dimanche 6 mars 2016

"Quand le lion est mort, les chacals se disputent l'empire" (Michel Audiard).

Une phrase de Maître Folace, le notaire véreux des "Tontons Flingueurs", en titre de billet, j'en rêvais, c'est fait ! Et, pour la petite histoire, cette idée m'est venue en lisant notre livre du jour et s'est imposée sans hésitation lorsque le mot "chacal" est apparu dans le texte... Allez, laissons-là ces considérations sans grand intérêt et mes petits jeux pour évoquer le roman du jour, un roman noir, très noir, noir comme le café qu'on ingurgite pour se donner un coup de fouet. Noir comme cette ville de Glasgow, pas franchement riante... Noir, comme la nuit et l'enfer qui se sont donnés rendez-vous dans le titre du nouveau livre de Malcolm Mackay (aux éditions Liana Levi) : "L'enfer est au bout de la nuit". Vous pensez que la Mafia n'est qu'italienne ? Détrompez-vous, jusqu'en Ecosse, on en trouve, et ça ne rigole pas, mais alors, pas du tout...



Nate Colgan est un cogneur. Son outil de travail, ce sont ses poings, voire tout objet pouvant passer à sa portée et pouvant servir à tabasser son prochain. Mais Nate n'est pas un tueur, c'est une brute, il le reconnaît lui-même, mais son rôle se cantonne à distribuer des corrections en guise d'avertissement ou de représailles, pas à tuer. Tuer, c'est un autre job.

Nate Colgan est un cogneur et c'est l'un des plus réputés de Glasgow. La preuve, il vient de prendre du grade au sein d'un des gangs les plus réputés de la pègre de la plus grande ville écossaise. Le voilà chargé de la sécurité du clan Jamieson, pas le gang le plus important, mais un des plus importants. La promotion n'est pas mince, même si Nate se demande pourquoi on lui annonce ça à ce moment-là...

En effet, Jamieson, le chef de cette mafia, est en taule depuis peu. Il a été balancé par un de ses propres tueurs et ces aveux ont débouché sur un coup de filet qui a envoyé derrière les barreaux quelques membres du gang. Et d'autres six pieds sous terre. Jamieson n'a payé que pour une partie infime de ses activités, mais le voilà "out" pour un bon moment.

Or, on le comprend rapidement, une mafia, en Ecosse, comme ailleurs, c'est ultra-structuré, un édifice où chacun remplit une mission précise, chacun est à sa place dans l'organigramme. Un grand jeu de meccano construit au poil, mais qui, s'il y a le moindre jeu à un des étages, risque de se fracasser, entraînant tout le monde dans la chute. Et le patron en prison, c'est un sacré jeu.

D'ailleurs, profitant de cette désorganisation, il semble bien que le clan Jamieson soit déjà victime d'une tenative d'OPA pas amicale du tout... Certains espèrent bien récupérer les territoires, les hommes et les affaires du clan sans vraiment demander leur avis aux sbires de Jamieson et ça ressemble à une déclaration de guerre.

Pire, à l'insulte, on ajoute la provocation : le nouveau venu, le "new kid in town" s'appelle Adrian Barrett et il est... Anglais ! De quoi faire se retourner dans sa tombe William Wallace et pas mal d'autres héros portant le fameux tartan... Et, lorsqu'un des dealers de l'organisation de Jamieson est abattu, une véritable exécution, il semble évident que Barrett et ses hommes sont derrière cet acte inqualifiable.

C'est donc Nate Colgan qui va devoir organiser la défense d'un clan déstabilisé et attaqué de toutes parts. Et ça ne tombe pas trop bien sur un plan plus personnel, pour le cogneur. En effet, voilà que son ex, la mère de sa fille Becky, disparue de la circulation depuis un moment, repointe le bout du nez. Un retour trop beau pour être honnête, qu'il va falloir gérer en finesse.

Si c'est possible, parce que Nate est bien placé pour savoir que Zara est une enquiquineuse de première, et il est poli, qu'elle pourrit la vie de tout ce qu'elle approche et que Nate ne voudrait pas que Becky en pâtisse. Alors, comme son emploi du temps professionnel bien chargé ne lui permet pas d'agir autrement, il espère expédier la question Zara Cope au plus vite...

A ce décor, ne manque qu'un flic... Ce serait trop beau s'il n'y en avait pas, mais voilà que Nate va aussi devoir se méfier de l'inspecteur Fischer, qui a aussi entendu parler du retour de Zara. Ce Fischer, c'est lui qui a réussi un sacré gros coup en coffrant Jamieson, il ne faudrait pas qu'il étoffe encore un peu son tableau de chasse. Mais qui sait, Nate et lui pourraient avoir des intérêts communs...

Nate, montagne de muscles, près de deux mètres, de haut, et sans doute aussi de large, avec des mains comme des battoirs, est pourtant un gars du genre placide, mais là, faut reconnaître que l'avalanche de "bonnes" nouvelles qui lui tombe dessus ne va pas arranger son grand problème du moment : une insomnie tenace qui fait qu'il a du mal à pioncer plus de deux à trois heures par nuit...

Il est plutôt posé, débonnaire, même, mais consciencieux et il fait son travail sans rechigner. Mais, il ne faut pas trop le chercher. Et là, tout ce beau monde pourrait rapidement lui courir sur le haricot. La priorité, c'est mettre de l'ordre au sein du clan Jamieson, pour qu'il résiste durant l'absence du patron et que, pendant son incarcération, les affaires continuent. Et prospèrent.

Avec l'assassinat de Lee Christie, le dealer retrouvé une balle dans la nuque, la tournure de la mission confiée à Nate change radicalement. Il va devoir embaucher du personnel compétent et déléguer quelques missions impératives. Comprenez : tabasser ne va pas suffire et lui n'est qu'un cogneur, pas un tueur, je vous le rappelle...

Voilà un roman qui entre dès la première page dans le vif du sujet, avec cette nomination inattendue de Nate, qui semble le réjouir tout à fait moyennement. L'ambition, vous savez, nous ne sommes pas tous égaux devant elle, et pour le cogneur, elle semble plutôt synonyme d'emmerdes que de gratifications, d'augmentations et d'avantages divers et variés, en nature ou pas.

Une impression que les événements vont s'empresser de lui rappeler. Car ce que se conçoit bien a beau s'énoncer clairement, la situation du clan Jamieson est carrément problématique et il va vite falloir mettre un terme aux velléités de ce Barrett... A condition de réussir à mettre la main dessus, ce qui ne s'annonce pas si simple.

L'ambiance de ce roman est sombre, très sombre, renforcée par l'état piteux dans lequel se trouve Nate. Les nerfs à vif, le cerveau embrumé par la fatigue et les soucis qui montent, qui montent... Petit à petit, pourtant, on sent que rien ne colle dans tout cela. Et que, autour de Nate, est en train de se mettre en branle une mécanique de précision...

Malcolm Mackay met en place une intrigue en plusieurs temps qui avance crescendo, avec une double narration : Nate Colgan est le narrateur des chapitres dont il est le héros, et ceux qui se déroulent hors de sa présence, et donc, sans qu'il sache de quoi il en retourne, à la troisième personne du singulier.

Malgré cela, le lecteur n'a finalement pas vraiment d'avance sur le personnage du cogneur, car même dans ces chapitres à la troisième personne, on nous fait des cachotteries, eh oui. Bref, la bouteille à l'encre, c'est aussi pour nous. Il va falloir aller au bout des 300 pages de ce roman pour avoir le fin mot de cette histoire. Et savoir qui manipule qui.

Nate Colgan est un beau personnage. Euh, entendons-nous bien, un beau personnage dans un roman, parce que, si je me retrouve face à lui pendant ses heures de bourr... de bureau, pardon, l'émotion, il est clair que je ne ferai pas le fier... Une brute, c'est une brute. Il le sait, et pour cause, c'est son boulot, et il n'y a pas de sot métier.

Mais, ses missions s'arrête à ce rôle de brute, chargé d'impressionner et de punir, de "correctionner" pour reprendre un autre mot d'Audiard. Pourtant, alors qu'il paraît bien vivre cette vocation, on peut se demander s'il n'a pas comme un petit fond de culpabilité au fond de son inconscient, qui pourrait expliquer ces insomnies chroniques.

A plusieurs reprises, Nate insiste sur son intelligence, en contradiction avec l'image d'Epinal du cogneur, tout dans les muscles, rien dans le ciboulot. Il estime, et sans doute à juste raison qu'il doit sa réputation flatteuse et sans tache à cette intelligence au-dessus de la moyenne. Mais il oublie quelque chose, dans son raisonnement.

Et ce quelque chose, c'est la naïveté. Eh oui, on peut être un grand costaud plutôt malin et efficace, on peut aussi être un grand candide. Dans un milieu où une faiblesse ne pardonne pas, cette candeur pourrait être un handicap. Disons les choses autrement : Nate est un cogneur efficace, mais ce n'est pas un méchant homme.

Il ne tabasse pas son prochain par plaisir sadique, mais juste parce que c'est ce qu'on lui demande. Il le fait bien, choisissant le bon geste, la bonne attitude, le bon outil, quelquefois, pour obtenir le résultat souhaité et infliger à ses cibles le châtiment demandé par son employeur. Mais, il fait abstraction de cette brutalité, agissant en artisan.

Le souci, dans l'histoire Barrett, c'est qu'il va se retrouver impliqué personnellement dans ce bazar, et ça change tout. Les nerfs en pelote, le cerveau en compote, Nate n'est plus lui-même, ce géant au calme impressionnant qui vous en colle une avant même que vous l'ayez vue venir. Et ça pourrait bien mal tourner, cette histoire...

Ne croyez pas au ton léger que j'ai adopté dans ce billet que le livre est au diapason. Non, c'est un pur roman noir, savamment construit, qui se déroule à son rythme, faisant monter la sauce peu à peu. Mais on sent bien que, rapidement, cela peut tourner au carnage à n'importe quel moment. Et qu'il y a sans doute une grosse anguille sous roche dans cette affaire.

On se prend à cette ambiance sombre, qui prend son temps mais voit s'épaissir peu à peu l'obscurité dans laquelle évolue Nate. On s'attache à cette brute, qui n'est pas un mec bien, qui le sait et qui n'est certainement pas non plus le pire des hommes. Surtout comparé à ceux qu'il fréquente tout au long du roman et qui n'ont vraiment rien d'enfants de choeur.

Il y a une sobriété dans le style de Malcolm Mackay qui se marie parfaitement avec cette noirceur. Un côté sec, sans gras, qu'on retrouve aux extrémités presque abruptes de l'histoire, un début et une fin très "cut", pardon pour l'anglicisme. Et qui va aussi comme un gant à Nate, qui est vraiment tout sauf exubérant, et sans doute aussi à la ville de Glasgow qui est un cadre parfait pour cette histoire.

J'ai découvert l'univers de Malcolm Mackay avec ce nouveau roman, disponible en librairie depuis quelques jours, et je m'y suis senti à l'aise. Bien sûr, si vous aimez les thrillers trépidants qui vont dans tous les sens à toute vitesse, vous risquez de trouver tout cela un peu lent, pas assez ébouriffant. Mais, le propos est ailleurs que d'en mettre plein les mirettes au spectateur.

C'est une histoire d'homme, au singulier, celle de Nate, et au pluriel. L'histoire d'un empire qui vacille et dont il faut urgemment étayer les bases avant qu'il ne s'effondre comme un château de carte. Jamieson n'est pas mort, il est, disons, empêché, pour plus ou moins longtemps. Et cela n'empêche pas les chacals de se lécher les babines. Il faut juste savoir de quelle meute on parle.

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