dimanche 19 août 2018

"Dolus an virtus, quis in hoste requirat".

ATTENTION, CE BILLET CONCERNE LE DERNIER TOME D'UN CYCLE.

- "L'Ombre du pouvoir" (disponible en poche chez Folio).
- "Le Fou prend le Roi" (disponible en poche chez Folio).
- "Le Marteau des sorcières".

"Ruse ou courage, qu'importe envers l'ennemi", pourrait-on traduire cette maxime latine attribuée à Virgile et qu'on trouve dans notre livre du jour. Le quatrième et dernier tome d'un cycle qui aura été une des grandes et belles découvertes de ces dernières années en fantasy francophone. Oui, l'heure est venue de quitter le Bâtard de Kosigan et ses fidèles compagnons, peut-être provisoirement, qui sait ce que réserve aux lecteurs l'imagination des écrivains, l'heure aussi de connaître le dénouement de cette tétralogie, entre fantasy et histoire, entre les XIVe et le XIXe siècles. "Le Testament d'involution", de Fabien Cerutti, paru juste avant les vacances estivales aux éditions Mnémos, est la suite directe du tome 3 (eh oui, si vous ne connaissez pas encore, ce cycle, ce sont deux diptyques, en fait, tomes 1et 2, puis tomes 3 et 4) et l'on retrouve un Bâtard de Kosigan en fort délicate posture, mais toujours décidé à comprendre ce qui l'a amené là, tandis que, cinq siècles plus tard, la disparition de son descendant laisse les amis de ce dernier dans la tristesse, mais certainement pas sans détermination pour obtenir les explications à tout ce qu'ils ont découvert en quelques mois. C'est le moment d'obtenir des réponses fermes. Et tant pis s'il s'agit de révélations potentiellement douloureuses...



De Charybde en Scylla. C'est en tout cas l'impression du Bâtard de Kosigan, qui se sent prisonnier des sorcières dont il se croyait l'hôte et l'allié, contre l'Eglise et son représentant à Cologne, le machiavélique cardinal de Las Cases. Mais sa réputation le précède et lui nuit un peu : les soeurs Stein ne lui font pas outre mesure confiance, redoutant une entourloupe...

La situation est tellement tendue à Cologne et dans toute sa région, à la surface et sous la terre, aussi, que n'importe quel nouveau venu est accueilli avec la plus grande circonspection. Chez les sorcières, on cherche à savoir pour qui travaille exactement Kosigan avant de trop lui en révéler. En se doutant bien que, de son côté, le mercenaire nourrit certainement les mêmes questionnements.

Mais peu importe l'accueil, Kosigan n'est pas venu là uniquement pour le plaisir de se plonger encore une fois dans les ennuis jusqu'au cou, non, il a également choisi de se rendre à Cologne, lorsqu'il a fallu s'éloigner des conflits anglo-français, pour essayer de renouer le lien avec sa mère. De comprendre qui elle fut vraiment, ce qu'elle savait. Et pourquoi il est... ce qu'il est.

Après sa pénible rencontre avec le cardinal, il espérait certainement une toute autre ambiance quand il a choisi le camp des sorcières. A la guerre, comme à la guerre, il doit accepter cette position inconfortable, tout en essayant d'en apprendre un peu plus sur les soeurs Stein... Qui lui réserve encore bien des surprises.

Force est de constater, encore une fois, que chaque camp a ses avantages... Et ses énormes défauts, dont l'ambition n'est pas le moindre. Kosigan a bien sûr pris ses précautions et placé ses propres pièces sur l'échiquier avant de se rendre aux près des sorcières, mais il sait qu'il marche sur des oeufs et qu'au moindre faux pas, on ne lui fera aucun cadeau.

Mais, il sait aussi qu'il a un atout maître bien au chaud dans sa manche : le fait de connaître de l'intérieur les deux camps en présence et d'avoir une petite idée de ce que chacun recherche. Alors, puisque Kosigan est avant tout son seul maître et qu'il sert d'abord ses intérêts, il ne verrait rien d'inopportun à l'idée de jouer les uns contre les autres, si nécessaire.

En 1900 aussi, un affrontement secret, extrêmement discret malgré certains événements qui ont pu attirer l'attention et même défrayer la chronique, se déroule toujours. Mais il est bien difficile de savoir quelles sont les forces en présence et les enjeux véritables qui justifient de telles méthodes, violentes et choquantes, isn't it ?

Les amis de Kergaël de Kosigan, bouleversés par la disparition de leur ami, n'ont pourtant pas renoncé à comprendre. Comprendre qui a pu vouloir faire disparaître Kergaël et pour quelles raisons exactement. Car, s'ils ont eu le temps de mettre à jour des éléments troublants avant que ne disparaisse Kergaël dans les conditions que l'on sait, ils n'ont toujours pas assemblé les pièces du puzzle.

Charles Deighton, le meilleur ami de Kergaël, soutenus par les historiens Ernest Lavisse et Léopold Delisle, poursuit donc sa quête, se doutant que les découvertes touchant au passé, les incohérences apparus dans les documents découverts et les questions que cela pose légitimement, ont certainement un rapport avec les violences qui se sont produites ces derniers mois.

Et pendant qu'ils poursuivent leurs investigations, deux sociétés secrètes, dont l'une semble avoir de longues et profondes ramifications dans toute la société, s'affrontent... Si elle devait échouer, alors, c'est la vision d'ensemble du monde, tel qu'on le connaît, qui pourrait être remise en cause. Et si elle s'effondrait, elle entraînerait beaucoup, beaucoup de personnages puissants dans sa chute...

En 2014, débarquait un nouvel auteur de fantasy, Fabien Cerutti avec son personnage du Bâtard de Kosigan, qui a vite su conquérir les lecteurs. En jouant avec l'histoire, en proposant une version alternative du XIVe siècle, dans les années précédant les débuts de la Guerre de Cent ans, dans lequel le merveilleux tient encore toute sa place, il touchait juste.

Roman de chevalerie, de cape et d'épée dans la lignée du genre, avec des scènes épiques, des batailles farouches, des complots, des trahisons et tout ce qui rend cela captivant, ce premier volet ménageait une énorme surprise avec un deuxième fil narratif, situé à la toute fin du XIXe siècle, dans lequel des personnages faisaient des découvertes déroutantes, déstabilisantes...

Fantasy historique, uchronie, ces deux histoires proposent des mondes apparemment différents, mais qui semblent bien être les mêmes... Où se cache l'embrouille ? Trois tomes plus tard, et bien des rebondissements, des rencontres et des situations mouvementées plus tard, voici donc le fin mot de cette histoire. Ou plutôt, les fins mots, un par époque, eh oui...

Alors, on ouvre ce dernier volet avec une certaine émotion, c'est sensible, un lecteur, ça s'attache à des personnages, à des univers, ça aimerait poursuivre le voyage, mais aussi avec une vraie excitation, puisque les masques vont enfin tomber. On va... COM-PREN-DRE ! Rhaaaa, oui, on va savoir où se trouve(nt) le(s) mensonge(s) !

La première chose qui frappe, c'est la construction de ce cycle : les deux premiers volets, qui se suivent directement, sont vraiment des romans de fantasy historiques, avec un vrai caractère uchronique. C'est toujours le cas des deux tomes suivants, qui se suivent également directement, mais on sent qu'il y a une rupture entre ces deux moitiés.

Cette rupture, ce n'est pas juste la mise au vert d'un Kosigan ayant mécontenté les Français autant que les Anglais, mais aussi l'entrée dans un univers où la fantasy prend véritablement le pas sur l'histoire. Oh, bien sûr, le fond historique demeure, mais cette fois, les camps belligérants ne sont plus des royaumes, mais des entités clairement identifiés, incarnant des pouvoirs inconciliables.

L'Eglise, d'une part, avec le cardinal de Las Cases, personnage central du troisième tome, et les sorcières, de l'autre, qui sont le centre de ce dernier volet. Avec ce titre mystérieux (mais qu'est-ce qui ne l'est pas, dans cette affaire ?) : "le Testament d'involution". Mais qu'est-ce que c'est que ce truc, et d'où est-ce que ça sort ?

Première chose : ouvrir le dictionnaire. Parce que le mot "involution" ne fait pas franchement partie de ceux que l'on emploie au quotidien. C'est assez amusant, d'ailleurs : le premier sens, c'est un redéploiement vers l'intérieur. Et puis, on trouve des sens plus scientifiques, avant de tomber sur une acception au sens figuré : ensemble de difficulté venant embrouiller une situation.

Avouez qu'on a là deux définitions qui pourraient parfaitement coller avec notre situation. Car les sorcières qui accueillent Kosigan ont dû, par la force des choses, sous la pression de l'Eglise et de ses alliés, se replier sur elles-mêmes, adopter des comportements beaucoup plus discrets que par le passé. Quand à l'embrouille, s'il y a un maître du genre, c'est bien Kosigan !

Alors, qu'en déduire ? Pas grand-chose, ce testament, qui est un élément fondamental de ce quatrième tome, va se dévoiler en cours de récit, avec Kosigan en principal témoin. Si l'on y réfléchit bien, ce que contient ce testament a déjà été annoncé auparavant... Des signes avants-coureurs qu'il était alors difficile d'interpréter, et dont le lecteur est l'un des rares à connaître les conséquences éventuelles.

C'est une interprétation de ma part, je me trompe peut-être complètement, remarquez. En attendant, il y a derrière ce mystérieux testament des enjeux colossaux. Et quand on dit "enjeux colossaux", le Bâtard de Kosigan commence à sérieusement se méfier... Il connaît la face sombre du pouvoir, il a toujours bien pris soin de ne pas s'en approcher trop près, parce que ça fait des dégâts...

Quand j'évoquais un cycle divisé en deux parties aux contextes sensiblement différents, il faudrait encore approfondir : il y a également un parallèle à faire entre ces deux parties distinctes. Et ce parallèle, c'est l'extraordinaire capacité de Kosigan à se fourrer dans les situations les plus complexes et dangereuses, et à se mettre à un moment ou à un autre tout le monde à dos.

Kosigan, c'est un électron libre, et c'est aussi ce qu'il attend des hommes et des femmes qui composent sa troupe. Un mercenaire gagne sa vie en vendant ses services au plus offrant, c'est la loi du genre, mais vendre ses services, ce n'est pas faire allégeance. Bien au contraire, c'est une manière de conserver son indépendance en toutes circonstances.

Or, si l'on avait déjà remarqué cela dans les deux premiers volets, alors que cela chauffait entre Français et Anglais, dont le seul point d'accord finit par être que Kosigan les avaient tous trahis, on retrouve cette impression dans les deux derniers tomes. Avec un Bâtard coincé entre le marteau des sorcières et l'enclume des sorcières (j'l'aime bien, cette astuce-là...).

Et, comme on avait déjà pu s'en rendre compte dans les précédents tomes, les camps qui servent les deux visions du monde qui s'opposent ne rentrent pas dans les cases classiques du manichéisme : les gentils d'un côté, les méchants de l'autre. Non, des gentils, il n'y en a pas beaucoup... En tout cas, dès qu'ils touchent du doigt la possibilité d'un pouvoir énorme, ils sombrent...

Ce dernier tome est extrêmement spectaculaire (comme les autres, me direz-vous ; oui, mais là, plus) et très visuel. Mais, il est aussi extrêmement tendu, avec une très importante composante psychologique, lors d'une longue scène décisive ou, plus que les armes et les bras, ce sont les mots qui vont devoir intervenir à la manière des pièces d'un jeu d'échecs qu'on manipule avec les plus grandes précautions.

Forcément, quand on se retrouve face à un cycle qui n'a jamais caché ses ambitions, on attend l'auteur au tournant, en espérant qu'il se montre à la hauteur (ouf, là, je suis moins fier de moi...). Et, sur ce point, la partie se déroulant au XIVe siècle ne déçoit pas, en particulier avec l'irruption de ce personnage qu'on voit en couverture, n'en disons pas plus !

Je parle moins de la partie se déroulant au XIXe, parce que l'on a là une trame de polar, une vraie enquête au long cours, qui réserve là encore un lot de surprises, jusqu'aux révélations finales, certaines un peu attendues, faut pas nous prendre pour des jambons, et d'autres beaucoup moins. En particulier une idée formidable, autour de l'imaginaire, qui est très bien amenée.

Un dernier mot sur le titre de ce billet : cette maxime apparaît à un moment bien précis du roman. Elle n'est pas présentée comme telle, mais elle ferait une parfaite devise à la famille Kosigan, du moins à partir de Pierre de Cordwain, surnommé le Bâtard de Kosigan. Car, mieux que personne, il a su allier la ruse et le courage pour lutter contre des ennemis aux forces bien supérieures.

Un précepte qui demeure, qui perdure, et qu'il ne faut surtout pas perdre de vue...

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