Cette devise, ce credo, c'est ce qu'on m'a enseigné, quand j'ai commencé à faire de la radio. Depuis, j'ai chaque jour essayé, y compris avec ce blog, de lui faire honneur. Les 3 éléments sont inextricablement liés dans mon esprit, on ne m'enlèvera jamais ça. J'ai été heureux de retrouver ce leitmotiv dans un livre qui célèbre le cinquantième anniversaire de France Inter (c'était quelques jours avant le dernier Noël, en même temps que celui de la Maison de la Radio), signé par deux journalistes spécialisées dans ce média, mais aussi auditrices fidèles de la station, Anne-Marie Gustave et Valérie Péronnet. "La saga France Inter", sous-titrée "Amour, grèves et beautés", est paru à la fin du mois d'octobre dernier et revient sur cette aventure radiophonique qui, pour plein de raisons, est assez insolite dans la PAF. A conseiller à ses auditeurs fidèles, mais pas seulement...
A la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, l'Etat français souhaite réorganiser complètement le service public qu'est la radio national. A la fois dans les structures, mais en lui offrant ce qui lui manque, si l'on regarde les grandes radios à travers le monde (Angleterre, Etats-Unis...), un écrin qui lui corresponde vraiment.
Mais, il lui faudra attendre plus d'une quinzaine d'années pour cela. En 1963, est inaugurée la Maison de la Radio, sur le quai de Passy, auquel on n'a pas encore donné le nom de JFK. La "Maison ronde", adorée par les uns, détestée par les autres, bâtiments labyrinthique et étrangement conçue, va alors abriter les antennes des radios publiques, la première d'entre elle étant France Inter.
Née sous la férule du régime gaulliste, Inter naît dans un contexte délicat : d'une part, les radios périphériques que sont RTL et Europe n°1 occupent l'espace radiophonique et leur style ringardise la radio publique ; d'autre part, les tensions politiques entre un gouvernement très interventionniste et une rédaction qui cherche à faire son boulot dans l'indépendance, sont la sources de mouvements de grève à répétition qui obligent en permanence la station à mettre les bouchées doubles pour récupérer les auditeurs perdus lorsque l'antenne s'est arrêtée...
Mais, peu à peu, avec des équipes motivées, passionnées et passionnantes, imposant une identité propre, différente de ses concurrentes, placée sous le sceau de la qualité avant tout et de l'originalité, France Inter va devenir une des radios qui comptent en France... Avec les Bory, Garcin, Villers, Artur, Foulquier, Klein, Desproges, Averty, Kriss, Lenoir, Mermet, Blanc-Francard, Ruquier, Bern et bien d'autres, Inter a su faire écouter la différence, pour reprendre un de ses plus fameux slogans, à des générations d'auditeurs.
Parmi eux, donc, Anne-Marie Gustave et Valérie Péronnet. Toutes deux ont travaillé à Télérama, dans la rubrique radio, et toutes deux revendiquent être, en dehors de leur travail, des auditrices de France Inter. Pour retracer ces 50 ans de radio, elles n'ont pas choisi une narration chronologique mais ont divisé leur ouvrage en quatre grandes parties, parfaitement représentatives des composantes de la radio : les auditeurs, la rédaction, les programmes et la maison.
Les auditeurs, parce qu'ils sont et ont toujours été d'une rare fidélité, même en cette époque où le zapping touche aussi les habitudes radiophoniques. Et l'auditeur d'Inter est tout sauf un auditeur passif. Il veut avoir son mot à dire sur le contenu, le contenant, il a ses têtes et ses exigences, ses colères aussi parfois. Bref, plus que dans toute autre radio, l'auditeur fait partie intégrante du fonctionnement global de l'antenne...
La rédaction, elle, connaît depuis 50 ans des mouvements permanents, pas toujours contrôlés. Une rédaction sans cesse en lutte pour préserver son indépendance face à un pouvoir politique qui a longtemps voulu avoir son mot à dire dans la gestion de l'information... De l'époque gaulliste jusqu'à la présidence Sarkozy, en passant par le démantèlement de l'ORTF ou la concurrence de la télévision, c'est une histoire au combien mouvementée que celle de la rédaction d'Inter... Mais c'est aussi, avec le soutien des rédactions régionales et des correspondants permanents de France Info, un maillage d'une incroyable réactivité et un exemple de synergie, qui n'a pas été aussi facile à mettre en place qu'on pourrait le croire...
Les programmes, ce sont ces émissions dont beaucoup restent dans les mémoires, sont parfois regrettées et qui ont (et ont eu) des longévités exceptionnelles dans un secteur où on laisse de moins en moins de temps aux concepts pour s'installer. Les producteurs (à Inter, on ne parle pas d'animateurs, comme ailleurs) sont à la fois les maillons les mieux considérés et les plus fragiles d'un édifice qui repose toujours sur des fondations fragiles. "La Masque et la Plume", "le Tribunal des Flagrants délires", "Là-bas si j'y suis", "le Fou du Roi", "le jeu des 1000 francs" et ses dérivés, la liste est longue...
Enfin, la maison. Sans doute la partie qui en apprend le plus au lecteur. D'abord, parce qu'on y découvre des spécificités qui n'existent qu'à Inter : la myriade de métiers qui se côtoient et travaillent ensemble pour fabriquer, coordonner, mettre en ondes, produire, accueillir, faire la maintenance, etc. Lorsque vous écoutez Inter, vous n'imaginez sans doute pas quelle incroyable mécanique est en marche derrière la voix qui en est la vitrine.
Tout cela fait d'Inter un fabuleux laboratoire radiophonique, inventif, créatif, avec une véritable marque de fabrique. Parfois, un peu trop... Difficile, quand on a connu Inter, de travailler ailleurs, tant les méthodes sont uniques, ici. Quand on entre à Inter, c'est presque un sacerdoce, en tout cas une passion qui peut devenir dévorante... Dur, je le disais plus haut, de se faire accepter des auditeurs, mais dur aussi d'être considéré comme faisant partie de la maison à part entière.
Stéphane Bern, certes pas forcément le plus représentatif des producteurs de France Inter, mais qui a tout de même présidé à l'une des tranches clés de l'antenne pendant un peu plus d'une décennie, raconte très bien cette impression, qu'il n'est pas le seul à avoir ressenti, d'être un peu invisible au milieu des gardiens du temple. Et les marques d'attention et les remerciements arrivés au moment de son départ, aussi bien de la part des collaborateurs que des auditeurs, alors qu'il les aurait appréciés bien plus tôt...
Le fond, comme la forme, sont labellisés, même si des créations maisons, comme le multiplex pour le foot, la réhabilitation du feuilleton radiophonique ou les programmes de livre antenne et/ou de nuit (comment ne pas évoquer le souvenir de Macha Béranger et son timbre inimitable ?), ont fait école ailleurs.
L'originalité, au sens où l'antenne propose ce qu'on ne trouve nulle part ailleurs, des programmes n'est plus à démontrer et la volonté permanente d'être au plus près des auditeurs ne se dément pas, malgré quelques soupçons apparus ces dernières années, d'élitisme et de parisianisme, contraires aux ambitions et idéaux d'origine, c'est-à-dire rassembler les auditeurs quelles que soient leurs origines et leur parcours...
Je connais un peu le fonctionnement de "la maison ronde" pour y avoir traîné mes guêtres comme stagiaire, mais ce n'était pas à Inter. Je ne suis pas non plus un enfant d'Inter, même si j'ai pu, au long de ma vie, en écouter les programmes ou travailler sur des archives... J'ai donc naturellement appris pas mal de choses dans ce livre, très intéressant, nourri de nombreux entretiens avec ceux qui font ou ont fait cette radio (ah, lire les mots de Jean-Louis Foulquier, récemment disparu, quelle émotion !)...
Mais, attention, ce que je vais dire là est très subjectif, je gardais le souvenir d'un livre de Luc Bernard, consacré à une des radios concurrentes de France Inter, dans lequel on trouvait ce que je viens de dire, mais plus encore. J'ai trouvé que cette saga manquait un peu d'anecdotes vivantes, racontées "en situation" par les auteurs pour les faire vivre aux lecteurs et non seulement dans la voix des personnes interrogées.
Il m'a manqué des photos, aussi, car même si la radio nous fait oublier l'absence d'images, ce genre d'ouvrages est aussi un moyen de revivre des moments importants par le biais de clichés ou, tout simplement, de pouvoir mettre un visage sur les noms qu'on a bien connus... Je chipote, bien évidemment, mais je parle en lecteur, là, véritablement.
Enfin, dernière petite critique aux deux auteures, il m'a semblé qu'à certains moments, le livre n'était pas assez fédérateur. Je m'explique : je me doute bien que, naturellement, ce sont d'abord des auditeurs fidèles d'Inter qui liront ce livre, justement pour y retrouver tout ce que j'ai évoqué plus haut et entrer dans les coulisses de leur radio.
Mais le livre ne pourrait-il avoir pour ambition d'intéresser d'autres lecteurs, soit que la radio en elle-même ne passionne pas forcément, soit qui ne sont pas des habitués de cette station ? Ou même, pour les auditeurs de fraîche date qui n'aurait pas connu les grandes heures de cette station dans les années 1970-80 ?
Il y a un petit côté "on est entre nous" qui m'a gêné, même si j'ai beaucoup apprécié cette lecture. En revanche, ce que je vais qualifier de subjectivité d'auditrices a aussi des aspects intéressants, car, du coup, les deux auteures ont aussi ce côté très militant cher au public d'Inter. Et les récents changements effectués dans la grille (qui ont choqué et mobilisé nombre d'auditeurs ces derniers mois) comme la politique d'antenne de Philippe Val sont l'objet de critiques, certes discrètes mais explicitement formulées...
Un dernier point, car j'en entends bouillir certain d'ici, si, si, à la lecture du sous-titre de ce livre : pourquoi mettre autant en avant le mot "grève" ? Je dois vous dire que, quand j'ai eu le livre en main, j'ai moi aussi vite repéré ce mot, en évidence sur la couverture. Caricatural ? Ca peut être l'impression a priori...
Mais, au fil de la lecture, on comprend mieux ce choix, tant les mouvements sociaux semblent faire partie de la vie quotidienne de cette radio, de sa création à nos jours, au point, parfois, de sacrifier l'antenne (Ivan Levaï, par exemple, a des mots très durs à ce sujet...), d'oublier l'auditeur, presque un sacrilège pour ce métier !
Je ne veux pas faire de polémique, je ne pense pas que ce soit non plus le but d'Anne-Marie Gustave et Véronique Péronnet, d'ailleurs. Mais on comprend bien que ces questions sociales sont une des composantes essentielles de la culture d'entreprise de France Inter (et même de Radio France dans son ensemble), et ce n'est sans doute pas près de changer...
Je suis un passionné de radio depuis toujours. Comme auditeur puis, modestement, comme animateur. Je connais les deux côtés du transistor et, encore une fois, j'ai senti, au cours de la lecture, se réveiller les réflexes, les envies, les admirations, les regrets... Bref, j'ai compris pourquoi j'aimais tant ce métier et pourquoi cela me manque tant...
Et, rien que pour ça, merci aux deux auteurs de "la saga France Inter" et à tous ceux qui font vivre des radios à travers le pays, sur les ondes et maintenant sur internet. Longue vie à ce média si chaleureux, proche de ses auditeurs, instantanés, surtout, et c'est indubitablement le cas d'Inter, lorsqu'il ne parle pas pour ne rien dire...
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