lundi 22 février 2016

"On peut vivre longtemps sans tendresse avant de découvrir qu'on ne peut pas vivre longtemps sans tendresse" (Francis Dannemark).

J'aurais pu frapper plus fort encore avec un "Et la tendresse, bordel ?" de bon aloi, mais je me suis dit qu'un titre un peu plus léger serait mieux pour vous parler d'un thriller psychologique à la construction et au final originaux. Ou comment revisiter le thème rebattu du serial killer en trouvant un nouvel angle d'attaque. Confirmation, également, de la montée en puissance des femmes dans le paysage du thriller français. Et découverte, en ce qui me concerne, de cette nouvelle collection récemment lancée par les éditions Robert Laffont, la Bête Noire, qui recrute quelques-unes des signatures montantes du genre depuis quelques mois. Intéressons-nous donc à "Serre-moi fort", de Claire Favan, un roman plein de surprises et mené efficacement. Avec, au centre, deux personnages bousculés par l'existence et qui auraient sérieusement besoin d'un groooooos câlin...



Nick Hoffmann voit sa vie d'adolescent brutalement bouleversé lorsque sa soeur aînée, Lana, disparaît sans laisser de trace, un beau jour d'été. Peu à peu, l'inquiétude de ses parents laisse place à une détresse terrible qui va plonger toute la famille dans une période noire. La mère devient presque catatonique, spectrale, et le père noie sont chagrin dans l'alcool...

Devant l'effondrement de ses parents, le garçon, à peine 15 ans, doit se débrouiller pour faire vivre tant bien que mal le foyer, mais aussi assurer son avenir. Pendant deux ans, il se démène pour essayer de maintenir à flot une famille en ruines. Et, pendant tout ce temps, aucun signe de vie de la part de Lana. Pire, l'enquête ne piétine même pas, elle est carrément à l'arrêt.

Mais, au bout de deux ans, les parents de Nick vont soudainement sortir de leur marasme. Reprise en main radicale de la vie de famille, avec un seul et unique but : comprendre ce qui est arrivé à Lana. Pour cela, les Hoffmann vont devenir des membres assidus d'un groupe de parole réunissant d'autres personnes ayant eux aussi dû affronter la disparition brutale d'un proche.

Cette quête, couplée à une conversion expresse à la religion, jusque-là totalement absente de leurs existences, devient une obsession, au point que Nick se retrouve encore une fois délaissé. Tout juste bon à suivre ses parents aux réunions, pas moyen d'y échapper. Et toutes ses tentatives pour essayer de prendre le large échouent les unes après les autres.

Tout en essayant de réussir ses études universitaires, Nick assiste donc à la frénésie qui s'empare de ses parents pour essayer de savoir ce qui a pu arriver à Lana. Une frénésie qui repart de plus belle lorsqu'un tueur en série baptisé l'Origamiste par la police devient le principal suspect dans la disparition de la soeur de Nick...

Et toujours aucun signe de fierté ou d'affection pour le fils survivant...

Adam Gibson est lieutenant de police en Alabama. Et on peut dire que c'est même un très bon flic. Mais, lorsqu'on fait sa connaissance, il traverse des moments très pénibles. Il vient d'enterrer son épouse, vaincue par un troisième cancer... Une douleur terrible, mais aussi un soulagement, car les derniers mois ont été particulièrement éprouvants.

Devant la douleur de sa femme, il s'est jeté à corps perdu dans le boulot, mais aussi dans des aventures sans lendemain qui l'ont éloigné des siens. En particulier de ses deux jeunes enfants. Il y a de la rancune dans l'air chez les Gibson et, encore une fois, Adam fuit les difficultés dans le travail, au lieu d'essayer de refonder une famille qui s'écroule...

Le jour même de l'enterrement, éclate une affaire qui va lui demander du temps et des efforts, et tant pis si ses enfants lui en veulent de plus en plus. Par hasard, le cimetière d'un tueur en série a été découvert. Une nécropole bien remplie, et sans doute depuis un bon moment. Plus d'une vingtaine de corps qu'il faut identifier avant même d'espérer remonter la piste de leur assassin.

Devant faire face simultanément à ce casse-tête médico-légal et à la rébellion de plus en plus évidente de sa fille aîné, Adam essaye de faire face. Jusqu'à ce que son enquête le dirige vers le fameux "Origamiste", à qui l'on pense tout de suite, en Alabama, lorsqu'on se retrouve face à une telle série de meurtres...

Mais, l'enquête et la vie du policier vont alors prendre un tour tout à fait inattendu...

Voici un roman dont il est difficile de parler, parce que chaque élément compte. Donc, volontairement, de nombreux éléments sont laissés dans l'ombre, et pas uniquement ceux qui sont directement liés à l'intrigue. Les thrillers ne sont jamais évident à chroniquer, mais celui-là est sans doute un des plus délicats à traiter.

De la même façon, difficile de parler de la construction du livre, qui est une des forces de ce livre. Parce que, là encore, je pense que cela pourrait donner des indications. "Serre-moi fort" n'est pas un thriller d'action, mais un thriller psychologique, dont les ressorts ne sont pas des poursuites, des fusillades, mais reposent entièrement sur les personnages.

Claire Favan fait, dans ce domaine, feu de tout bois, en jouant avec toute la palette narrative à sa disposition. Mais, elle ne joue pas qu'avec la forme. Le fond aussi vient évidemment servir la mise en place de l'intrigue. "Serre-moi fort" est, à mes yeux, un roman noir, genre psychologique par excellence, mais va, dans sa dernière partie, se muer en thriller.

Le rythme n'est pas l'atout majeur du roman, l'intrigue se construit petit à petit, par strates, dévoilant des éléments au fur et à mesure. Et même si l'on en voit venir certains, d'autres sont carrément bluffants. Dans cette dernière catégorie, il y a évidemment la troisième partie du livre, son climax, extrêmement originale et très bien menée.

Il y a quelque chose de très étrange dans "Serre-moi fort", c'est que la violence y est très diffuse. Une violence qui n'est pas toujours physique, mais qui prend aussi des formes très particulières sur le plan psychologique. Ici, on pourrait même passer à côté, si on ne se retrouvait pas au coeur des préoccupations des personnages.

Car c'est une violence familiale qui s'exerce, celle qui repose dans le manque total de partage et d'échanges affectifs. On peut trouver que le mot "violence" est un peu fort, mais la souffrance de Nick, elle, est bien réelle, par exemple. Cinquième roue du carrosse familial, il quémande, là encore, je pèse mes mots, un peu d'attention, quelques marques sincères de la part de ses parents. Et il n'a rien en retour.

Seule Lana, lorsqu'elle était encore là et même après sa disparition, semble compter. L'amour parental pour la fille aînée confine à l'idolâtrie, Lana est sanctifiée alors qu'elle ne le mérite sans doute pas. Mais ils sont deux enfants et seule Lana a droit aux éloges, à l'amour et aux gestes d'affection parentaux, quand lui est transparent.

De la même manière, on ressent une immense violence dans la vie d'Adam Gibson (pourquoi le vois-je sous les traits de Dominic West, allez savoir, mon imagination est pleine de surprises). Sa vie de couple n'a été qu'un rude combat contre la maladie pendant des années. Un soutien indéfectible qui, lors des derniers mois, ne lui a valu que du rejet.

Attention, il ne s'agit pas de blâmer la défunte épouse, qui sentait sans doute sa fin prochaine. Mais, le fait est là : Adam a énormément souffert de cet éloignement qu'on lui a imposé. Et, en réaction... il a agi exactement de la même façon. Là encore, on a une relation parentale terriblement imparfaite, entre Adam et ses deux enfants. Et l'entrée dans l'adolescence de sa fille n'arrange rien.

Nick et Adam ont ce terrible point commun qui est qu'à force de ne pas s'être senti suffisamment aimé, ils ne savent plus aimer eux-mêmes. Et, bien qu'on ait envie de se dire que aimer, c'est comme la bicyclette, ça ne s'oublie pas, la réalité est différente. Un peu comme si on reprenait le vélo directement dans les pentes du Mont-Ventoux...

Oui, le destin de ces deux hommes est scellé par cette carence affective qui sous-tend tout le roman. Jusqu'à nous amener à des situations terribles, où c'est la violence, physique, cette fois, qui vient se substituer aux gestes qu'on associerait plus traditionnellement à l'amour. Je n'évoquerai qu'un exemple, mais l'hostilité ouverte de la mère de Nick lorsqu'elle rencontre pour la première fois sa petite amie est glaçante.

Il y a d'ailleurs, tout au long du livre, un jeu très habile de renversement des valeurs ou des situations. Vous comprendrez que je n'insiste pas sur cet aspect, ce serait en dévoiler trop, mais je me suis tout de même demandé en cours de lecture s'il ne fallait pas appliquer jusqu'au titre du livre cette sensation : en serrant fort, on peut aussi étouffer...

Les maux sont différents, les causes sont différentes et sans doute, les personnalités sont-elles différentes, entre nos deux personnages. Mais, il est évident que leurs vies n'auraient rien eu à voir avec ce que l'on découvre au fil des chapitres de "Serre-moi fort" si, à des moments-clés de leurs existences, ils s'étaient sentis aimés...

Un dernier élément qu'ont en commun Nick et Adam : ils sont des survivants. Ou plutôt, ce sont ceux qui restent. Avec ce que cela peut représenter de difficultés à assumer cette position. Encore une situation où ils auraient besoin qu'on les aide, qu'on les soutienne, qu'on leur marque plus encore qu'à l'habitude une affection sincère.

Au lieu de ça, on les exclut de cette bulle de confort et de sécurité. Si Nick s'accroche, espérant qu'à un moment, la porte s'entrouvrira et qu'il pourra enfin y entrer, mais Adam, lui, peut-être par culpabilité, accentue l'éloignement... Les câlins, Nick n'en voit pas le bout d'un, mais Adam rate les occasions qui se présentent à lui de les donner, autant que de les recevoir.

La phrase de Francis Dannemark que j'ai placée en tête de ce billet me semble parfaitement coller au sort que connaissent, chacun dans leur contexte, Nick et Adam. Tout découle de la prise de conscience de ce manque de tendresse. Aussi bien la tendresse qu'on reçoit que celle que l'on donne, d'ailleurs.

Reste à savoir si ce manque est incurable, irréversible, ou si un retour d'affection... euh, non, je vais changer la formulation... Ou si ces êtres en quête d'amour peuvent trouver leur salut par quelque marque d'affection... L'amour, une panacée. On a le droit d'y croire, si l'on croit aux happy ends. Mais Claire Favan est une vraie auteur de romans noirs, alors...

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