le laissera tranquille...
En dehors de cet établissement capable de filer un AVC à un inspecteur de l'hygiène et un infarctus aux militants de la cause animale, il n'y a rien... Alors, les habitants de Cotton's Warwick ont mis en place, sous la houlette de Quinn, quelques juteux trafics qui permettent à tous de survivre et de pérenniser un mode de vie qui ferait passer Délivrance pour un paradis terrestre.
Cotton's Warwick, c'est des baraques pourries, une unique route sur laquelle personne ne roule, de la poussière matin, midi et soir, et même tout le reste de la journée, des mouches qui s'insinuent partout, tout le temps, en véritables essaims zonzonnant, un soleil qui fait passer le plomb pour un paquet de plumes et des températures qui dépassent allègrement les 50° à l'ombre (et de l'ombre, il n'y en a pas des masses)...
Ce n'est pas franchement le genre d'endroit que le touriste lambda, qu'il soit plutôt TripAdvisor ou plutôt Guide du Routard, inscrit sur son programme prévisionnel. Et si on ne peut pas faire autrement que passer par Cotton's Warwick, alors, mieux vaut ne pas s'y arrêter... Les risques sont trop grands d'y voir sa vie sacrément mal tourner...
Le seul espoir, c'est de voir cette palanquée de malades dégueulasses disparaître petit à petit, de leur belle mort ou pas, quelle importance, après tout, jusqu'à extinction totale... Jusqu'à ce que Cotton's Warwick devienne enfin un village fantôme et que soit rayé de la carte cet endroit maudit de tous les dieux pouvant exister...
D'ailleurs, le décompte fatal commence, quand on découvre le corps sans vie de Pat, le menuisier de Cotton's Warwick. On imagine le cliché façon Lucky Luke ou Tex Avery, le panneau indiquant l'entrée de la ville avec le nombre d'habitants barré, un 17 inscrit à la main pour remplacer le 18... Et ce n'est qu'un début, oui, comme si le décès de Pat était un coup d'envoi...
Bienvenue à Cotton's Warwick, village pas franchement paisible, bourgade pas franchement riante de l'Outback australien qui vit sans doute ses derniers jours avant de retourner à la poussière, déjà bien présente sur les lieux, remarquez... Et, s'il y restait encore une once de raison, soyez assurés qu'elle disparaîtra bien avant la dernière vie...
Sur ce blog, nous avons déjà évoqué deux romans de Michaël Mention, deux fictions mais très largement inspirés par le parcours de véritables tueurs en série : "Adieu demain" et "Fils de Sam". Je dois avoir encore un ou deux autres de ses titres dans une pile ou dans ma liseuse. Et, en attaquant "Bienvenue à Cotton's Warwick", je pensais savoir à peu près où je m'aventurais.
Grave erreur... Très grave erreur !
Car ce roman n'a rien à voir avec ce que son auteur a proposé jusque-là à ses lecteurs. On n'est pas dans un polar, un roman noir ou un thriller classique, mais dans un livre qui explose tous les codes, qui force tous les traits, ne craint pas de basculer dans la caricature ou le grand-guignol. A partir du moment où l'on a posé un pied à Cotton's Warwick, on va en prendre plein les mirettes !
Oui, clairement, rien ne va plus à Cotton's Warwick, et vu l'état des lieux et des troupes, ça fait un moment que ça dure... En dehors de Quinn, le chef, de Karen, qui ne rêve que de se barrer, et de "l'Autre", dont on ne sait rien, si ce n'est qu'il tranche, lève, jette, tranche, lève, jette, tranche, lève, jette (ad libitum, ou ad nauseam, à vous de choisir), les autres sont de fieffés tordus...
A croire que ce coin du monde est resté imperméable à toute forme de morale. Quelques pages à peine et l'on se dit déjà que Cotton's Warwick mériterait un châtiment divin digne de celui qui frappa Sodome et Gomorrhe, mais à la puissance 1000 ! Et d'ailleurs, allez savoir si ce n'est pas ce qui se passe dans ce livre !
Âmes sensibles, abstenez-vous, car "Bienvenue à Cotton's Warwick" n'est pas seulement un roman gore, c'est aussi un roman crade, poisseux, puant (heureusement qu'on n'a pas encore inventé la lecture en odorama !), déviant jusqu'à l'outrance... Et, à chaque nouvel situation, on a l'impression de descendre d'un ou même de quelques étages et l'on se demande jusqu'où on va encore tomber...
Oh, ne prenez pas ces mots pour une critique dégoûtée et courroucée d'un lecteur ayant tourné les pages de ce roman en se bouchant le nez et en se fermant les yeux (position, vous en conviendrez, quasiment impossible, à moins de posséder quelques membres supplémentaires), non, je me suis bien amusé en lisant ce livre, justement parce qu'il m'a fait pousser un tas de "Ooooh !" et de "Beuuurk !"
Masochiste, moi ? Oh, sans doute un peu, c'est vrai, mais cette orgie d'atrocités, à tous les points de vue, en devient jubilatoire. "Cotton's Warwick", c'est une version adulte des Crados, souvenez-vous, ces cartes à collectionner bien dégueu mais devant lesquelles on se marrait bien. C'est un bourbier sordide dans lequel nous entraîne Michaël Mention et, à chaque page, on se demande ce qu'il va encore nous infliger...
Plus que les agissements des personnages, finalement, ce qu'on retient de cette lecture, dans la lignée de séries comme "Preacher" ou "Banshee", c'est l'ambiance d'un glauque, mais d'un glauque, que réussit à instaurer Michaël Mention d'un bout à l'autre, laissant mijoter tout le monde, êtres de papier et lecteurs, dans une cocotte-minute australienne chauffée à blanc par un soleil écrasant.
Il parvient à tout nous faire ressentir, la chaleur, la puanteur (avec un mélange de fragrances à vous faire tourner de l'oeil), le bruissement des mouches, personnages incontournables, la promiscuité entre les humains et la menace permanente qui l'accompagne, la bêtise et son cortège de noirceur et de désinhibitions...
Le tout, dans une espèce de huis clos qui fait monter doucement l'impression de folie jusqu'à la pousser à son paroxysme. Car, oui, c'est bien cela, le thème central de ce roman : comment cette communauté, déjà pas bien fraîche ni très saine, va basculer dans une folie absolue, comme une longue agonie, douloureuse et avilissante.
Une histoire déjantée, furieuse, violente et sans limite, qui prend une tournure tout à fait inattendue. Mais, je ne peux pas tout vous dire, vous vous en doutez, en particulier au sujet de la dimension fantastique (je la considère ainsi, parce qu'elle sort de notre rationalité, mais, après tout, qui sait si ce qui se passe à Cotton's Warwick n'est pas une forme alternative de raison ?).
Si l'on considère que la normalité, à Cotton's Warwick, se mesure selon un étalon déjà bien abîmé, force est tout de même de reconnaître que, après la mort de Pat, il va se passer des choses particulièrement troublantes, inquiétantes, même... Et carrément flippantes par moments. Si je vous le dis, c'est parce que même ces durs à cuire complètement cinglés qui vivent là vont flipper...
Pendant ces quelques jours, à Cotton's Warwick, tout part sévèrement en vrille, comme si, enfin, était venue l'heure de payer une vieille dette, de subir un juste châtiment, résultat d'une longue, très longue période d'infraction avec toutes les lois possibles, pas seulement les lois humaines, mais aussi celles de la nature, celles de la providence...
Cotton's Warwick doit expier ses fautes, accumulées depuis... qui peut le dire, et la note est salée... La sanction est sans appel et est appliquée avec la sévérité requise par des juges inaccessibles. Mais, qu'on se le dise, si Cotton's Warwick est un immondice à la surface de la Terre, ce n'est sans doute qu'un symptôme d'un mal profond qui pourrait avoir contaminé tout le monde...
Tout ce que je viens de vous raconter, cette descente aux enfers de cette petite vingtaine d'êtres plus tout à fait humains, est servi par une écriture au diapason. Il y a les descriptions, je l'ai évoqué plus haut, mais ce n'est pas tout. Le style de Michaël Mention s'adapte aux situations, aussi bien dans le fond que dans la forme.
J'en ai donné un petit exemple, plus haut, en évoquant l'autre. Ces répétitions lancinantes, envoûtantes, comme des mantras, mais plus sûrement comme l'expression d'une démence qui gagne doucement, on en retrouve un certain nombre au fil du livre. On croise aussi des chapitres courts, très courts, même, parfois. Une seule ligne peut suffire.
Michaël Mention déploie un arsenal narratif très imaginatif et très convaincant pour immerger son lecteur dans cette ambiance chaotique, indescriptible, odorante, immorale et sanglante. Pour non faire entrer dans la tête de certains personnages, des esprits fragilisés, déstabilisés, vacillants ou, à partir d'un certain moment, carrément mis sens dessus dessous...
"Bienvenue à Cotton's Warwick" est un roman assez court, qui se lit vite et bien (à condition d'adhérer à cet univers pas franchement ragoutant) et qui nous sort carrément de tout train-train, de toute habitude de lecture. Dans le genre "Dix petits nègres", je voudrais la version plus-que-trash, et l'exercice de style est carrément réussi, dans le fond comme dans la forme.
On n'aura fait que passer, à Cotton's Warwick, le temps de 250 pages, mais on n'est pas prêt d'oublier ce nom. Car on y aura vécu quelques heures seulement (heureux sommes-nous, quand les personnages, eux, morflent des jours, des semaines !), mais des heures placées sous le sceau de la folie la plus crue, la plus sordide.
Et on aura aimé ça, en plus...
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