Un titre qui pourrait servir pour des billets sur de nombreux livres, tant la vengeance est un sujet universel. Mais, si j'ai choisi ce proverbe (après de longues recherches, au moins pfff... 5 minutes), c'est parce qu'il joint à la question de la vengeance celle de la punition, qui est le coeur même de notre livre du jour. Un roman noir assez tordu, plutôt original dans sa construction et sa narration, étalée sur une longue durée, quand on se concentre souvent sur des périodes restreintes. D'ailleurs, il est possible que cela dérange un peu les puristes du genre, puisque ce n'est pas forcément une enquête à proprement parler qui est le centre de la trame romanesque. En route pour la Suède, dont est originaire Hans Koppel, l'auteur de "Châtiments" (en grand format aux Presses de la Cité). Pour la petite histoire, il est surtout connu dans ce pays comme auteur de roman jeunesse, mais son premier livre publié en France est donc un roman noir destiné à un public adulte. Un roman qui dévoile peu à peu ses mobiles cachés et où les personnages qu'on découvre d'entrée de jeu, viennent trouver leur place au fur et à mesure...
Ylva Zetterberg rentre chez elle après avoir bu un verre avec des collègues quand une voiture s'arrête à sa hauteur. La jeune femme est surprise, mais aussi un peu inquiète. Certes, il n'est pas tard, mais on n'est jamais assez méfiante. Au volant, une femme qui semble connaître Ylva, et dans la voiture, un homme. Effectivement, la conversation s'engage et, même si elle n'est pas forcément très chaude, Ylva finit par accepter de monter quand la conductrice lui dit qu'elles sont voisines et qu'elle peut donc la déposer chez elle...
Oh, ça, pour être voisines, elles le sont... Même si on comprend que c'est très récent. Mais ce qu'on voit surtout, c'est que le couple n'a pas du tout l'intention de déposer Ylva chez elle... Dans la voiture, elle reçoit un coup de taser qui la cloue sur le siège. Quand elle revient à elle, elle est prisonnière d'un sous-sol. Elle comprend alors qu'elle est enfermée dans une maison situé à deux pas de la sienne, tout juste rénovée. Un musicien s'y serait fait installer un studio... Une pièce parfaitement insonorisée...
Commence alors une longue détention pour Ylva, qui subit des violences physiques de la part du couple qui la séquestre, mais qui se retrouve aussi l'objet d'un traitement visant à la briser mentalement. D'abord, parce qu'elle voit ce qui se passe dans la rue, elle voit sa maison, pratiquement, grâce à une caméra de surveillance judicieusement orientée. Ensuite, parce que le couple a décidé de la réduire en esclavage...
Pourquoi Ylva, pourquoi un tel traitement ? Tout le roman va tourner autour de cette question. Et le fait que Ylva et sa ravisseuse se connaissent joue forcément un rôle là-dedans. Une telle sophistication et une telle cruauté ne peuvent qu'être les symptômes d'une vengeance qui a longtemps mûri... Mais alors, qu'a fait Ylva pour mériter ça ?
Mike Zetterberg est le mari d'Ylva. Pendant qu'elle sort avec ses collègues, lui s'occupe de Sanna, leur fille de 7 ans. C'est vrai que l'ambiance n'est pas au beau fixe dans le couple, mais Mike finit par s'inquiéter de ne pas voir sa femme rentrer à la maison. Elle n'a pas appelé pour dire si elle allait rentrer tard, son portable est éteint et Mike s'inquiète...
Bien sûr, elle peut avoir découché, mais dans ce cas, elle pourrait au moins laisser un mot ! Et puis Sanna veut voir sa maman. Au fil des heures qui passe l'inquiétude grandit. Le lendemain matin, Mike est toujours sans nouvelle d'Ylva et il se dit qu'il lui est arrivé quelque chose... Même sa meilleure amie n'a pas de nouvelle et la croyait rentrée chez elle la veille au soir...
Les heures puis les jours passent, puis les semaines, les mois... Et l'on reste sans nouvelle d'Ylva. La police n'a pas fait grand chose, les deux inspecteurs qui reçoivent Mike l'ont d'abord pris pour un cocu largué par une épouse volage puis, devant son insistance, ils ont carrément commencé à le soupçonner d'être l'assassin de sa femme et de jouer les époux éplorés pour se forger un alibi...
Une théorie qui ne traverse pas seulement l'esprit des policiers... Dans le voisinage aussi, on commence à cancaner sur Mike et son épouse disparue. On en a vu des époux adeptes du crime parfait pour s'éviter un divorce... Sauf que le lecteur connaît le sort d'Ylva et sait parfaitement que Mike n'y est pour rien... Et l'on trépigne de voir les deux policiers, aussi insouciants qu'incapables, ne pas faire grand-chose pour essayer de retrouver la mère de Sanna.
Alors, celle-ci doit continuer à endurer les tortures de ses geôliers, sans bien comprendre le but recherché. Elle encaisse les humiliations, les viols, les punitions, conservant un espoir de sortir un jour de là ou de voir quelqu'un retrouver sa trace... Mais l'espoir, avec le temps qui passe, se réduit comme peau de chagrin et Ylva commence à se dire qu'elle ne sortira jamais de la pièce vivante...
Mike, malgré les dissensions réelles qui existaient avec Ylva au moment de sa soudaine disparition, peine à se remettre du choc. Il lui est surtout pénible et difficile d'expliquer à Sanna qu'il n'a pas la moindre idée de la raison de la disparition de sa mère. Quant à l'espoir de la retrouver un jour... Sans doute Mike s'est-il résigné plus vite qu'elle, mais comment savoir ce que pense vraiment une enfant si jeune dans une pareille situation ?
Alors, tant bien que mal, Mike continue de vivre. Il ne change guère ses habitudes, ignorant que, tout près de là, Ylva est le témoin muet de sa vie sans elle... Mais sa vie va changer quand, incapable de vraiment refaire surface, il décide d'aller voir un psy. Celui-ci va l'aider à reprendre en main sa vie, peut-être même à la refaire, bref, à tourner la page Ylva, disparue depuis plus d'un an...
Mais, si la police se moque éperdument de savoir ce qu'Ylva est devenue, son histoire va intéresser deux personnes, presque par hasard. Et la salut, si salut il doit y avoir, pourrait venir de là. A condition que l'on écoute leur histoire à dormir debout qui va même tarder à convaincre l'un de ces deux personnages, dont on se demande longtemps quels rôles ils jouent dans tout cela. De qui s'agit-il ? Ah, ah, vous ne m'aurez pas, je ne dirai plus rien dans ce résumé !
"Châtiments" est un roman vraiment particulier, puisque, j'ai insisté là-dessus, les policiers ont un rôle décoratif, dans le roman. En tout cas, l'enquête est confiée à deux nullos qu'une histoire d'adultère, puisque c'est ainsi qu'ils voient l'affaire, ne motive pas des masses... Alors, si on les croise de temps en temps, c'est surtout pour être témoin de leur incompétence crasse...
Ce qui surprend d'abord, c'est que les premiers chapitres nous montrent des faits, des personnages et des lieux qu'on a du mal à relier entre eux à ce moment-là. Et, quand Ylva est enlevée, on se demande bien ce que les autres font... Vous aurez remarqué aussi que je ne nomme pas les ravisseurs de la jeune femme. Et pour cause, on ne le découvre que bien plus tard.
On est donc franchement perdu, bien largué et l'on assiste alors ébahi à une espèce de parallèle établi entre la vie en détention d'Ylva et la vie morne et désespérée de Mike, avec Sanna... Loin du rhytme dense et ramassé du thriller, de sa vitesse et de son unité de temps réduite, "Châtiments" louvoie, prend son temps, si je puis dire.
L'action s'étend sur près d'une année et demi et toute la tension repose sur un fil, sur l'ignorance de ce qui se passe réellement ("comment quelqu'un pouvait-il tout bonnement disparaître ?", se demande la belle-mère d'Ylva à un moment du roman), sur ces événements ponctuels qui se déroulent autour de la trame centrale et qu'on ne cerne pas tout de suite, sur la possibilité de voir Ylva se révolter, etc.
Sans oubli cette abominable idée : imposer à la victime de suivre la vie quotidienne des siens, de les voir évoluer si près et pourtant si loin, de les imaginer en train de l'oublier... Que peut-il y avoir de pire que d'être prisonnière et de se savoir peu à peu oubliée de tous, et en particulier des siens ? Là, se situe sans doute le pire des châtiments que lui infligent ses ravisseurs.
Mais le vrai machiavélisme de Koppel, c'est de réussir à détourner tous les principaux intéressés du sort d'Ylva. Mari, amie, collègues, ex, proches, voisins... tous, à des degrés différents, vous savez comment est l'être humain, finissent par penser qu'elle est morte, qu'on ne la retrouvera pas. Certains se résignent à cette pensée, d'autres spéculent dessus, le sujet est idéal pour alimenter ragots et médisances...
Il ne reste que ces deux personnages flous (je parle de leur présence dans le billet). L'un des deux, le genre qui a réussi et qui, depuis, vit de ses rentes, a eu comme un flash. Ca le concerne, bien sûr, pas directement, mais ça le turlupine. Le rapport avec Ylva ? Aucun, en apparence, mais, on s'en doute, il va finir par se révéler... D'abord de manière plus qu'hypothétique puis, de plus en plus crédible, même si cela semble complètement fou (la preuve avec les flics, certes, pas vraiment un critère convaincant, mais le récit qu'on leur fera leur entrera par une oreille pour ressortir aussitôt par l'autre...).
Pourtant, le second homme, lui, va se montrer infiniment plus perplexe. Sans doute, si la curiosité n'avait pas été dans sa nature et fait partie de son job, celui-ci n'aurait-il même pas écouté les élucubrations de son ami. C'est toujours un peu spécial d'utiliser le mot "chance" dans ce genre d'histoire, mais ces deux-là vont accumuler des indices au petit bonheur la chance et c'est le hasard qui va les guider, plus qu'une certitude et une détermination chevillées au corps.
Tous ces éléments extérieurs à la trame centrale vont alors devoir s'assembler et c'est aussi là que réside le suspense. Avec tout le temps qui a passé, que peuvent-ils découvrir ? Où en est Ylva, peut-elle être sauvée ? Qui sont ses tortionnaires et pourquoi s'en sont-ils pris à elle ? Bien sûr, on ne découvre pas tout dans les dernières pages, progressivement, on comprend de quoi il en retourne, mais s'installe alors, dans ce roman, dont le rythme est si différent de ce qu'on peut lire habituellement en thriller, une course contre la montre, pas complètement ordinaire non plus.
Signalons, parce que je sais que cela compte pour certains lecteurs, qu'il ne faut pas redouter la violence de "Châtiments". Hans Koppel ne se complaît pas dans des descriptions macabres ou scabreuses. Bien sûr, il y a quelques scènes un peu dures, c'est la loi du genre, mais rien qui dépasse les bornes. D'autant que, comme je l'ai dit, les violences psychologiques subies par Ylva sont sans doute plus douloureuses encore... L'asservissement auquel est soumise la jeune femme ne lui épargne pas les blessures physiques, mais je ne pense pas qu'il faille recommander ce roman à un public particulièrement averti.
Avec "Châtiments", Hans Koppel mise sur une originalité bienvenue dans un genre qui peut parfois s'avérer répétitif. Mais, revers de la médaille, il pourrait ne pas plaire à tous les amateurs de thrillers, polars et même romans noirs. On a des ressorts dramatiques si différents de ce qui se fait habituellement que ça déroute un peu... Moi, je me suis pris au jeu et j'ai dévoré ce livre, curieux de contempler l'ensemble du récit.
Je n'ai pas été déçu, la fin s'avère réussie pour mes canons livresques. Une fin qui fait se ronger les ongles d'abord, puis nous donne enfin la clé de toute l'histoire en quelques pages qui font frémir... Mais, et j'en terminerai ainsi, on se dit aussi à la lecture de ce roman que l'expression "se faire justice" est totalement impropre, que la punition infligée est avant tout une vengeance, aussi lâche et mesquine que ce qui s'était passé initialement.
Et, au proverbe juif qui nous a servi de titre, j'aurais pu adjoindre la loi du Talion. En se demandant si devenir bourreau est vraiment la bonne façon de rendre une douleur supportable (je ne parle même pas de la guérir, tant ceci me paraît impossible...). Et si punir peut être considéré comme ayant des vertus, la vengeance, elle, est seulement dévastatrice...
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