Un beau résumé du travail d'écrivain et du processus de lecteur, aussi, puisque le premier crée des univers, le second les reconstruit à sa manière... On reste dans la littérature jeunesse, avec un roman qui va vous dépayser, et pas uniquement parce qu'il débute à Madagascar. Préparez-vous à une odyssée (le mot n'est pas choisi au hasard) mouvementée dont l'objectif n'est rien moins que sauver le monde. Mais, pas de super-héros à l'horizon, non, juste des adolescents qui vont prendre conscience d'une chose : c'est entre leur main que réside l'avenir de la planète. Avec "Lemuria" (en grand format au Diable Vauvert), Ménéas Marphil propose une quête initiatique à plusieurs dimensions, sortie de l'enfance, mais aussi prise de conscience d'enjeux qui dépassent les destins individuels, et développe une vision de l'histoire où les mythes retrouvent une place qu'on leur a retirée.
Angelette et Andry ont 11 ans et vivent à Madagascar. Ils sont cousins et très complices, car ils ont passé la plupart de leurs vacances ensemble depuis leur plus jeune âge. Mais, cette fois, lorsqu'ils se retrouvent, l'un et l'autre sont inquiets. Chacun voudrait partager un secret avec l'autre, mais hésite à le faire de peur de se faire railler.
Pourtant, lorsqu'ils s'ouvrent l'un à l'autre, aucune moquerie. Au contraire, de la stupéfaction. Car ces secrets qu'ils redoutaient tant de révéler sont exactement les mêmes ! Depuis un certain temps, Angelette et Andry, qui ne vivent pas dans le même coin de la Grande Île, ont ressenti le même phénomène et, par la même occasion, la même frayeur.
En effet, depuis des semaines, ils ont régulièrement l'impression que quelque chose, à défaut de pouvoir mettre un autre mot sur cette sensation, que quelque chose les attrape par les chevilles, comme pour les attirer. D'abord, un souffle, puis, cette impression de saisissement, le phénomène s'amplifie. Et se fait de plus en plus fréquent depuis quelques jours...
Andry a même vu les créatures qui sont venus lui chatouiller et lui attraper les chevilles. Il n'a aucune idée de ce qu'ils sont vraiment, mais ils se sont présentés à lui sous une forme aisément reconnaissable pour ce jeune Malgache : des animaux vivants sur l'île, des Lémuriens. Mais ceux-là sont bien plus gros que ceux que l'on peut voir dans certaines zones de l'île !
La nuit suivant leur discussion, ces créatures entrent à nouveau en contact avec les deux jeunes gens. Mais, cette fois, elles ne se contentent pas d'un contact physique : elles se montrent et s'adressent à Angelette et Andry, essayent de les rassurer tout en leur montrant leur puissance. Puis, elles leur transmettent un message.
Elles ressemblent bien à des lémuriens, en bien plus gros, mais, et c'est très impressionnant, ne semble pas avoir de visage. Pas le temps d'avoir peur, ce qu'elles leur disent est encore plus inquiétant : la civilisation humaine est en grand danger. Et elle l'est par sa faute, parce qu'elle commet sans cesse des erreurs qui la conduiront inexorablement à sa perte si elle ne change pas.
Et les Lémuriens, appelons-les ainsi, expliquent qu'ils recherchent des messagers capables de pouvoir transmettre leur avertissement à l'humanité pour qu'elle change pendant qu'il est encore temps. Et Angelette et Andry feront partie de ces messagers, ainsi qu'une centaine d'autres jeunes gens, en espérant que leurs paroles feront ensuite tache d'huile.
Les deux jeunes gens ont du mal à comprendre exactement ce que l'on attend d'eux. Quel message devront-ils relayer, exactement ? Et comment convaincront-ils leurs parents, leurs amis ? Les Lémuriens leur expliquent qu'ils sauront tout en temps et en heure. Et, pour cela, ils leur proposent un voyage vers ce qu'ils appellent l'Hazoumang. Là, on leur apprendra tout ce qu'ils devront savoir...
Bientôt va débuter ce merveilleux mais dangereux voyage aux côtés des Lémuriens à la recherche de la sagesse des Aînés, tombée dans l'oubli. Angelette, Andry et des dizaines d'autres jeunes vont accomplir cette odyssée qui va changer ce qu'ils ont, mais surtout, leur permettre d'acquérir une vision du monde dans lequel ils vivent complètement différentes.
Voilà une présentation bien mystérieuse... Les lecteurs qui connaissent déjà Ménéas Marphil auront quelques repères supplémentaires, puisque ce n'est pas la première fois que l'auteur nous emmène à Madagascar, île chère à son coeur. Son premier roman, premier volet d'une trilogie, "la fabuleuse histoire des lunes de Pandor", s'intitulait "Abracadagascar" et il y était déjà question de l'Hazoumang.
Pour ceux qui vont découvrir cet univers particulier, pas de panique, il est tout à fait possible de commencer par lire "Lemuria", les histoires n'étant pas liées, mais l'univers, lui, forcément est proche. Peut-être aurez-vous envie de poursuivre l'aventure en compagnie de Ménéas Marphil, à la découverte non seulement de Madagascar, mais d'un univers très riche dont nous allons parler.
Bien sûr, il y a Madagascar, terre riche en traditions, qui est le point de départ de l'histoire. Puis, il y a ce voyage. A ce que j'en dis, je serais curieux de savoir comment vous l'envisagez. C'est justement l'un des intérêts de ce roman : qui sont donc ces étranges créatures qui prennent contact avec les deux jeunes Malgaches ?
L'idée même de prise de contact renvoie à la science-fiction, on entend cette expression et on pense aussitôt "extraterrestres". Et qui dit extraterrestres, dit voyage spatial, logique, emballé, c'est pesé ! Oui... Mais non, justement... Les Lémuriens ne sont pas des extraterrestres, c'est même plutôt l'inverse, on devrait en fait les qualifier d' "intraterrestres".
Eh oui, c'est vers l'intérieur de la Terre que l'on va se diriger, même si ce voyage-là n'a pas grand-chose à voir avec celui de Jules Verne. Cette plongée au coeur de notre planète est une façon de remonter aux origines de l'humanité, à travers les différentes ères qui sont comme les racines de cet arbre que Ménéas Marphil appelle l'Hazoumang.
Je ne vais pas entrer dans le détail, d'autant que je ne suis pas tout à fait assez calé sur le sujet. Ce que je peux en dire, c'est que le choix de donner l'apparence de lémuriens, ces primates si mignons, aux créatures qui viennent au devant des Humains n'est pas du tout un hasard. Et le lien avec Madagascar n'en est que plus fort.
Ce qu'on peut facilement dire, en revanche, c'est qu'au fil des ères, l'humanisation s'est accompagné d'un détachement avec la nature, dont le sort devient de plus en plus accessoire... Et c'est tout l'enjeu du message qui accompagne "Lemuria" : prendre conscience que l'homme, actuellement, est en train de détruire son bien le plus précieux.
Mais, avant de parvenir à cette prise de conscience, avant que cette jeune génération contactée par les Lémuriens ne puissent changer les choses, proposer l'entrée dans une nouvelle ère qui rompe avec les précédentes et reprennent le chemin initié par les plus anciens de nos prédécesseurs, il va falloir mener à bien ce voyage, que certains ne verront pas d'un bon oeil...
L'imaginaire de Ménéas Marphil est très riche, on le voit bien à travers l'ensemble de sa bibliographie. S'y mêlent de nombreux éléments, philosophiques, mythologiques, historiques, littéraires. C'est le cas dans ce roman, avec de nombreuses références qui apparaissent au fil des chapitres et du développement du récit.
Je n'en ferai pas la liste exhaustive, d'abord parce que j'en ai forcément loupé, ensuite parce que ce serait fastidieux et que cela nuirait certainement à votre lecture. Mais évoquons tout de même la mythologie grecque, bien représentée dans "Lemuria", à travers la rencontre avec certains personnages qui en sont directement issus.
Ils font le lien avec la littérature, puisqu'on retrouve ces personnages chez Homère et Virgile, parmi d'autres auteurs de l'Antiquité. Et c'est bien pour cela que je parlais d'odyssée pour qualifier le voyage entrepris par Angelette et Andry. On y retrouve un certain nombre d'éléments communs avec les classiques de l'Antiquité, dans le mélange, en particulier, entre réalité et merveilleux.
On peut évoquer également l'univers de Lovecraft, que l'on devine à travers certains indices semés par l'auteur. Ah, oui, ce n'est pas parce qu'on est dans de la littérature jeunesse qu'il faut rester passif ! Utilisez les moteurs de recherche, en particulier quand vous croisez des noms de personnages ou de lieux. Cela ouvre de nombreuses portes.
J'ai apprécié cela chez Ménéas Marphil : sa façon de partager, sans lourdeur, sans clins d'oeil appuyés qui détonent et font sortir le lecteur de l'histoire, ses références, ce qui nourrit son imaginaire. Et Lovecraft en fait partie, même si l'on peut se dire que de jeunes lecteurs ont bien le temps de le découvrir, lui et son univers si sombre.
C'est aussi l'occasion de revenir à une de mes marottes : l'importance de l'accompagnement des jeunes lecteurs. Oh, pas de manière envahissante, il faut laisser leur imaginaire se former, se forger. Mais, je crois à la sérendipité qui permet d'aiguiser la curiosité du lecteur et de lui faire découvrir quelques portes dérobés qu'il franchira, s'il le désire, par la suite, à condition qu'on le guide un peu.
Enfin, la dernière référence que je vais évoquer, concerne le nazisme. Ménéas Marphil le tourne en ridicule, à travers une espèce de dictateur fantoche et de son âme damnée. Mais, comme pour les Lémuriens, on comprendra que cette présence n'a rien d'un hasard. Là encore, cela répond à la logique que l'auteur met en place, à travers l'évolution de mots et de concepts au gré de l'Histoire.
Vous le voyez, c'est un roman très riche que nous avons en main. On prend le jeune lecteur au sérieux, on lui donne du grain à moudre, de quoi réfléchir et ce, à plusieurs niveaux. On l'enrichit, on lui ouvre des horizons. Le tout, en proposant un très agréable divertissement, car on se prend au jeu de cette aventure, on a envie de suivre Angelette et Andry au bout de cette folle histoire.
"Lemuria", c'est une belle initiation à l'humanisme, à l'écologie, l'occasion de mener, à la suite des personnages principaux du roman, sa propre prise de conscience. Sa remise en question, lorsqu'on est, comme c'est mon cas, un peu plus âgé (oh, à peine...) que les lecteurs auxquels ce roman est destiné. Pour ceux qui en douteraient encore, l'imaginaire est aussi une manière de parler du monde réel et de travailler à le rendre meilleur.
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