mercredi 3 février 2016

A la poursuite du "Gardien des Esprits"...

Ouf, enfin une série pour laquelle je suis à jour ! Ca s'arroserait presque... Il faut dire que celle-ci n'a que trois tomes pour le moment, ce qui facilite les choses. Mais, j'ai attaqué cette troisième enquête, puisque c'est de polar dont nous allons parler, avec un réel plaisir, celui de retrouver les personnages centraux, mais aussi avec la curiosité de voir où l'auteur allait, cette fois, nous emmener. Retrouvailles avec le capitaine Mehrlicht et ses acolytes, Dossantos et Latour, pour une nouvelle enquête échevelée et particulièrement dangereuse. "Sans pitié ni remords", de Nicolas Lebel (en poche aux éditions Marabout) poursuit dans la lignée des deux premières enquêtes de ces flics du commissariat du XIIe arrondissement, "l'heure des fous" et "le jour des morts", pour un mélange détonnant d'action et d'humour.



Mehrlicht, Dossantos et Latour assistent aux obsèques de Jacques Morel, leur ancien collègue que le cancer a fini par emporter. Et il y a bien peu de monde autour de la tombe. La capitaine, qui était aussi et surtout son meilleur ami, est particulièrement affecté, au point d'avoir souhaité prendre des congés après l'enterrement. Un séjour dans le Limousin, auprès de Mado, l'aiderait à supporter l'épreuve.

Mais auparavant, il va falloir passer par l'office du notaire, pour la lecture du testament. Mehrlicht est le légataire universel de son ami, il ne s'attend donc pas à de grosses surprises, ayant déjà une idée assez précise du patrimoine de Jacques. Et pourtant, le capitaine n'est pas au bout de ses surprises. D'abord, parce qu'il ne se retrouve pas seul face au notaire.

Ensuite, parce que Jacques a bichonné son testament : un texte en alexandrins, avec les rimes qui vont bien, mais aussi quelques documents supplémentaires, apparemment des grilles de mots croisés et de sudoku, activité dont le défunt était friand et qu'il a apparemment réalisées lui-même. Mais, le pire reste à venir : un diamant.

Un diamant très particulier, d'un jaune presque brun... C'est alors qu'entre en scène l'autre spectateur de cette ouverture de testament : Bénédict Kabongo, capitaine à l'OCBC, l'Office Central de lutte contre le trafic des Biens Culturel. Et s'il est là, c'est pour ce fameux diamant, dont vient d'hériter l'autre capitaine, celui du XIIe, sans même s'y attendre.

Et là, devant un Mehrlicht médusé et sentant la moutarde lui monter au nez, voilà Kabongo dévoilant ses soupçons : il accuse clairement Jacques Morel d'avoir fait partie d'un trafic d'oeuvres d'art près de 12 ans plus tôt et la présence de ce diamant à côté de son testament vient de lui apporter la preuve qui lui manquait encore et va lui permettre de faire avancer, enfin, son enquête.

La pierre précieuse appartient à une oeuvre d'art africain que le Congo réclame depuis des années et qui a disparu lors de la mise en place du musée du Quai Branly. Mehrlicht n'en croit pas ses oreilles. Ces accusations, il les prend comme une insulte personnelle et, repoussant son départ en vacances, il décide de filer un coup de main à Kabongo pour retrouver "le Gardien des Esprits". Et, par la même occasion, démontrer l'innocence de son meilleur ami.

Pendant ce temps, au commissariat du XIIe arrondissement, Latour et Dossantos sont un peu orphelins... Mais pas pour longtemps. En l'absence de Mehrlicht, il faut un chef à leur groupe. Et on a choisi pour eux le capitaine Cuvier... De quoi ajouter au spleen des deux flics, car cet officier est sans doute ce que la police française peu produire de pire.

Tire-au-flanc, toujours prêt à enterrer une affaire, surtout si elle demande des efforts ou risque d'affecter ses statistiques, raciste, sexiste, méchant comme une teigne en plus d'être incompétent, et affligé d'une goutte au nez permanente qui l'oblige à se moucher avec un bruit de sirène de pompiers à intervalles réguliers... Ô joie, ô bonheur, pour Latour et Dossantos...

Et ils n'ont pas le temps de se plaindre, car voilà qu'arrive sur leur bureau une série de suicides. Rien de bien excitant en apparence, mais il faut faire les constatations, les rapports, la paperasserie, on sait comment ça fonctionne, dans l'administration... Pour Cuvier, rien à redire, quelques signatures, et hop, une croix dans la case suicide, pas d'enquête superflue, on passe à autre chose...

Sauf que, pour Latour et Dossantos, les choses paraissent bien moins évidentes... Et si on "suicidait" ces personnes ? Pour eux, il y a matière à enquête, mais ils vont devoir se battre pour ça, car le commissaire Matiblout, fin politique, comprenez suprême lèche-bottes, serait plutôt enclin à suivre la voie tracée par Cuvier et à glisser cette histoire sous le tapis ou, au pire, à la refiler à d'autres services (plus) compétents.

Sans leur capitaine emblématique, et alors qu'ils se débattent avec leurs problèmes personnels en parallèle, Dossantos et Latour vont devoir agir de leur propre chef. Et s'engager dans une enquête qui s'annonce terriblement dangereuse. Car, en face d'eux, se trouve un tueur impitoyable qui connaît toutes les ficelles, ne recule jamais devant un meurtre et ne connaît ni la pitié, ni les remords...

Oui, cette troisième enquête va mettre nos flics face à un adversaire de taille. Les assassins qu'ils ont coffré dans les précédents volumes n'étaient pas des branques, mais là, on passe dans une catégorie supérieure, du genre à ne faire aucun quartier, à ne se soucier aucunement de la vie humaine. Le mettre hors d'état de nuire ne sera pas une partie de plaisir...

Comme lors des deux premières enquêtes, on retrouve ce curieux cocktail, qui fonctionne bien, entre polar, humour, action, histoire et littérature. Ici, la dimension historique est plus contemporaine que dans les deux autres affaires qu'ils ont traitées, mais on y retrouve cette folie permanente de notre bon vieux monde qui veut que l'homme s'entre-tue un peu partout en permanence...

Ajoutons la dimension artistique qui est très intéressante. Les questions abordées autour des musées, les choix politiques qui les accompagnent, comme la création du Musée des Arts Premiers au Quai Branly, pour le seul bon plaisir du président Chirac, sont très intéressantes. Tout comme tout ce qui touche au trafic d'art, pardon, aux disparitions d'oeuvre envoyées aux pertes et profits après être tombées des camions de déménagement.

Et puis, il y a la littérature. Pour ce troisième volet, c'est Charles Baudelaire qui s'y colle. Présence à chaque exergue de chapitre, il participe même (un peu malgré lui, je rassure ses fans) à l'intrigue. Mais, est-ce cette égide sous laquelle se place l'enquête, je l'ai trouvée assez sombre, plus que les précédentes. Les fleurs du mal y poussent comme des champignons, sans engrais de quelque sorte.

Pas de stagiaire, Mehrlicht est officiellement en vacances et, pour le remplacer, on a droit au sinistre Cuvier, qui vaut son pesant de cacahuètes, et fait un sacré pendant à Mehrlicht. Pas vraiment de points communs entre ces deux-là, d'atomes crochus, encore moins, mais qui pourrait en avoir avec le capitaine Cuvier, à qui on ferait bien avaler son mouchoir, si possible après usage.

Puisque j'en reviens à Mehrlicht, parlons-en. Il fait bande à part, si je puis dire, dans ce troisième volet, dont il est loin d'être absent. Son enquête parallèle, accompagné du capitaine Kabongo, est même le véritable moteur du récit. On l'y retrouve tout entier, malgré l'affliction d'avoir perdu son ami de toujours et son impatience de retrouver Mado...

Tabagique jusqu'à la moelle, un peu dépassé par ce monde dans lequel il évolue malgré lui où la technologie est partout (et, dans cet épisode, il y est durement confronté... Surtout pour son ego). Caractère de cochon, entêtement jusqu'à se mettre dans des situations bien périlleuses, il doit aussi lutter contre l'image qu'il renvoie parfois, et que son portable, avec ses sonneries toujours aussi a-propos, donne de lui.

Eh oui, le bon vieux running-gag de la sonnerie est encore là, évolue, mute, devient un incontournable de cette série. On attend Lebel au tournant, avec ce simple petit truc, sans grande importance apparemment, mais qui marque les esprits et qu'on réclame presque à cors et à cris dès la première page.

Ici, un bon moyen également, de rappeler qu'il n'est jamais bon de se fier aux apparences et aux premières impressions. Que tirer des phrases de leur contexte donne des résultats graves. Mais aussi, une formidable illustration de la banalisation des idées racistes que connaît notre société depuis quelques années, où l'humour a bon dos...

Et, s'il passe partout pour un acrimonieux, pour un mauvais coucheur, un malpoli et donc, même, pour un raciste, il faut savoir faire la part des choses. Mehrlicht n'est pas un monolithe, à l'image de Dossantos, par exemple. Son comportement et son apparence en font un personnage démodé, c'est vrai, qu'on a tendance à mettre à l'écart et juger trop vite.

Pourtant, le lecteur qui le côtoie depuis trois livres, a eu l'occasion de le voir sous différents angles. Ici, on retrouve l'ami, indéfectible, même quand le vent souffle de face. On lui dit que son pote est un voleur, il n'y croit pas, se démène pour démontrer le contraire. Et, si le doute s'immisce, parce que des éléments peu rassurants émergent, il s'en fiche et continue.

Il a une confiance inébranlable en Jacques qui, de l'au-delà, semble bien lui rendre, en lui confiant les clés d'une étonnante chasse au trésor dont lui seul peut percer les codes, complexes et souvent très personnels. Au fil des pages, Mehrlicht découvre des facettes inconnues de son ami, soufflé, blessé, même, de s'être vu, exclu de ces jardins secrets qu'entretenait son ami...

Peu importe, l'heure est d'abord à prouver son innocence, à le blanchir de toute faute et à montrer qu'il a agi en toute intégrité. Et, s'il a franchi la ligne jaune, c'est forcément pour d'excellentes raisons. Lui en est persuadé, mais il sent bien qu'il va lui falloir trouver de lourds indices et des preuves indiscutables de cela pour que Kabongo finisse par partager son opinion.

Oui, ce "Sans pitié ni remords", c'est une histoire d'amitié et de complicité. L'amitié que même la mort ne parvient pas à interrompre entre Mehrlicht et Morel, mais aussi la complicité entre Mehrlicht et son équipe, malgré leurs différences, malgré leurs visions des choses divergentes parfois. A cela, on voit que le groupe Mehrlicht fonctionne parfaitement tel qu'il est et que rien ne sert de lui imposer de nouvelles règles.

Mais c'est aussi un Mehrlicht fatigué qu'on découvre. Qu'on voit vraiment accuser le coup, comme si la tension des derniers mois, où il a accompagné son ami dans son agonie au quotidien, disparaissait d'un seul coup, le laissant comme une marionnette dont on a coupé les fils. En état de faiblesse, voilà comment il est, notre Mehrlicht. Et ses vacances, il les aura bien méritées, pour nous revenir revigoré, toujours aussi insupportable et toujours aussi attachants.

Intéressant, même si je ne peux pas en dire trop sur cet aspect, de comparer d'ailleurs les deux adversaires en présence. On retrouve chez, disons, le méchant de l'affaire, des thématiques et des traits communs. Evidemment, tout est différent entre les deux, en particulier si l'on considère la manière de mener une équipe, l'un utilisant toutes les ressources que cela lui offre, l'autre, instrumentalisant ses compères. Je n'en dis pas plus.

Si vous avez aimé les deux premières enquêtes de Mehrlicht, je pense que vous apprécierez aussi celle-là qui repose sur les mêmes bases. Egoïstement, on a hâte de lire la quatrième, même s'il est dans les plans, prochainement, de Nicolas Lebel de faire souffler un peu Mehrlicht et son équipe pour mener d'autres projets. A moins que...

Nicolas Lebel montre que le polar à la française n'est pas mort, qu'on peut même lui redonner vie et qu'une bonne dose d'humour n'empêche pas d'aborder des problèmes sérieux. Sérieusement, sans se prendre au sérieux, comme le dit cette devise que je reprends volontiers à mon compte. Et il dessine une fresque plutôt sombre de notre société et des directions qu'elle prend...

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