C'est vrai, j'ai aujourd'hui le physique d'un pilier de rugby des temps anciens, mais ne vous y fiez pas, j'ai aussi été tennisman. Oh, je n'ai jamais fait de compétition, mais j'y ai joué régulièrement pendant des années... Et, surtout, j'ai grandi en rêvant devant les matches de joueurs mythiques comme Connors, Wilander, Lendl, Edberg, Becker, Noah ou Leconte, pour citer aussi des Français, que j'imitais dans le jardin... Et puis, il y avait John McEnroe... Un talent pur et un caractère exécrable, une bête de compétition, une âme de champion et quelques matches mythiques qui restent dans l'histoire de ce sport. Le voir, bien malgré lui, personnage central d'un roman, quelle surprise et l'envie, aussitôt de se plonger dans "le tennis est un sport romantique", d'Arnaud Friedmann (en grand format chez Lattès).
Le 10 juin 1984, le central de Roland-Garros voit s'affronter en finale des Internationaux de France, les deux plus grands joueurs du moment, l'Américain John McEnroe, numéro 1 mondial, et le Tchécoslovaque Ivan Lendl. Finale symbolique à plus d'un titre, en ces temps de guerre froide, véritable affrontement du feu et de la glace...
L'Américain est le grand favori de ce match et il démarre en trombe, menant bientôt deux sets à zéro. Tout le monde l'imagine déjà levant le trophée des Mousquetaires et succéder à Yannick Noah, vainqueur l'année précédente. Tout le monde, sauf le petit Julien. Il a 5 ans, il regarde le match à la télé, à Besançon, dans l'appartement où il grandit avec sa seule maman, Hélène.
L'enfant suit le match, alors que sa mère n'y jette qu'un oeil discret, certaine que le match ne peut échapper au champion new-yorkais... Mais, Julien n'aime pas John McEnroe, il l'appelle "le Méchant" et affirme qu'il va perdre le match... Sa mère intervient, le contredit gentiment, puis de plus en plus fermement jusqu'à s'énerver franchement...
Et, tandis que le match bascule (Lendl l'emportera finalement au finish, en 5 sets serrés et McEnroe ne mettra jamais Roland-Garros à son palmarès), les vies d'Hélène et de Julien vont basculer dans le même temps. Pour avoir le dernier mot, Hélène avoue à Julien le secret qui la hante depuis 6 ans : le père que n'a jamais connu l'enfant, c'est John McEnroe !!
Ca pourrait ressembler à une blague, mais ça n'en est pas une... Hélène, en 1978, a été jeune fille au pair aux Etats-Unis, période au cours de laquelle elle a découvert le tout jeune John McEnroe, espoir du tennis US, sur le court, lors du tournoi qui serait sa première victoire de sa carrière. A cette occasion, elle a découvert le côté terriblement sensuel du tennis et eu un coup de foudre pour le jeune homme...
Coup de foudre concrétisé plus tard, lors d'un passage à San Francisco, par une nuit d'amour, une simple nuit, quasi mutique mais visiblement torride... Nuit au cours de laquelle sera conçu Julien. Depuis, Hélène est rentrée en France, à Besançon, où elle vit seule, sans travail, mais avec ce petit bonhomme né de ses amours avec un des plus grands champions de son sport...
La révélation a l'effet d'une bombe et la déflagration va faire voler en éclat la petite famille. Hélène va plonger dans la dépression et l'alcool, Julien, dans une forme de rébellion qui va passer par l'apprentissage du tennis. Mais là où le père putatif était un artiste, avec un jeu flamboyant et tout à fait personnel, celui de Julien sera tout l'inverse, dans la puissance, la force, l'endurance, la destruction de l'adversaire. Comme une mise à l'épreuve de lui-même...
A la lecture du début de ce résumé, au titre de ce roman, on pourrait imaginer une espèce de comédie romantique, pleine de légèreté, pleine de drôlerie... Et c'est tout le contraire... Arnaud Friedmann nous tisse un terrible drame familial, presque en huis-clos, disons en vase clos, alors. La guerre froide entre un fils et une mère.
Chacun reste campé de son côté du filet, mais les échanges, eux, deviennent de plus en plus rares. En grandissant, Julien ne cesse de s'éloigner de sa mère, ne vivant quasiment plus chez elle, mais chez des amis qui l'accueillent dans leurs familles. Il s'éloigne aussi de ce père lointain, absent, mythique, en rêvant de gagner Roland-Garros un jour, tout en sachant parfaitement qu'il n'a pas le talent pour ça... Saleté d'hérédité...
Et, pendant que sa mère prend un malin plaisir à se détruire sans jamais parvenir à se détacher de cet amour aussi éphémère qu'impossible, le fils essaye de se construire tant bien que mal, dans l'image haïe du père et dans une colère insatiable contre Hélène. Une absence totale de communication s'instaure entre eux, dont on se demande comment ils pourraient bien se réconcilier.
C'est évidemment l'enjeu de ce roman, l'évolution parallèle (presque au sens strict du terme, tant leurs trajectoires finissent par ne plus se croiser) de ces deux vies que la révélation d'un secret (à propos duquel on en sait peu) a séparées. L'un fantasme sa filiation, l'autre, sa relation avec un champion de tennis en herbe... Et la vérité, c'est la soupe à la grimace quotidienne...
Car "le tennis est un sport romantique" est une saga familiale, si l'on peut dire, qui s'étend sur un quart de siècle, au cours duquel il va sa passer pas mal de choses, les aléas de la vie, en fait, mais qui prennent forcément une toute autre dimension à travers le prisme de cette rupture mère/fils jamais vraiment consommée.
Rien n'est linéaire, Hélène comme Julien connaît des états différents au cours de cette période, mais cela reste toujours des démarches individuelles... Plus encore, c'est en faisant leur vie en dehors de la cellule familiale qu'ils vont trouver un équilibre forcément précaire. Presque en rejetant même l'idée de famille.
Sans jouer les psys de comptoir, il nous faut aussi évoquer le rapport à la sexualité des deux personnages centraux du roman d'Arnaud Friedmann. Hélène est une espèce d'Immaculée Conception, sa vie sentimentale et sexuelle est, depuis la fameuse nuit, un véritable désert. Son amour pour McEnroe est devenu un véritable culte et elle se préserve pour lui, pourrait-on dire... Irremplaçable ? Oui et non, nous dira la vie d'Hélène...
Quant à Julien, il se montre précoce dans le domaine, mais aussi brutal, dominateur, autoritaire, n'envisageant ses premières relation que dans la soumission de ses conquêtes. Soit elles s'inclinent (dans tous les sens du terme) et obéissent, soit il les humilie plus encore... Il y a un chapitre terrible, consacré à la soirée d'anniversaire de Julien pour ses 18 ans où il va se comporter comme le pire malotrus (et je suis poli) avec Elodie, son amie d'enfance, son premier béguin...
Je ne vais pas le cacher, même si Julien a sans doute des excuses, je ne le nie pas, c'est un personnage que je n'aime pas. A aucun moment, je ne suis entré en empathie avec lui, alors, le trouver sympathique, c'est juste impossible, et jusqu'au bout. Je comprends sa douleur, je comprends sa colère, je comprends sa volonté de l'expulser par tous les moyens pour ne pas en crever, mais il en devient égoïste et odieux.
Toutefois, je lui laisse le bénéfice du doute, à cause de la fin du livre, pour des éléments que je ne vous dévoilerai évidemment pas ici. Disons que, dans son évolution, se profile une nouvelle étape qui pourrait être une renaissance, une rédemption, un nouveau départ, rayez la mention inutile... Peut-être ce que l'on voit dans ces dernières pages mais aussi ce qu'il adviendra après la fin du roman qui lui permettront enfin de tourner la page de cette jeunesse fracassée d'un coup de raquette.
Reste à parler de... John McEnroe, évidemment ! Il est un personnage à part entière de ce roman, on le croise pour de vrai, lorsque Hélène raconte sa rencontre à distance, lors du tournoi de Hartford (merci à Arnaud Friedmann d'avoir aussi ressorti de l'anonymat un joueur dont j'appréciais le jeu offensif, John Kriek... Par contre, il n'a pas 10 ans de plus que McEnroe !), lorsque la jeune et fraîche française craque sur le teigneux américain au bouillonnant sang irlandais...
Mais, c'est toute la carrière du tennisman qui sous-tend le roman. On le suit, au fil de ses résultats, pas forcément les plus marquants sportivement, mais celles qui ont été des tournants, à la fois pour lui, et pour Hélène et son fils. Il semble même que, tant qu'il a joué au plus haut niveau, même lorsqu'il a perdu de sa superbe, redevenant un joueur pas anonyme mais ordinaire, vieillissant, cela a alimenté les maux des deux Français...
Ensuite, lorsqu'il a raccroché, disparu du devant de la scène, c'est comme si une première amarre avait lâché... Mais, comment Hélène et Julien vont-ils vraiment pouvoir se détacher de lui, car il est l'ancre qui les envoie par le fond ? Une fois retraité, on le voit réapparaître ponctuellement, suivi avec plus de distance mais pas moins d'attention, continuant à hanter, bien malgré lui, la vie de "sa" famille...
Chose surprenante, McEnroe joue quasiment un rôle muet dans le roman. Lui dont les mots, les colères, les "you can not be serious", les insultes, les cris envers les arbitres, résonnent encore sur les courts centraux des quatre coins de la planète, on ne l'entend, si je ne me trompe pas, prononcer une seule phrase dans tout le livre, sujet, verbe, complément... Ironique, non ?
C'est sans doute le mot. Car, si le roman d'Arnaud Friedmann est souvent poignant, dur, presque violent dans l'intensité des sentiments et des douleurs qui s'expriment, il est aussi imprégné de cette ironie aigre-douce qui touche à nos rêves de jeunesse. La quatrième de couverture évoque les rêves d'enfant, il y a évidemment le rêve simple de Julien d'avoir un père, de le rendre fier, de juste lui faire savoir qu'il existe... Mais aussi celui d'être un champion, le plus jeune vainqueur de Roland-Garros, se couvrant de gloire en vengeant son père de sa cruelle désillusion de 1984...
Mais il y a aussi les rêves de jeunesse d'Hélène, jeune fille naïve et éthérée qui se métamorphose en groupie pour les beaux yeux d'un jeune et prometteur tennisman. Ensuite, lorsque s'ouvre le roman, c'est une midinette, une espèce de Bridget Jones bisontine, en attente de son prince charmant qui, elle n'en doute pas, viendra, un jour... Ou elle ira le voir, il la reconnaîtra et ils seront heureux et auront pleins de petits frères et soeurs pour Julien...
Jusqu'où est-on capable de se faire des illusions par amour ? D'autant que, tout au long de ce roman, on ne peut s'empêcher de se poser LA question qui tue : et si tout cela n'était qu'une invention ? Hélène seule connaît l"identité véritable du père de Julien. On a envie de la croire mais, par moments, on a aussi envie de lui dire d'arrêter son cirque, de la secouer et de lui dire de remettre les pieds sur terre...
A elle aussi, on crierait bien : "you can not be serious !" Mais personne n'ose. Le seul qui le pourrait, sans doute, c'est Julien. Il a choisi l'affrontement puis la rupture... Mais pas la rupture avec le modèle qu'on lui a imposé, avec cette hérédité si lourde à porter, d'autant plus lourde qu'on ne peut même pas la crier à la face du monde, en être fier...
L'ironie est aussi dans ce titre et ce mot de "romantisme" dont on ce demande ce qu'il vient faire là... Soyons honnête, à part Hélène, qui est romantique ascendant guimauve, avant de sombrer, il y a peu de romantiques dans ce roman... En revanche, et on retrouve l'ironie de Friedmann, il y a ce voyage à Rome, cité romantique (en un seul mot) s'il en est, où tourisme et tennis (la Ville Eternelle accueille un grand tournoi sur terre battue, disputé quelques semaines avant Roland-Garros) se font une certaine concurrence...
Je n'en dis pas plus, je m'attendais à passer un moment de détente, une sorte de "Coup de foudre à Flushing Meadows" avec une Julia Roberts franc-comtoise poursuivant une star du tennis de ses assiduités, mais, à l'arrivée, je me suis retrouvé avec, en mains, une lecture bien plus rude, plus délicates.
Que vous aimiez le tennis ou pas, peu importe. Evidemment, ce sport est assez présent tout au long de l'histoire mais ne vous en effrayez pas, c'est un décor, un contexte. Mais le drame familial qui se noue sur ce fond ocre et son originalité font de ce roman un livre intéressant, féroce et pourtant tendre, qui montre à quel point nos vies tiennent à peu de choses.
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