Clin d'oeil à une célèbre série télévisée pour le titre de ce billet, mais c'est pourtant bien d'un roman d'espionnage dont nous allons parler. Je le classerai en roman noir, le rythme et la construction n'étant pas pour moi ceux d'un thriller. C'est aussi un roman gentiment parano que nous avons là, dans lequel le lecteur, comme la principale protagoniste, s'interroge sans cesse en se demandant ce qui se passe exactement, et si, même, il se passe vraiment quelque chose... Bienvenue dans "les Expats", de Chris Pavone (en grand format au Fleuve Noir), un roman également marqué par les différences culturelles fortes entre les Etats-Unis et l'Europe...
Dexter Moore a décidé de changer de vie en quittant son poste et surtout en déménageant. Il vient d'annoncer à son épouse, Kate, avec qui il a deux jeunes garçons, qu'il va prendre un poste de consultant informatique dans une banque... au Luxembourg ! Kate est d'autant plus surprise qu'elle est bien incapable de situer le Luxembourg sur une carte et qu'elle ignorait même que c'était un pays...
Pourtant, une fois la surprise passée, Kate voit dans ce changement radical une magnifique opportunité : depuis longtemps, l'envie de prendre un nouveau départ, de se construire une nouvelle vie, de quitter son propre job et de devenir une véritable mère de famille la tenaille. Et ce serait en plus une bonne façon de laisser derrière elle, et pour de bon, une existence qui ne repose que sur des mensonges...
Car Kate n'a rien, en réalité, de la Desperate Housewife que l'on pourrait imaginer. Voilà des années qu'elle travaille pour la CIA sans que son époux soit au courant. 5 années de travail de bureau qui lui pèsent et l'ennuient, mais aussi le souvenir de sa vie d'avant, sur le terrain. Lorsqu'elle tendait des pièges à des personnalités qu'elle devait, parfois, souvent, éliminer...
Oui, Kate Moore, si c'est bien sa véritable identité, est une espionne et une tueuse. Et elle espère bien qu'en quittant la CIA et les Etats-Unis dans la foulée, elle pourra enfin être une femme comme n'importe quelle autre, en charge des enfants, s'occupant du foyer dans la journée pendant que monsieur fait bouillir la marmite (je sais, cette vision est assez rétrograde, mais c'est celle du roman, ne tapez pas sur le messager !)...
Seulement, ce nouveau départ va s'avérer un peu plus compliqué que prévu... C'est que la vie au Luxembourg n'est pas tout à fait la même qu'aux Etats-Unis ! Il faut refaire tout l'électro-ménager car les prises ne sont pas les mêmes, il faut apprendre à monter les meubles en kit, il faut changer ses habitudes culinaires, car on ne trouve pas toujours les mêmes produits, personne ne se conduit vraiment de la même façon, etc.
Ca n'a l'air de rien, mais les Moore, en venant ici, ont changé complètement de monde ! C'est l'impression en particulier de Kate qui doit décidément s'adapter à une existence aux antipodes de son ancienne vie... Alors, il reste un moyen de s'intégrer en douceur : fréquenter la communauté composée des autres étrangers venus s'installer dans le paradis (fiscal) du Grand-Duché.
Ceux qui se surnomment eux-mêmes "les Expats". Pas tous Américains, il y a aussi pas mal de Scandinaves et de Britanniques parmi eux. En tout cas, Kate va commencer à se mêler à ces personnes, et Dexter avec elle, lorsque son travail, dont elle ne sait pas grand-chose mais qui l'occupe énormément, lui en laisse le temps.
C'est lors de ces réunions informelles que Kate et Dexter vont faire la connaissance d'un autre couple américain, venu lui aussi s'installer pour raisons professionnelles dans ce minuscule coin d'Europe. Ils s'appellent Julia et Bill MacLean et le courant va vite passer entre eux et les Moore. Quoi de mieux qu'une bonne amitié pour oublier qu'on a le mal du pays ?
Pourtant, le sixième sens de Kate commence à la tarauder... Déformation professionnelle ou véritable instinct, elle commence à se demander si la rencontre avec Julia et Bill est totalement fortuite... Et, si ce n'est pas le cas, que viennent faire ces deux-là au Luxembourg ? A qui s'intéressent-ils donc ?
Peut-être Kate se trompe-t-elle complètement, elle psychote, pas encore habituée à sa nouvelle existence si tranquille... Mais, que voulez-vous, on ne se défait pas en un claquement de doigts de vieilles habitudes, la méfiance étant, dans l'espionnage, une ligne de survie... Alors, malgré son envie de passer outre, Kate se pose des questions...
Est-elle dans la ligne de mire ? Ses anciens patrons auraient-ils des doutes à son encontre au point de la faire surveiller (et, si besoin, éliminer) ? Ca lui paraît un peu gros, même si, avec la CIA, on ne peut jurer de rien... D'autres espions, chargés d'une vengeance plus ancienne, liée à son activité de tueuse... Elle se souvient parfaitement de chacune de ses missions, ça pourrait coller... Mais il reste une dernière possibilité : et s'ils étaient venus pour Dexter ?
Bien sûr, avant de l'épouser, premier pas vers une vie "normale", Kate a enquêté sur son mari et n'a rien trouvé qui lui mette la puce à l'oreille ou l'inquiète. Cependant, depuis qu'il a décidé de s'installer au Luxembourg, elle le trouve un peu trop discret... Que fait-il exactement, pour qui travaille-t-il, pourquoi ces journées à rallonge et ces déplacements impromptus en Europe ?
Bien sûr, le couple Dexter vit dans un certain confort sans être riche, disons qu'ils sont aisés, mais rien d'ostentatoire. Quelques weekends dans les grandes capitales voisines quand la vie semble morne au Luxembourg, mais on n'a pas l'impression que le pouvoir d'achat de la famille ait flambé depuis leur déménagement... Alors, quoi ?
Kate sent revenir tous ses réflexes et se lance dans une espèce d'enquête dans laquelle elle englobe aussi bien les MacLean que son époux. Mais, évidemment, elle agit sans soutien, sans même vraiment savoir ce qu'elle cherche... Et, tandis qu'elle plonge sous les yeux du lecteur dans une sorte de paranoïa incontrôlable, ce dernier commence à sérieusement demandé si elle n'a pas un peu pété les plombs, à cause de cette nouvelle vie bien tristounette...
Oui, mais...
Voilà comment le sentiment un poil parano que nous refile Kate va aller en s'amplifiant... Et longtemps, on se demande si c'est justifié ou si elle se méprend sur la personnalité des MacLean. On se dit qu'elle a un retour de flamme, une vilaine nostalgie de sa vie d'avant où, certes, elle mentait sur tout, mais où elle vivait...
"Les Expats" est un roman très construit, peut-être même un peu trop, à force de flashes, back comme forward... Kate se souvient d'événements marquants de sa vie d'espionne et l'on comprend peu à peu qu'elle est hantée par ces faits, ces morts... Cela suffit-il à comprendre ses doutes, ses questionnements, sa parano ?
La montée est vraiment progressive, des éléments divers nous sont donnés, mais difficiles de les comprendre et, toujours pareil, de savoir si ce que l'on croit s'être produit est justifié ou non. Reste qu'on est embarqué dans une spirale dont on se dit que, quelle que soit la réalité des faits, elle mènera si ce n'est à un drame, au moins à une sérieuse explication de texte...
Je l'ai dit en préambule, ne vous attendez pas forcément à un thriller au rythme endiablé, c'est un roman qui repose bien plus sur des ressorts psychologiques que sur des scènes d'action. Il y a de vrais moments de tension, des scènes d'action, mais c'est plus un roman d'espionnage dans la lignée de ce qu'écrit John Le Carré que Frederick Forsyth, par exemple.
J'ai aussi songé au film "la Totale", en lisant ce roman, avec un couple composé d'un espion et d'un citoyen lambda. Ici, la situation est un peu inverse, puisque c'est l'épouse qui est l'espionne, mais il y a, utilisés de manière très différentes, quelques ressorts communs dans ces histoires, en particulier dans la gestion quotidienne du mensonge...
Un exemple, les deux couples sortent à Paris, dans la rue, un peu éméchés, ils sont agressés par des voleurs à la tire qui veulent les sacs de ces dames... Kate pourrait les maîtriser sans aucun souci, mais comment expliquer ensuite à son mari et ses amis comment elle a acquis de telles techniques de défense ? Donc, on se laisse faire et on attend de voir comment les choses vont évoluer...
Le personnage de Kate est en cela très intéressant. Rangée des voitures, elle demeure malgré tout une espionne, elle en a les réflexes, la tournure d'esprit, l'intuition, les doutes, etc. En en faisant son personnage central, Chris Pavone peut jouer sur plusieurs tableaux, y compris celui, très bien exploité, de l'arroseur arrosé, de l'espionne espionnée, plutôt, ou encore l'épouse suspicieuse, qui ressort son vieux savoir-faire pour trouver ce que pourrait bien faire en douce son mari...
Et puis, pardon si j'ai un peu insisté là-dessus, mais c'est vraiment une composante importante du roman, il y a cette découverte par ce couple américain, de la vie à l'européenne. Je vous jure qu'ils tombent des nues, décontenancés, en perte de repères, voyant le vieux continent comme un autre monde...
Si cela se ressent aussi bien, avec des détails et des scènes assez amusantes parfois pour nous lecteurs européens, c'est parce que Chris Pavone lui-même est passé par là ! Il a vécu quelques années au Luxembourg alors qu'il est un pur New-Yorkais, et c'est lors de ce séjour qu'il a commencé à travailler sur "les Expats".
De la même façon, sa relation du petit monde des expatriés est le fruit de son expérience et cela nourrit très habilement et efficacement son intrigue. Y compris lorsque l'idée de fuir du jour au lendemain commence à germer dans l'esprit de Kate. Car on dit se fondre dans la communauté, donc une telle fuite ne pourrait qu'attirer l'attention d'un groupe où tout le monde se connaît et au sein duquel les nouvelles vont vite...
Je dois dire que ce premier roman de Chris Pavone m'a d'abord un peu dérouté. Puis, il m'a happé, embarqué que j'ai été dans cette histoire de fou où, longtemps, on ne sait pas qui est qui, qui est sincère, qui joue un rôle et de quel rôle il s'agit... La mayonnaise prend bien et, lorsque les premières réponses, ou en tout cas, ce qui s'en rapproche le plus, apparaissent, on a envie de voir comment Kate va se sortir de cette affaire...
Et si l'on n'a pas en main un pur page-turner, on a vraiment envie d'avoir le fin mot de cette histoire, on a du mal à décrocher avant d'avoir compris ce que font exactement chacun des personnages dans cette embrouille... Et, comme Kate, croyez-moi, on n'est pas au bout de nos surprises...
Jusqu'aux dernières lignes !
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