vendredi 7 juin 2013

Tel père, tel fils...

"I hope I die before I get old", gueule Roger Daltrey, le chanteur des Who, dans "My generation"... A partir de quand devient-on vieux soi-même ? Et, surtout, quand commençons-nous à considérer que les générations qui nous précèdent sont vieilles et has been ("Why don't you all f-fade away", s'égosille encore Daltrey) ? Ce sont quelques uns des sujets abordés par Harold Cobert, romancier français encore trentenaire, dans son dernier roman en date, "Au nom du père, du fils et du rock'n'roll", publié aux éditions Héloïse d'Ormesson. Et, pour dresser ce constat, il nous raconte une relation, disons, tumultueuse, entre un père et son fils (qui pourrait drôlement ressembler à Cobert, d'ailleurs...) sur fond de surf et de musique rock des années 60. Et si, parmi les rites de passage qui font de nous des adultes, il y en avait un consistant à faire l'effort d'apprendre à connaître ceux qui nous ont donné la vie ?


Couverture Au  nom du père, du fils et du rock'n'roll


Victor est "un indécrottable sale gosse". Je mets des guillemets, parce que je reprends là l'expression employée par Harold Cobert dans les remerciements à la fin du livre pour se qualifier lui-même. Moi, si je devais qualifier Victor avec mes propres mots, je dirais que ce garçon est vraiment un petit con ! Et je sais un peu de quoi je parle, quoi que je doive reconnaître que je suis un enfant de choeur à côté de lui...

Pour son dix-septième anniversaire, il est chez son père, Christian, au bord de l'Atlantique. Mais Victor ne pense que surf, copains, copines, amusement, et envoie chier, pardonnez-moi l'expression, je n'en vois pas d'autres, son paternel, le traite pire qu'un domestique, l'insulte, le provoque, le menace carrément... J'en passe et des meilleures...

Christian, lui, ne bronche pas, atone, résigné, peut-être, devant ce grand fils ingrat et irrespectueux, égoïste et fanfaron, qui va même lui faire une scène quand il va recevoir son cadeau. Une nouvelle combinaison de surf, magnifique, idéal, juste à sa taille... Mais avec deux petites marques blanches sur la manche... Et ça, c'est insupportable pour Victor, qui pique une colère mémorable...

Vraiment, lors de ce séjour estival, Victor va se montrer infect avec tout le monde, considérant sa bande de potes comme une cour, jouant les séducteurs au grand coeur avant de larguer ses conquêtes en public, non sans les avoir humilier auparavant (en lisant la lettre que l'une d'elle lui a écrite et en corrigeant ses fautes d'orthographe... La classe, quoi...)... Que voulez-vous que je vous dise de plus ? Une tête à claque, un môme mal élevé à qui on flanquerait volontiers un bon coup de pied aux fesses...

Et, apparemment, ça fait longtemps que ça dure... La partie consacrée à l'enfance de Victor est édifiante, bébé, déjà, il a pourri la vie de ses parents, gamin, il était dissipé et coléreux, fifils à sa maman et rejetant déjà son père... Une attitude qui va encore s'accroître lorsque Christian va quitter le domicile conjugal puis, lorsqu'il va divorcer de Lorraine, la mère de Victor...

Victor, c'est un Antoine Doisnel des années 80, les quatre-cents coups, il les fait tous, tous ! Jusqu'à provoquer l'ire du directeur de l'école jésuite dans laquelle il est scolarisé... Potache ? Oui, comme on l'a tous été, sans doute, mais avec ce je-ne-sais-quoi supplémentaire qui fait les pénibles, les insoumis, les rebelles, quoi !

Et, rebelle, Victor l'est, en particulier à l'autorité paternelle, on l'aura compris... Pourtant, ce qu'ignore ce grand dadais insolent et trop sûr de lui, c'est que le père falot sur qui il déverse des tombereaux de mépris et de mots acerbes bien sentis, a eu lui aussi une jeunesse, une folle jeunesse, et qu'il n'était pas le dernier pour la rébellion...

Cette enfance, cette jeunesse nous sont racontées dans une partie à part entière, dans laquelle on découvre effectivement un tout autre Christian. Fils dont le père est parti quand il était encore gamin, enfant qui a dû très tôt faire des petits boulots, en plus de l'école, pour apporter son écot au foyer familial (il a deux soeurs cadettes) et bientôt pour se faire un peu d'argent de poche...

Malgré cela, Christian est un bon élève. Un élève doué, même dans les matières scientifiques et, en maths en particulier... Ce qui lui vaudra de poursuivre ses études jusqu'au bac, qu'il décroche avec mention, s'il vous plaît, avant d'entrer en math-sup, et pas n'importe où... A Henri IV !! On est au début des années 60 et le parcours de Christian est tout à fait remarquable...

Et puis est arrivée... la vague rock. Attention, le rock, hein, pas les yé-yés !! La distinction est fondamentale ! Christian va devenir fan des mauvais garçons du rock, les Stones en tête... Un vrai connaisseur, capable de conseiller les disc-jockeys dans les soirées sur les titres à passer pour faire monter l'ambiance... Au point qu'on va un jour lui confier les platines et qu'il va commencer une carrière en vue de disc-jockey.

Comme son fils des années plus tard, il aura sa bande autour de lui, tous venus de Bordeaux, tous étudiants en droit. Bref, Christian n'a qu'un seul point commun avec eux : l'amour du rock... Peu à peu, ses études vont pâtir de cette vie nocturne, mais qu'à cela ne tienne, Christian commence à gagner sa vie ainsi... C'est à Bordeaux, dans des conditions rocambolesques et dignes du blouson noir qu'il est (presque) devenu, qu'il va rencontrer Lorraine...

Je vous laisse le soin de découvrir cette vie mouvementée et rythmée par les Stones, donc, les Who, les Animals, puis Hendrix, les Doors et plein d'autres qui ont mis le feu aux nuits parisiennes d'abord underground puis, de plus en plus en vue. Mais, Cobert parvient à restituer l'ambiance de ces années et la vie de cette génération qui a vu dans la musique rock, qui scandalisait leurs parents, un moyen de se rebeller, de dénoncer la société trop plan-plan des 30 Glorieuses...

Oui, Christian a été un rebelle, un vrai. Et puis, la vie a fait que... Bref, il s'est rangé des voitures. Et la venue de Victor, si elle n'est pas la raison principale de ce choix, a certainement eu un rôle dans cette décision, pour un garçon qui, manifestement, n'était pas fait pour la monogamie, encore moins pour la fidélité... Et puis, les temps avaient changé, pour paraphraser Dylan, et le rock tel que l'appréciaient Christian et ses amis n'était plus à la mode...

Tout ce pan de la vie de son père, Victor l'ignore quand il fait sa crise d'adolescent attardé, se la jouant plus Brice de Nice attendant sa vague que Kelly Slater la domptant. Ce n'est que plus tard qu'on comprend que son père et lui se sont enfin parlé, à l'occasion d'un séjour au Québec, où Victor va s'installer pour ses études. Une discussion semble-t-il salutaire qui a ouvert les yeux du jeune homme.

Mais...

Ne vous attendez pas à retrouver ce que je viens de vous raconter narré selon un parfait ordre chronologique. Non, Harold Cobert fait dans le déstructuré avec des flash-backs, mais aussi une structure étonnante avec une fin à la construction renversante... Lorsqu'on attaque le livre, on se dit que le personnage principal en sera Victor, puisqu'on le découvre en plein numéro...

Pourtant, petit à petit, le personnage de Christian, effacé par l'exubérance de son fils dans les premières pages, ressort et vient s'installer sur le devant de la scène. On mesure alors toute la personnalité du bonhomme, bien loin de celle qu'il affiche, comme écrasé par la virulence de son fiston. Cependant, j'ai trouvé des différences dans leurs caractères : à mes yeux, Christian a toujours été plus modeste que ne le sera Victor, plus introverti aussi et certainement plus orgueilleux, quand son fils penche sérieusement vers une vanité de mauvais aloi...

Il n'empêche que, au fil des pages, se dessine un étonnant parallélisme entre la jeunesse des deux hommes, à une génération d'écart. Si l'on excepte la thématique, la musique pour le père, le surf pour le fils, on découvre qu'ils sont vraiment bien plus proches l'un de l'autre que ne le pense Victor, pour qui son père est un vieux con, sans existence véritable, sans passé (ne parlons pas d'avenir...), une espèce d'ectoplasme, symbole d'une autorité que Victor rejette par principe, mais plus encore parce que c'est Christian qui l'incarne...

Le père et le fils ont une bande d'amis fidèles, dont ils ne se séparent jamais longtemps (Victor et ses potes se donnent même le nom des mousquetaires de Dumas, devinez qui fait d'Artagnan ?), se consacrent à leur passion commune sans retenue, jusqu'à la folie ou l'inconscience, parfois, ne dédaignent pas les filles et les boissons alcoolisées qu'il consomment, les unes comme les autres, en grande quantité, etc.

Non, vraiment, à part le look, quelques habitudes et des caractères, je le redis, assez différents, ces deux-là ont suivi un parcours étonnamment proches. Et, ce qui sous-tend cela, c'est l'adhésion à une culture en émergence, le rock pour le père, le surf pour le fils. Oui, le mot culture est fort mais parfaitement adéquat en l'espèce. Christian et Victor ont adhéré à des codes bien précis, vestimentaires ou de langage, par exemple, on doit se faire accepter du groupe pour y entrer, etc.

Deux cultures aussi qui sont en marge des courants dominants, regardés de travers par une majorité bien-pensante. Bref, si on y a pas adhéré par rébellion à la base, la société se charge de vous transformer pour que vous le deveniez. Mais, et là encore, on retrouve ce point commun aux deux hommes, père et fils vont se montrer brillants chacun dans leur domaine, attirant les regards, les compliments, suscitant une certaine fierté chez l'intéressé, le plaisir de plaire...

Je pense, et vous vous en rendrez évidemment encore mieux compte en lisant "Au nom du père, du fils et du rock'n'roll", avoir bien mis en avant cette trajectoire si voisine entre Christian et son fils, à 15-20 ans d'intervalle. Parlons maintenant de LA différence fondamentale, celle qui change tout, qui, à mon humble avis, explique tout de la relation si délicate entre un père et son fils.

Il s'agit de la relation de Christian à son propre père... En lisant les premières pages, on découvre un père qui paraît avoir renoncé à toute autorité parentale sur son rejeton, qui accepte sans mot dire les insultes, les menaces et même les simulacres de coups qui le visent... Puis, apparaît progressivement un tout autre personnage. Peut-être, d'abord et avant tout, un homme dépassé, surpris par sa paternité, arrivée à un moment de sa vie peu propice à cela... Enfin, on se rend compte que Christian est un père aimant, certainement un peu perdu, faut d'avoir eu lui-même une figure paternelle viable pour grandir sous son aile, mais un père qui, par-dessus tout, veut éviter de commettre les mêmes erreurs que son propre père...

Oh, des erreurs, et des erreurs qui ressemblent à celles de son père, il va en commettre, Christian. Dont celle qui aboutira à son divorce et à la rupture consommé avec Victor, incapable d'accepter cette séparation. Mais, jamais Christian ne tombera aussi bas que son géniteur. Et jamais il ne lui pardonnera ses actes, quand Victor finira par reconnaître la valeur de celui qu'il appelle "mon père", dans les premières et les dernières pages du roman, comme s'il s'adressait à Dieu, à son Dieu à lui...

Il y a un mot qui revient souvent dans mes billets, c'est le mot charnière. Non qu'il me plaise particulièrement, mais parce qu'il exprime quelque chose de clair et qu'il qualifie aussi bien un élément du récit que l'articulation de la narration. Le moment est revenu de ressortir ce mot. Christian est, dans le roman de Harold Cobert, le seul à être à la fois fils et père. Et, si je jouais à refaire la même analyse entre Christian et son père que celle faite entre le même Christian et son fils, on pourrait arriver à des conclusions si ce n'est similaires, en tout cas, voisines...

Mais, la différence, c'est que Christian a véritablement rejeté son père lorsque celui-ci a franchi des limites tabous. Il n'est pas entré en rébellion par principe, à l'aveugle, juste parce que ça fait bien ou parce que son caractère le prédestine à ça. Non, sa rébellion envers le père est entièrement justifiée au regard de ce que fut son père. Victor, lui, a sans doute eu des raisons compréhensibles pour rejeter, mais sans rompre complètement, au contraire, son père, mais, si on les mettait sur les plateaux d'une balance, en face des raisons de son père, il est évident que cela pencherait du côté de Christian...

Car, Victor n'a pas été un enfant malheureux. Il est certes un enfant du divorce, comme beaucoup de mômes de sa génération, mais on ne peut pas dire qu'il ait souffert de quoi que ce soit d'autre de la part de ses parents. Victor est l'archétype de l'enfant-roi, tandis que son père s'est construit seul, avec un courage et un abnégation qui forcent le respect (y compris celui de Victor, au final).

C'est justement parce qu'il est une charnière entre son père et son fils, une génération intermédiaire, si l'on veut, que Christian (ré)agit ainsi vis-à-vis de Victor. Il encaisse, et cela ne doit pas être facile à vivre, je pense, encore et encore les caprices du fils, mais, au fond de lui-même, il sait qu'un jour, les écailles tomberont des yeux de Victor et qu'il comprendra ce que son père lui aura apporté, malgré ses imperfections...

Et surtout, il sait que, nourri de son expérience de fils élevé à la dure, à la force du poignet et du culot, il a donné  Victor des armes indispensables pour que celui-ci sache avancer dans la vie. Et pour ne jamais commettre un jour ni ses propres erreurs, ni celles dont il a été victime. Christian a été, non pas un père idéal, mais un bon père, pour Victor. Et celui-ci, au Québec, loin des sentiers battus familiaux va finir par s'en rendre compte... Le signal d'un nouveau départ loin des frasques adolescentes, le signal aussi, d'une complicité nouvelle qui devrait permettre à la relation, si tendue jusque-là, d'enfin s'épanouir...

Mais...

Avec un style parfois dur, violent, mais aussi empreint de tendresse et de nostalgie quand il évoque la vie passée de Christian Noème, Harold Cobert, avec son espièglerie et son ironie, dresse un portrait parallèle très touchant dans lequel il a sans doute mis beaucoup de lui et de sa propre relation avec son père. Une relation qui s'incarne dans une double "bande originale du livre", proposée en annexe.

Première face, pour reprendre une terminologie nous renvoyant aux disques vinyles de l'âge d'or du rock'n'roll, les musiques que Harold Cobert a écoutées en écrivant son roman (des Stones, évidemment, à U2, en passant par les Beatles, les Doors, Bowie, les Red Hot Chili Peppers ou Rage against the machine).

Deuxième face, avec les 22 meilleurs morceaux rocks selon le père de Harold qui, s'est confirmé, aura au moins servi de modèle au côté rocker du personnage de Christian. Là, on retrouve une partie des groupes écoutés par le fils pendant sa période créative, mais aussi les Who, Them, Led Zeppelin, Deep Purple, Queen, AC/DC, Frankie goes to Hollywood ou Nirvana...

Je vous renvoie à cette discothèque idéale où il n'y a rien à jeter, qui plaira à ceux qui connaissent déjà et apprécient le rock et qui donnera de bonnes pistes à ceux qui, trop jeunes, ne s'y connaissent pas forcément... Personnellement, je m'y sens comme un poisson dans l'eau et j'en parle plus aisément que si les conseils de fin de l'auteur avaient concerné le surf, où je suis nettement plus submersible, au propre, comme au figuré...

J'avais entendu parlé de Harold Cobert sans l'avoir lu jusque-là, voilà qui est fait, et je ne le regrette pas une seconde, car j'ai passé un joli moment de lecture, agacé par Victor lorsqu'il se comporte comme un kéké, rêveur devant les années folles traversées par Christian, moi qui suis né trop tard pour les connaître (ce sont les années de jeunesse de mes parents, moi aussi).

Nul doute que je reviendrai vers ce romancier à l'avenir, guettant à la fois son actualité future, mais jetant aussi un coup d'oeil sur ses précédents romans, dont certains, j'en suis persuadé, ne manqueront pas d'éveiller, dans un premier temps, ma curiosité et, dans un second, mon plaisir de lecteur assidu et fidèle.

Un merci particulier à Audrey et à Régine qui, chacune à leur façon, m'ont donné envie de lire "Au nom du père, du fils et du rock'n'roll', lecture qui ne manquera pas de me faire réfléchir, comme beaucoup d'autres, j'espère, à la relation, heureusement plus apaisée, que j'entretiens avec mon père...

Et là, il n'y a pas de mais !


2 commentaires:

  1. Whaouh quelle chronique ! je glisse ce titre dans ma liste d'envies (encore une fois :P )
    Merci pour le partage !

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