samedi 20 février 2016

"Comme tous les jeunes mammifères, ils sont génétiquement programmés pour faire confiance à leurs parents et croire que ceux qui leur ont donné la vie sont leur refuge dans un monde sans pitié".

A billet du samedi soir, lecture du samedi soir, comme il y a des films du samedi soir, qu'on regarde pelotonnés sous la couette, avec du popcorn à portée de main et un frisson, entre plaisir et frayeur. Oui, on va parler d'horreur, même si l'auteur ne joue pas, dans ce domaine, dans la surenchère, je le précise. Une vraie série B, et ne voyez pas dans ce terme une quelconque notion péjorative. Mais, dans ce thriller fantastique, il y a aussi une dimension assez grotesque, par moments, qui en fait une lecture à prendre au moins au troisième voire quatrième degré, tout en abordant des thèmes aussi sérieux que la parentalité et plus encore, la maternité. "Conception", de Chase Novak, publié aux éditions Préludes, nous offre une plongée infernale dans les beaux quartiers de New York où règnent le politiquement correct et le snobisme, à la rencontre d'une famille presque ordinaire...



Alex Twisden est avocat, propriétaire d'un important cabinet new-yorkais et descendant d'une auguste famille. Logé dans une de ces immenses maisons comme on en trouve encore dans certains quartiers de Big Apple, il est un des plus beaux partis de la ville, jusqu'à sa rencontre avec une jeune femme de près de 20 ans plus jeune.

Elle s'appelle Leslie Kramer et elle travaille comme éditrice dans une maison en vue où elle est une étoile montante. Le coup de foudre est immédiat, réciproque et, ensemble, Alex et Leslie vivent une vétiable idylle. Un seul point noir dans leur relation : ils ne parviennent pas à avoir d'enfant... Or, pour Alex, avoir un héritier qui puisse pérenniser sa prestigieuse lignée revêt une grande importance.

Au bout de trois ans, le couple a consacré énormément de temps et d'argent pour essayer de concrétiser ce rêve. Ils ont quasiment tout essayé, toutes les techniques scientifiques connues, y compris celles qui sont le plus en pointe... Ils fréquentent les groupes de parole où ils partagent leurs expériences et leur peine avec d'autres couples qui, comme eux, ne parviennent pas à concevoir.

Alex et Leslie sont gagnés par le découragement. Certes, il reste encore la solution de l'adoption, mais elle ne convient pas vraiment à Alex, qui voudrait que son héritier soit de son sang, de sa chair. Et puis, un jour, la rencontre qui change tout. Un des couples croisés régulièrement dans les groupes de paroles. Des années qu'eux aussi échouaient et là, voilà que Madame est enceinte !

Un vrai miracle ! Mais un miracle dont Alex veut connaître la recette. A n'importe quel prix. Même faire entrer dans son cabinet l'heureux futur papa, pourtant avocat médiocre... L'accord respecté, Alex obtient le précieux sésame, l'adresse d'un médecin qui a mis au point une technique incroyablement efficace, capable de venir à bout des cas d'infertilité les plus sérieux.

Un traitement qui coûte cher, mais l'argent n'est pas un problème pour les Twisden, et un médecin qui ne vit pas aux Etats-Unis, mais dans un drôle de pays dont ils n'ont jamais entendu parler : la Slovénie. Pour obtenir ce traitement, il leur faudra aller dans une ville dont ils ont du mal à prononcer le nom, Ljubljana, mais quelle importance, étant donné l'enjeu ?

Direction l'Europe, pour les Twisden. L'accueil au cabinet du Docteur Kis n'est pas le plus agréable, la note est exorbitante et le traitement tellement atroce que Leslie envisage même de renoncer, mais, finalement, après quelques douloureuses injections et l'absorption d'une potion au goût abominable et à la composition mystérieuse, le couple n'a plus qu'à croiser les doigts.

Bientôt, cela se confirme, Leslie est enceinte, enfin ! Enfin, le rêve qu'ils ont nourri depuis que leur histoire commune a débuté est en passe de devenir réalité. Et peu importe si, depuis qu'ils sont rentrés de Slovénie, ils font l'objet de quelques changements peu agréables qu'ils pensent être de simples effets secondaires du traitement...

Dix ans plus tard, Alice et Adam, les jumeaux nés du miracle, sont élèves dans une des plus prestigieuses écoles privées de New York. Deux enfants en parfaite santé, mais qui ne vivent pas tout à fait la même vie que leurs camarades. Leurs parents leur impose des règles extrêmement strictes qui contribuent à beaucoup les isoler des autres enfants de leur âge.

Leur magnifique maison familiale des Twisden est désormais défraîchie et particulièrement mal entretenue, Alex et Leslie ne vont plus travailler qu'occasionnellement et, la nuit, Alice et Adam doivent s'enfermer dans leurs chambres. Une situation qui ne se discute pas. C'est pour leur bien, leur explique-t-on...

Mais voilà, avec tout ce qu'ils voient et, pire, ce qu'ils entendent, Adam et Alice ont peur. Peur au point d'envisager sérieusement de fuguer, parce que ce qu'ils entrevoient de ces parents, qui les aiment tant, qui les ont tant désirés, les effraient au plus haut point. Malgré leur jeune âge, ils en sont sûrs : s'enfuir est une question de vie ou de mort...

Voilà un livre dont il est difficile de parler sans soulever un coin du voile, sans révéler des éléments que le lecteur doit découvrir par lui-même. Je vais être le plus prudent possible, mais il est possible que, dans le fil de ce développement, certains indices m'échappent malencontreusement. D'avance, mille excuses !

"Conception" est divisé en deux parties, un préambule qui relate la vie des Twisden jusqu'à la naissance de leurs enfants, et une seconde, qui est la plus importante et se déroule donc une dizaine d'années après. Cette seconde partie est un vrai thriller lorgnant vers le roman d'horreur, car vous aurez évidemment compris qu'il se passe des trucs bizarres dans cette affaire.

Au coeur de ce roman, c'est presque un pléonasme, les questions de parentalité et de maternité. Je sépare les deux thèmes, qui semblent proches, vous allez comprendre pourquoi. Au départ du roman, le désir d'enfant, mais avec derrière, cette convention sociale de l'héritier qui plombe un peu l'affaire. D'ailleurs, on sent, à plusieurs reprises, que Leslie, elle, se passerait bien de tout ça.

Lorsqu'on retrouve Alex et Leslie dix ans après l'escapade slovène et les petits soucis qui ont suivi, on découvre un couple qui aime ses enfants, je pense que c'est incontestable, mais qui redoute quelque chose les concernant, au point de vouloir les protéger de tout, y compris d'eux-mêmes. Evidemment, il manque certains éléments, dans ce que je dis, mais il y a dans "Conception" des scènes presque comiques.

On assiste à des discussions entre Alex et Leslie complètement surréalistes au sujet des enfants. On y balance entre amour, un amour sincère, j'en suis sûr, et convoitise... Les jumeaux ressentent cette atmosphère étouffante, comprenant mal ce qui se passe, puis le comprenant un peu trop bien. D'où la nécessité de fuir dès que possible...

J'ai mis la maternité à l'écart, il faut dire que Leslie est, pour moi, le personnage le plus intéressant du livre. Lors d'une discussion avec sa soeur, qui n'a pas d'enfant, elles se disent qu' "elles ne sont pas des pondeuses". Et pourtant, Leslie a cédé devant l'insistance d'Alex. Sans doute aurait-elle vécu tout aussi heureusement sans avoir d'enfant, mais faire plaisir à l'homme de sa vie était un geste d'amour.

Malgré tout, elle vit très mal les changements engendrés par sa grossesse, après avoir voulu fuir le cabinet du Docteur Kis... Ensuite, contrairement à Alex qui essaye de rester le plus rationnel, elle semble perdre peu à peu pied face aux événements. Et pourtant, dans le final, son instinct maternel va se révéler et jouer un rôle majeur dans le dénouement.

Tout cela est un peu cryptique, je m'en doute... Et, disons-le, à cause d'un savant fou, digne émule du Dr Jekyll et du Dr Moreau, le fameux Dr Kis... Si l'on s'en tient à sa présence dans le livre, il n'est pas, et de loin, le personnage le plus important du livre... Mais, son rôle est capital. Et pas uniquement parce qu'il est à l'origine des graves problèmes des Twisden.

La deuxième partie du roman, avec la fuite des jumeaux dans New York, tient presque d'un conte façon Petit Poucet, sauf que les enfants cherchent par tous les moyens à ce qu'on ne retrouve pas leur trace, donc pas questions de petits cailloux, ni même de mie de pain. On plonge alors dans des univers totalement différent de la luxueuse maison en voie d'abandon des Twisden.

Car Alice et Adam ne sont pas uniques. Le Dr Kis semble avoir eu une important clientèle new yorkaise... Alors, dans une espèce de remake made in Big Apple de "Sa majesté des mouches", on se serre les coudes, on se protège des agressions potentielles, en attendant la suite... Car qui dit que les proies du jour ne seront pas les prédateurs de demain ?

Il y a là aussi tout un jeu très intéressant, parallèle aux questions existentielles des parents, avec les interrogations des enfants et des adolescents sur l'avenir... A l'âge où l'on est en pleine quête d'identité, comment se construire quand on a plus aucune confiance dans ses parents (je vous renvoie au titre de ce billet) et qu'on se demande à quelle sauce l'avenir nous mangera ?

Alice et Adam se battent pour survivre à court terme, mais leur lutte est peut-être encore plus importante sur le long terme, s'ils veulent connaître une existence différente de celle qui leur semble promise. Pour reprendre le thème de la série B, ils ne sont pas de simples victimes expiatoires, mais de vrais héros d'un thriller dont ils sont, à plus d'un titre, l'enjeu.

"Conception" est un thriller, un thriller fantastique qui confine à l'horreur. Pour être franc, j'ai trouvé que Chase Novak aurait pu aller plus loin dans l'horreur, faire de son thriller un véritable "giallo". Je pense vraiment qu'il avait la matière pour cela, mais il choisit de traiter son sujet en jouant le plus souvent la carte de la suggestion et donc en épargnant aux âmes les plus sensibles, les scènes les plus gores.

En fait, on a l'impression que cette dimension horrifique l'amuse et qu'il en joue, plus qu'il ne cherche réellement à effrayer son lectorat. Cela ne veut pas dire que son thriller n'est pas efficace, mais qu'il ne repose pas uniquement sur le gore, ce qui, pour le coup, n'est pas plus mal. Cela donne un portrait tout en délicatesse des parents Twisden, là où on aurait pu se vautrer dans le sordide.

Mais, Chase Novak va plus loin tout de même, en servant une curieuse galerie de personnages sur le trajet de la fuite des deux enfants. Une collection de freaks, je pense que le mot est adéquat, assez répugnant et démontrant jusqu'à l'absurde que les Twisden ne sont peut-être pas les plus mal lotis, mais qu'ils n'en sont que plus en danger.

Il y a derrière tout cela, une satire mordante de la haute société new-yorkaise, les dynastie friquées des quartiers chics où l'on naît avec une cuillère dorée dans la bouche et une place déjà réservée dans les meilleures écoles, les universités de l'Ivy league et la boîte de papa. L'argent, nerf de cette guerre contre l'injustice biologique qui empêche de procréer et de transmettre ces si merveilleux gènes...

L'argent achète tout, mais ne fait pas le bonheur, cela pourrait d'ailleurs être la morale de cette histoire. Et, d'ailleurs, à plusieurs reprises, les parents Twisden ont des questionnements autour des voies qu'ils pourraient emprunter pour se tirer de là, y compris le suicide.

J'aimerais là encore développer un peu plus cet aspect, qui n'est pas seulement récurrent, mais difficile sans en dire plus. Car il nous faudrait expliciter la lutte intérieure qui anime Alex et Leslie et, d'une certaine façon, les maintient à peu près à flot, les empêche de basculer définitivement du côté obscur.

Mais la satire de Chase Novak ne s'arrête pas aux familles. Il se moque aussi du politiquement correct en vigueur dans cette belle société, qui résiste tellement mal à la perspective de perdre un gros client. Exemple typique : l'école des enfants et l'arbitrage qu'elle fait entre les parents Twisden, malgré leur état de moins en moins présentables, et un de ses professeurs gays.

Nous ne sommes pas homophobes, mais... On connaît la formule, que Chase Novak met en scène dans "Conception". Avec, de la part de l'auteur, une pointe de politiquement incorrect, puisque l'homme qui semble le plus adopter un comportement de père irréprochable, cherchant à apporter réconfort et protection aux enfants, est homosexuel... 

Il est temps de finir ce billet en vous disant que j'ai passé un agréable moment de lecture avec "Conception". Mais, ce fut plus un divertissement qu'une lecture qui fait réellement flipper. Peut-être est-ce le reproche principal à faire à Chase Novak : être resté au milieu du gué, ne pas avoir fait un choix franc vers un genre à part entière.

Pour autant, et si on lit ce livre avec un peu de recul, on s'amuse beaucoup à ce récit déjanté où ce sont ceux qui devraient lire les contes qui se retrouvent dans le rôle des croquemitaines. Quant au dénouement, il est très ouvert et laisse le lecteur se faire sa propre idée quant à la tonalité de l'avenir. Pour moi, c'est clair, cette tonalité est très sombre. Très, très sombre.

Et avec une touche de rouge sang...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire