lundi 1 juillet 2013

Aux larmes, Mitoyens !

Ah, oui, aujourd’hui, on ne lésine pas sur le calembour pour débuter… Pourtant, le roman dont nous allons parler ne prête guère à rire, croyez-moi, un thriller psychologique de grande qualité qui ne cesse de faire monter la pression sur les personnages et le lecteur. Une histoire de voisinage (c’est pour ça, le « Mitoyens ») qui tourne au vinaigre et qui va faire de deux familles amies des ennemis irréconciliables. On est également dans la suite de la série « les rattrapages estivaux du Drille », avec un roman dont j’avais beaucoup entendu parler lors de sa sortie en grand format mais que j’ai lu dans sa version poche. Avec un certain retard, donc. Et, une nouvelle fois, je bats ma coulpe : il ne fallait pas passer à côté du roman de Barbara Abel « Derrière la haine » (chez Pocket). Oui, je suis à la traîne, mais j’ai désormais comblé ce manque. J’espère que certains d’entre vous profiteront des vacances pour en faire de même, car cette lecture vaut le coup.




Deux maisons accolées, mitoyennes. Deux jardins simplement séparés par une haie. D’un côté, vivent les Brunelle, Laetitia et David, de l’autre, les Geniot, Tiphaine et Sylvain. Deux couples qui ont fait connaissance en profitant de cette proximité. Deux couples qui se ressemblent également beaucoup : la trentaine, un certain côté bobo, même si on ne roule pas sur l’or ni d’un côté, ni de l’autre…

Les Brunelle et les Geniot vont même pousser le mimétisme jusqu’à attendre un heureux événement presque en même temps ! C’est d’abord Laetitia qui est tombée enceinte et, à peine trois mois après, Tiphaine. Une occasion fêtée par les deux couples comme il se doit, en invitant les voisins à boire un verre et à partager la bonne nouvelle.

Rien de plus logique, dans ces conditions, de voir les deux enfants, Milo Brunelle et Maxime Geniot, devenir, dès leurs premières années, des amis inséparables, presque des frères. Tout aussi logique de voir la complicité unir les deux couples se renforcer au fil des mois, des années. Les apéros du vendredi deviennent quasiment une institution, chacun vient demander un coup de main à l’autre quand c’est nécessaire, les enfants se partagent leurs jouets, leurs jardins, leurs chambres…

Les Brunelle et les Geniot partagent tant de choses ensemble, passent tant de temps les uns chez les autres, qu’on va même envisager de percer la fameuse haie de séparation pour y construire un portillon afin de ne plus être obligé de passer par la rue lorsque les Brunelle voudrait aller chez les Geniot, et réciproquement…

Une amitié qui va se symboliser par cette demande faite à Tiphaine par Laetitia de devenir la marraine de Milo. Deux familles qui n’en font presque plus qu’une, à tel point qu’à l’école des garçons, personne ne dissocie Milo de Maxime. Des inséparables ! Capables des pires bêtises de mômes comme des plus grands moments de tendresse, avec leurs parents respectifs…

Et puis, le drame se produit. Inattendu, impensable.

Un événement terrible qui va brutalement rompre l’harmonie parfaite qui régnait depuis 7 ans entre les Brunelle et les Geniot. L’harmonie, mais pas encore la relation. Certes, la complicité établie au long des années en a pris un coup et ne sera sans doute plus jamais restaurée, mais, après quelques atermoiements, les deux familles gardent un contact encore étroit.

Mais, les incidents, même les plus insignifiants, peuvent désormais devenir des sujets de discorde. La confiance est érodée, la douleur et la culpabilité vont s’immiscer dans ce qui était jusque-là une intimité sans faille. Petit à petit, là où une amitié fraternelle avait vu le jour, une relation d’un tout autre ordre va s’immiscer et prendre le dessus.

Une relation pleine de défiance, de craintes, d’angoisses et de tristesse… Une relation dans laquelle les sentiments positifs vont laisser place à ce qui ressemble de plus en plus à de la haine. Une haine farouche, aveugle, violente, même. Le plus souvent, lorsqu’on se parle, c’est pour se disputer, vertement, et il en faut de peu pour qu’à chaque fois, cela tourne à la bagarre…

Une situation qui ne peut que perturber un peu plus tout le monde, déjà durement déstabilisé par le drame. On commence à envisager des thérapies, on cherche à gérer au mieux la douleur des uns, la colère des autres ou encore, comment accepter, comprendre ce qui s’est passé. Pourtant, rien ne paraît apaiser les choses.

Au contraire, dans cette atmosphère déjà très tendue, des incidents graves vont encore se produire. Oh, rien qui ne serait imputé à quiconque en temps normal, mais puisque chacun devient si sûr de ses convictions concernant les autres, une certaine parano s’emmêle. Forcément, l’autre est responsable de ce qui va mal…

Je sais que je parais assez flou dans mes explications. Mais qu’il est difficile de parler de « Derrière la haine » sans trop en révéler ! Pourtant, ne vous fiez pas forcément au côté catégorique de ce que vous venez de lire. On n’est pas dans une guerre froide, si vous m’autorisez ce parallèle, avec deux blocs monolithiques qui s’affrontent, non, chacun d’entre eux semble se lézarder par moments.

Des désaccords apparaissent, l’interprétation des faits diffèrent selon les uns ou les autres. Certains personnages sont en première ligne, toujours prêts à remettre de l’huile sur le feu, à relancer les accusations qui couvent ou à renvoyer l’autre dans les cordes. D’autres sont bien plus nuancés, cherchant à garder la tête froide, à ne pas tomber dans la bagarre pour la bagarre.

Chaque bloc a son pôle positif et son pôle négatif. Après tout, tant qu’on vit dans des maisons mitoyennes, avec des jardins simplement séparés par une haie, il faut, lorsqu’on est en froid, et le mot est faible, trouver un modus vivendi acceptable. Et non risquer l’incident diplomatique ou la main courante au commissariat le plus proche à chaque micro-événement…

Mais, comme je l’ai dit plus haut, alors que la tension atteint son paroxysme, les événements qui vont se produire n’auront plus rien de « micro ». Non, de nouveaux drames se produisent ou sont très proches d’intervenir. Alors qui croire ? Le hasard qui fait mal les choses ? Les accusations débridées qui sont proférées ? Ou les explications qui sont présentées ?

A moins qu’il ne s’agisse de tout autre chose…

Faites-moi confiance, « Derrière la haine » est un thriller psychologique de haute volée, qui bascule non pas en un temps mais en plusieurs. Le drame initial est évidemment le déclencheur de tout ce qui va suivre. Mais, on se dit que c’est la folie, une folie née de la haine et du soupçon, qui va emporter tout ce petit monde tellement parfait, idyllique.

On se dit que ce sera surtout l’histoire de la pression démente imposée aux uns et aux autres et qui finira par en faire exploser certains. Mais, longtemps, cela reste très abstrait, une espèce d’illusion. On se dit que ça va trop loin, là, qu’il faut se calmer, retrouver une certaine sérénité, parce que ce qui se passe n’est pas fondé…

Et puis tout bascule encore pour nous emmener vers un dénouement absolument incroyable, dans le bon sens du mot, attention. C’est remarquablement construit et distillé. Un vrai scénario à la Hitchcock, je crois sincèrement que la Maître du Suspense n’aurait pas détesté adapter sur grand écran une telle histoire.

C’est juste machiavélique, et je ne parle pas du récit, je parle de l’écriture. On ne voit rien venir, on n’imagine pas ce qui se cache sous les événements qui nous sont proposés, décousus, en apparence, sans forcément de lien apparent entre eux, des prétextes, croit-on, pour permettre aux personnages de déchaîner leurs passions, la violence qu’ils renferment.

Du rose d’un monde où tout va tellement bien, on plonge dans un abîme de noirceur. Pas seulement à cause du drame et de tout ce qui va suivre. Non, parce que l’enchaînement de situations délicates à gérer pour les deux familles va faire ressortir ce qu’il y a de plus sombre en chaque individu… L’égoïsme, l’intolérance, l’irrespect, l’injustice, la violence, verbale mais aussi physique.

On s’enferme dans sa colère, on cloisonne tout, on devient incapable d’écouter, de prendre soin de l’autre, on agit comme jamais on agirait en temps normal. Mister Hyde fait disparaître le Docteur Jekyll aux oubliettes, il n’y a plus de valeurs, de morale, de conventions sociales qui tiennent, c’est la guerre, on vous dit !! Et tant pis si l’on s’appuie sur des bases bien peu solides pour la déclarer…

Le lecteur, lui, est abasourdi, par moments agacé, révolté devant les comportements des uns et des autres, les injustices manifestes qui se déroulent sous nos yeux. On a des personnages qui s’éloignent les uns des autres comme un iceberg de sa banquise. Impossible de rassembler les pièces de ce puzzle qui était encore, il y a si peu de temps, parfaitement constitué…

Sans doute n’y a-t-il qu’une haine farouche pour effacer une amitié fusionnelle. Mais les dommages collatéraux de ce cataclysme vont aussi être terribles (j’exclus de ce commentaire le dénouement). Comme il ne s’agit pas que d’un affrontement frontal entre deux familles, forcément, ces familles elles-mêmes vont être mises à rude épreuve… Et je ne parle ici que des adultes.

Evoquons justement brièvement ces familles. Leurs passés respectifs expliquent sans doute la manière dont les couples Brunelle et Geniot se sont soudés, puis leur envie d’élargir leur cellule familiale à des amis susceptibles de devenir des membres supplétifs. D’un côté, des familles déchirées et des histoires délicates ; de l’autre, déjà des drames et des familles dissoutes, inexistantes.

Comme je ne veux pas trop en dire sur le récit lui-même, j’ai volontairement occulté ce qui évoque la vie des quatre adultes, mais aussi ce qui tourne autour des enfants. Parce qu’il ne me semble pas opportun de fausser la remarquable construction du livre en agissant ainsi. J’ai aussi laissé de côté un personnage, a priori assez secondaire, mais qui, bien malgré lui, va avoir un rôle décisif dans l’histoire.

Oui, « Derrière la haine » est un roman riche, dans lequel rien n’est vraiment anodin. Tout ce qui se passe peut-être interprété à double sens, l’évolution des sentiments fausse forcément la vision des uns et des autres et on sait ce que valent les certitudes dans des cas pareils… Quant à a douleur, elle se manifeste de façon très différente chez les uns et les autres.

C’est cette douleur, que n’affrontent pas les protagonistes seulement individuellement, qui sera le bouillon de culture dans lequel germera la haine. Les haines, devrais-je plutôt écrire. Parce qu’elles aussi sont diversement exprimées. C’est, pour moi, l’un des aspects les plus passionnants du roman de Barbara Abel : l’évolution des personnages principaux au fil des pages.

Comment certains perdent pied, puis se reprennent, comment d’autres ne se maîtrisent plus, ne se rendent plus compte du mal qu’ils font à leurs proches en agissant de la sorte. Ce sont ces émotions exacerbées qui brouillent les pistes. On se doute bien qu’il y a anguille sous roche, qu’un lapin, et pas des plus agréables, va sortir du chapeau, mais, jusqu’au dernier moment, on ne se doute pas de là où l’auteur va nous emmener.

C’est bien l’affrontement qui va générer le chaos, et pas l’inverse, comme on pourrait le penser un peu rapidement. Car il y a les événements qu’aucun des personnages ne maîtrise, le coup du sort, ce qui vous assomme parce que rien ne vous préparait à vivre ça. Et puis, il y a tout ce qui est volontairement entrepris par les personnages. Même si on peut dire que la colère fait parfois faire le contrôle, il n’empêche que tout ce qui va se dérouler dans la seconde partie du livre n’est plus du domaine du hasard.

Enfin, et même si je ne veux pas trop évoquer les personnages, il est nécessaire de dire que « Derrière la haine » est un roman sur la maternité. C’est le fil conducteur du livre de la première à la dernière page. Et les deux mères ainsi que les deux enfants m’ont paru avoir des rôles bien plus forts et bien plus marquants que les deux pères, qui subissent les événements, je trouve.

Laetitia et Tiphaine sont des femmes fortes, qui ont su passer outre de pénibles aléas au cours de leur vie. Leur maternité est une victoire contre le sort pas toujours favorable. A partir de là, leur enfant devient la chose la plus importante au monde, celle pour laquelle elles sont prêtes à tout, même peut-être au pire, si elles l’estiment nécessaire.

Elles sont, et là encore, je parle de ma vision du livre, les locomotives de leurs couples. David et Sylvain ne sont pas falots ou transparents, attention, mais ils adorent leurs épouses et, presque naturellement, la hiérarchie s’est installée telle que je viens de la décrire. Pour ce qui concerne les enfants, on a deux pères concernés, dispensant une éducation de bonne qualité, rien à redire à ce sujet. Mais, ce sont aussi les événements qui vont se charger de donner aux deux femmes la primauté dans le roman.

Je ne sais pas si j’ai réussi à vous donner envie de lire ce roman, je l’espère, mais j’aimerais vous dire tant d’autres choses qui en dévoilerait trop ! Il faut quand même dire et redire que la tension va crescendo tout au long du livre. Ne soyez pas surpris, le livre commence par un court prologue qui laisse entrevoir les tensions centrales du roman. De façon habile, car on ne devine rien encore de ce qui va advenir.

L’habileté de Barbara Abel, c’est aussi de faire sans arrêt franchir à la colère puis à la douleur et enfin, au soupçon, la haie de séparation entre le deux maisons. Une espèce de jeu de ping-pong qui fait que, chacune à leur tour, les deux familles basculent dans le camp offensif ou dans le camp défensif… Les pistes sont en permanence brouillées, si on peut parler de pistes, puisqu’il ne s’agit pas d’une enquête.

Barbara Abel noie ses lecteurs dans les doutes, dans l’incompréhension. On voit ces amis de longue date se déchirer sous nos yeux sans avoir aucune idée de ce qui va sortir de ce conflit de voisinage peu ordinaire. Et c’est tout le sel de ce roman, thriller, oui, sans doute, roman noir également, mais reposant sur des ressorts narratifs et dramatiques fort originaux.

Pour aboutir à un dénouement vraiment très bien troussé, inattendu et franchement pervers…

Je me suis régalé, il y a tout ce que j’aime dans ce genre de roman où c’est la psychologie qui prime sur la vitesse, les effets, les artifices. Les personnages sont le cœur de l’histoire, ce ne sont pas des pantins ou des héros, ce sont des gens du commun, peut-être nos voisins. Et ce qui leur arrive, ce qui les plonge dans le drame et l’affliction, tout cela aussi a quelque chose de quotidien, de tangible.

Je ne vais pas aller jusqu’à dire que ça pourrait  tous nous arriver, je ne le souhaite à personne, mais on n’est pas dans l’extraordinaire. Quant à l’affrontement, il ressemble sans doute aux déchirements que traversent bien des familles, au sein desquelles les haines peuvent rejaillir à n’importe quel moment, pour des broutilles, souvent. En revanche, le final de « Derrière la haine », qu’on attend au tournant, puisqu’on n’a pas idée de là où on nous conduit, est tout à fait et magnifiquement romanesque.


Enfin, j’espère…


2 commentaires:

  1. Je viens de le finir et j'ai beaucoup aimé ! Très prenant, une lecture vraiment entraînante et captivante !

    RépondreSupprimer