lundi 28 mars 2016

"Nous devons aspirer le mal de ce monde comme le venin d'une plaie, et non simplement l'amputer".

Si je devais qualifier notre roman du jour d'un seul mot, je crois que ce serait... "mystérieux". Premier tome d'un cycle de fantasy, il m'a captivé et m'a laissé très perplexe, car, une fois la dernière page tournée, on n'est pas très avancé, on ne peut que supputer, qu'émettre des hypothèses et se gratter le crâne, en attendant le deuxième tome... Disons-le dès maintenant, si vous allez jeter un oeil sur les blogs, forums, plateformes de lecteurs, vous y découvrirez des avis mitigés, allant du très bon au très mauvais. Le bon vieux jeu du "j'aime/j'aime pas" que je trouve si peu pertinent... "Le corbeau et la torche" est donc le premier tome de "la voix de l'Empereur" et le premier roman de Nabil Ouali, disponible aux éditions Mnémos. Un bien étrange voyage, une sorte de chanson de geste où il est bien difficile, pour le moment, de savoir qui tient les rênes, quelles sont les enjeux et surtout, qui sont réellement les personnages centraux... Nabil Ouali joue les cachottiers, et c'est plutôt efficace.



A Fervadora, règne l'empereur-roi Brisard II. Son territoire est allié à cinq autres royaumes, Lamborre, Fustigia, Alacath, Ysabar et Sulividel qui, chacun ont des particularités géographiques précises. A chacun de ces six royaumes sont rattachées des qualités ou des spécialités également particulières. Six royaumes qui vivent en harmonie.

Une harmonie que l'autorité de l'empereur-roi et de ses conseillers, en particulier le chancelier Gweleth, son homme de confiance. Mais une harmonie fragile qui risque à tout moment d'être remise en cause, en particulier par des autorités religieuses avides de pouvoir terrestre. Pour le moment, le clergé n'a pas réussi à trouver la faille qui lui permette de prendre les rênes des six royaumes.

Voilà pour le contexte général, rapidement brossé, dans lequel vont être amenés à évoluer les quatre personnages centraux de ce roman. Quatre enfants appartenant à la même génération, issus de milieux sociaux très différents, aux existences marquées par le destin et que je m'en vais vous présenter maintenant, encore une fois sans trop entrer dans le détail...

Le premier est un orphelin, et pour cause, lorsqu'il est découvert, traumatisé, tremblant de froid, sa famille vient d'être massacré par des brigands et il est le seul survivant. Choses curieuses, un grand froid a coïncidé avec l'attaque et tous les assaillants sont également morts lorsque le régiment du capitaine Lorgeam arrive sur place...

Découvrant l'enfant, le militaire, membre d'une mission diplomatique en voyage officiel, décide de l'emporter avec eux, malgré les questions qu'il se pose. Le garçon ne dit rien, pas un mot, sans doute encore sous le coup du traumatisme qu'il a vécu. Ses sauveurs, ne parvenant pas à ce qu'il leur dise même son nom le baptise alors Frimas, nom qui va lui rester.

Ravel aurait pu connaître un tout autre destin si sa mère n'était pas morte en couches en donnant naissance à son frère cadet. Issu d'une noble famille de Fustigia, l'enfant va nourrir une terrible rancune à l'encontre du bébé qu'il considère comme étant l'assassin de leur maman. C'est cette rancune qui va guider sa vie.

Par la suite, devenu un jeune homme, et malgré les actes qu'il a commis et qui auraient dû apaiser cette colère, c'est également elle qui va le pousser à rejoindre le clergé des six royaumes. Il y occupe une place particulière, auprès de l'évêque Larsan, membre de la Confrérie des Justes : il est son paladin, celui à qui on n'hésite pas à confier les missions délicates...

Glawol aussi appartient au clergé, mais ses origines, ses motivations et son parcours sont très différents de ceux de Ravel. Né au royaume de Lamborre, dans une modeste famille de fermier, le garçon a vu dans la carrière ecclésiastique le moyen de fuir ce milieu qu'il déteste par-dessus tout. Et tant pis s'il n'a pas la foi.

Si les quatre personnages centraux de ce livre sont intelligents, il semble clair que Glawol surpasse les autres. Mais il est aussi, sans aucun doute, le plus insaisissable des quatre, le plus énigmatique. On n'a à son sujet encore moins de repères que sur les autres et chacune de ses apparitions est un peu plus troublantes. D'autant qu'il va se retrouver à un poste important : précepteur de notre dernier personnage...

Elin est le fils de Brisard II. Jeune prince qui doit encore tout apprendre, tant de la vie que du savoir, des affaires politiques et de l'exercice du pouvoir, du maniement des armes et des relations aux autres. Comme les trois précédents, Elin a son lot de secrets et c'est un personnage presque paradoxal : à la fois en retrait, mais occupant une place pivot, de part sa position de membre de la famille régnante.

Ces quatre garçons sont les moteurs de ce premier tome. Leur part de mystère, qu'on dévoile encore très peu dans ce premier tome, posant beaucoup de questions et laissant le lecteur trouver de possibles réponses (c'est le cas, à mes yeux, pour trois d'entre eux) sans rien affirmer, est ce qui donne un vrai intérêt à ce livre, car on a envie d'en savoir plus.

A ces quatre-là, auquel on a déjà ajouté Brisard II et le chancelier Gweleth, on pourrait joindre deux autres personnages également très intrigants, mais apparaissant de manière plus furtive : Ma'Zhir et Aearonel (qui ne doit pas être un personnage complètement anodin, puisque Nabil Ouali a choisi son nom comme pseudo sur Twitter).

Du premier, je ne vais rien dire, mais j'ai une petite idée qui trotte dans ma tête depuis que j'ai refermé le livre. On verra dans les prochains tomes si mon intuition est la bonne. Si je ne dis rien, c'est parce qu'il tient un rôle majeur dans l'histoire, presque son détonateur. Quant au second, c'est un barde, toujours prêt à entonner un lai ou une ballade, en vers, on y reviendra...

Enfin, comment ne pas associer les animaux aux personnages humains. Eux aussi sont très présents dans ce premier volet, là encore avec des rôles entourés de mystères. Il y a les loups, et sans doute un en particulier, plutôt agressifs, d'ailleurs, et c'est sans doute les causes de cette agressivité qu'il va falloir déterminer, car elle ne semble guère naturelle.

Il y a le corbeau, qu'on retrouve dans le titre de ce premier volume, et ce n'est pas par hasard. Il apparaît, toujours à des moments particuliers, oiseau de mauvais augure, dans tous les sens du terme. Mais, là encore, difficile de le relier à qui que ce soit ou d'expliquer de manière précise sa présence... En tout cas, pas avant la dernière partie du livre... Et là encore, on n'a qu'une idée bien vague...

Et puis, il y a cet animal mystérieux qui, lui aussi, traverse le roman. Une bien étrange bestiole découverte par hasard, capturée, trimbalée, j'en passe car je ne peux pas tout dire ici... Son nom ? Personne ne semble le connaître mais sa vue semble provoquer effroi et dégoût parmi les populations. Que fait là cet animal ? J'aimerais bien le savoir...

"Le corbeau et la torche" est un roman qui installe une trame très politique, même si elle aussi reste encore à l'état d'esquisse. Une lutte pour le pouvoir à Fervadora et donc, sans doute, sur les six royaumes. Pouvoir qui passera par la mise en place d'une idéologie religieuse dont on sent bien que, malgré sa présentation imprégnée de morale et de bien, elle est venimeuse.

Une lutte d'influence dans laquelle tous les coups sont permis, y compris abréger le règne du roi-empereur. Mais, voilà encore un domaine où il apparaît vite que l'adage "à qui profite le crime ?" est imparfait... Oui, il nous manque beaucoup de cartes en main pour prendre la mesure des événements et surtout, avoir une certitude concernant les forces en présence et leur véritable pouvoir.

Nabil Ouali, philosophe de formation, lance une charge virulente contre la religion, à travers ce premier tome. En tout cas, sur la religion lorsqu'elle s'établit non pas uniquement comme un dogme religieux mais comme une idéologie politique. Lorsqu'elle vise un pouvoir terrestre bien loin de toute transcendance et avec vocation d'imposer ses vues à tous.

Je pose ce principe peut-être un peu tôt, car, finalement, qu'en sais-je ? Il y a tellement d'énigmes, de zones d'ombre, de questions sans réponses, de faux semblants, pourquoi pas ?, dans ce roman que je suis peut-être en train de me fourvoyer. Mais, je ne le crois pas. C'est bien un enjeu politique qui est au coeur de cette histoire. Les prochains tomes nous diront s'il faut élargir sa zone d'influence.

Puisqu'on parle de l'auteur, je l'ai évoqué à travers le personnage du barde. Une sorte de caméo hitchcockien, peut-être... Nabil Ouali, amateur de poésie, compose son roman comme une chanson de geste. Régulièrement, on trouve des passages en vers, loin d'être inintéressants et encore moins inutiles, car on y trouve, mine de rien, une masse d'informations sur le contexte de cette histoire.

Je sais que le style de Nabil Ouali ne fait pas l'unanimité (et j'ai l'impression d'écrire un euphémisme, là). Après avoir lu, sans approfondir, car j'aime bien forger mon opinion par moi-même, quelques commentaires sur le sujet, je m'attendais à pire. Mais, j'insiste souvent sur ce point, je ne suis pas un lecteur extrêmement sensible au style des auteurs qu'il lit...

J'ai beaucoup aimé cet aspect chanson de geste, dans ce qu'il apporte au fond de l'histoire. D'une certaine manière, cela ajoute encore au(x) mystère(s) ambiant(s), car ce que l'on lit pourrait donc bien être un récit a posteriori, narré par un personnage (Aearonel, par exemple ?) qui ménage ainsi ses effets. Peut-être est-ce lui qui tient véritablement les rênes, allez savoir...

Reste un dernier point à aborder, celui de la magie et, plus largement, de la place du fantastique dans ce premier tome. Là encore, j'ai été très surpris de certains commentaires, enfin, d'un en particulier, car je dois avouer que je ne le comprends pas... A-t-on lu le même livre, avec cette personne qui trouve que le fantastique est absent de ce roman ?

Elle est là, la magie, et dès les premières pages, d'ailleurs. Des choses extraordinaires se produisent tout au long du récit, mais, comme tout le reste des ingrédients qui composent ce premier tome, elle ne se révèle pas dans son ensemble. Le lecteur est témoin de fait qu'il pense pouvoir attribuer à tel ou tel personnage, mais sans certitude.

Oui, la magie est là, elle touche plusieurs des personnages que nous avons évoqués au cours de ce billet, et peut-être d'autres encore, rien n'est impossible. Voilà encore un domaine où nous avons énormément à apprendre des prochains tomes. Tant sur la véritable place de la magie dans les six royaumes que sur son potentiel réel et l'usage qu'on peut en faire...

J'ai fait le tour de ce premier tome, je crois. Je lirai prochainement le second avec plaisir, sans préjugé particulier, mais avec une certaine curiosité. Histoire de ne pas rester sur ces impressions tronquées que, quoi qu'on en pense, Nabil Ouali distille avec habileté. Et parce que je voudrais voir si le lecteur détective qui est en moi a échafaudé des hypothèses qui tiennent la route... Ou si je me suis gravement planté.

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