Voici un roman, un premier roman, même, qui devrait surprendre les lecteurs connaissant déjà le travail de son auteur. En effet, l'univers est sensiblement plus sombre et moins déjanté, ce qui ne veut pas dire qu'on ne s'amuse pas énormément. Si vous connaissez John Lang, le créateur du "Donjon de Naheulbeuk", ou le John Lang musicien au sein du Naheulband, vous devriez découvrir avec "le Bouclier obscur" une nouvelle facette de ce garçon. Publié à l'origine chez Rivière Blanche, ce thriller fantastique, qui confine à l'horreur, bénéficie d'une nouvelle édition dans la collection de poche des Indés de l'Imaginaire, Hélios, sous la houlette des éditions ActuSF. Une bonne occasion de (re)découvrir ce texte qui conserve toute la fantaisie et l'humour de son auteur au milieu d'une trame pleine de noirceur...
Uther (oui, oui, Uther, comme le roi légendaire, père d'Arthur...), Uther Lelance, donc, est un jeune professeur d'informatique dans un lycée parisien. Et ses temps libres, il les passe à expérimenter des jeux vidéos. Bref, un gars sympa, cool et pas prise de tête pour deux sous, à la vie tranquille et sans histoire.
Proche de ses élèves, il entretient une relation particulière avec l'un d'entre eux, James. Un jeune homme costaud avec qui il a des goûts en communs, pour les jeux, justement, mais aussi pour la littérature fantastique. Sans abolir la distance prof/élève, il prends le temps de beaucoup échanger avec ce garçon plein de curiosité.
Mais Uther est une bonne pâte. Dans la salle des professeurs aussi, il soigne ses relations avec ses collègues. Michel, par exemple, prof de français et de latin, qui, un jour, vient le voir pour lui demander un service dans un domaine qu'il connaît bien : l'informatique. Pas pour lui, mais pour un de ses amis, qui se retrouve face à une situation disons, inédite. Et embarrassante...
Uther n'est pas contre mais il est surpris d'apprendre que l'ami en question est prêtre... Il ne s'attendait pas à ça, de la part de Michel. Il n'a pas de préjugé, mais la religion et lui, ça fait deux, au minimum. Pas de quoi refuser d'aller jeter un oeil à la bécane du curé, même s'il redoute de découvrir un appareil antédiluvien qu'il vaudrait mieux jeter à la décharge avant d'acheter une nouvelle bécane.
Nouvelle surprise, l'équipement d'Alexandre est non seulement moderne mais complet et le souci qu'il découvre n'est pas matériel. Oh non... C'est bien plus inquiétant que cela... Lorsqu'on allume la machine, ce n'est pas le menu habituel qui s'affiche, mais trois mots : DEPRAVATION, IGNOMINIE, CORRUPTION. Tout un programme...
Lorsqu'on clique sur l'un des mots, on assiste à un déferlement de saloperies difficilement imaginable. Et, à chaque fois qu'on essaye quelque chose et qu'on relance l'ordinateur, les choses empirent, les images deviennent de plus en plus abominables... Uther est sidéré, il se retrouve face à une forme de virus qu'il n'a jamais vue... A condition qu'il s'agisse bel et bien d'un virus...
Uther a beau déployer tout son savoir, rien y fait. Pire, la situation semble s'aggraver d'heure en heure... Lorsque Michel et lui, lors d'une visite, retrouvent Alexandre écrabouillé et encastré dans son exigu meuble télé, comme un contorsionniste dans sa malle indienne, l'appartement dévasté et d'étranges traces de pas du sol au plafond, là, ça ne rigole plus du tout, du tout...
Seule piste : le Vatican. Lorsque le "virus" s'est manifesté la première fois, c'est suite à une demande faite par Alexandre à la bibliothèque vaticane. Un texte lui a apparemment été transmis en retour et avec... L'espèce d'horreur qui s'est déchaînée et a pris la tangente. Il est temps de demander de l'aide à la source, à cette Eglise qui aura peut-être certaines réponses aux phénomènes dont Uther est témoin.
Débute une incroyable aventure, dans laquelle Uther va s'engager avec James (mais pas Michel, un peu trop secoué et qui a préféré prendre du recul). L'urgence est grande, un ennemi terrifiant est encore tapi dans l'ombre mais s'apprête à déferler sur le monde avec la ferme intention de tout ravager sur son passage...
Bon évidemment, dit comme ça, on voit bien le côté sombre de la chose, mais faites-moi confiance, on se marre bien à lire les aventures et les tribulations d'Uther et de James. Ne vous trompez pas, le plus "Pied Nickelé" des deux n'est pas celui qu'on croit : le professeur, un peu dépassé par les événements, assiste à tout comme hors de son corps, quand James paraît conserver un étonnant sang froid.
Et ce n'est pas évident, de rester zen, devant l'horreur qui va se produire en plein coeur de Paris, devant le regard effaré des passants, l'oeil avide de sensationnel des caméras et le sourcil froncé des forces de l'ordre... Coincés entre les monstres qu'ils combattent et une autorité officielle qui ne pige que dalle à ce qui se déchaîne, Uther, James et leurs alliés en sainte mission ne peuvent plus reculer.
Allez, entrons un peu dans les détails que certains n'ont pas envie de lire ici. Je n'ai parlé pour le moment que de la partie contemporaine du roman, mais le Moyen-Âge n'est jamais très loin dans ce que fait John Lang. Ici, il apparaît sous formes d'interludes, glissés à intervalles réguliers entre les chapitres et nous raconte l'histoire de ce fameux bouclier, présent dans le titre...
Le bouclier, et pas seulement lui, mais je ne veux pas en dire plus à ce sujet. Mais il est certain que son parcours aussi va être jalonné de situations violentes et d'épisodes sanglants, qu'on ne peut pas ne pas mettre en parallèle avec la situation dans laquelle se retrouvent impliqués Uther et James. Pour en savoir plus, lisez le livre...
Oui, "le bouclier obscur" est un roman sombre et violent, mais John Lang reste un auteur plein d'humour et il n'oublie pas de lui aménager une place, même au milieu de ce chaos. Uther, d'une certaine manière, est le premier ressort comique. Son ahurissement n'est pas permanent, il est le fruit de la situation, mais ses réactions gauches et son regard effaré sont un régal.
Mais, John Lang n'a pas oublié le comique de situation. Au fur et à mesure que je tournais les pages, je me disais qu'on assistait là à la rencontre plus qu'improbable entre "l'Exorciste", "Brain Dead" et "le sacré Graal" des Monty Python... Je sais qu'en disant cela, vous allez vous imaginez des choses impossibles, alors, quelques brèves explications.
"L'exorciste", d'ailleurs cité dans le roman, parce que le virus informatique qui n'en est pas un est en fait un démon. Et les démons, c'est comme les emmerdes, ça vole en escadrille, si je puis dire. Uther a bien du mal à accepter l'essence de ce qu'il doit affronter, mais, à force d'y être directement confronté et de voir des trucs traumatisants au possible, il finit par se faire à l'idée...
"Brain Dead", parce que, s'il n'y a pas de zombis dans ce livre (quoi que...), on touche par moment au sublime grotesque de ce film d'horreur. C'est tellement n'importe quoi dans le massacre qu'on songe aux scènes cultes de ce film. Jusqu'à une scène finale... Au-delà du film de Peter Jackson, il y a un franc côté série B, voire série Z dans "le bouclier obscur" qui donne cette dimension très divertissante malgré l'atrocité.
Enfin, "le sacré Graal". Là encore, ce sont plus des flashes qui m'ont rappelé le film que des parallèles ou des allusions explicites. Mais je dois dire, par exemple, que la relation d'Uther, de James et de leurs acolytes avec les policiers, par exemple, rappelle la toute fin du film. Le côté anachronique du final du roman, également, ainsi que certaines scènes visuelles ou de bataille renforcent l'impression.
Je me suis vraiment amusé à lire ce livre, sans aucun arrière-pensée, juste pour cette histoire sombre et pourtant capable de me faire éclater de rire. Ou, au contraire, de me faire pousser des onomatopées un peu dégoûtées. Un grand jeu de massacre pour adultes qui sont restés un peu enfants. On n'est pas dans le côté parodique du "Donjon de Naheulbeuk", mais dans un cocktail qui fait rire et grimacer.
Vous devez vous dire : c'est bizarre, on parle d'un thriller avec des démons, de l'ésotérisme, des exorcistes, tout ça, et pas une référence à Dan Brown ou à des auteurs de ce genre-là. Eh bien non, aucune, parce que, pour le coup, ça n'a vraiment rien à voir. L'auteur du "Da Vinci Code", quand il me fait rire, ce qui arrive, parfois, ne le fait pas exprès, et croit un peu trop à ce qu'il raconte.
John Lang, à l'image de son personnage et narrateur, Uther, ne se sent pas franchement concerné par les bondieuseries d'où qu'elles viennent et le roman, publié à l'origine il y a une dizaine d'années, me semble-t-il, ne vient pas s'inscrire dans une quelconque actualité. Non, on a juste une histoire avec des démons et des péquins qui s'improvisent malgré eux chasseurs de démons.
Là encore, ce qui éloigne John Lang de Dan Brown, c'est que le Vatican, bien que présent à travers certains personnages, reste toujours très secondaire et ses exorcistes ne ressemblent pas vraiment à Max von Sydow. Dans la mêlée, ils ne brandissent pas la croix et le goupillon, mais luttent pied à pied contre ce mal incarné.
Pas de prise de tête, pas de débat sans fin autour de ce roman, juste le plaisir de cette grosse baston sanglante à souhait et pleine de délire, avec des monstres très sympas (je parle de leur allure) et cet esprit potache certes plus mesuré que dans ce que fait d'habitude l'auteur, mais qu'on ressent tout de même à chaque page.
De la lecture popcorn, sans aucune autre ambition, et c'est très bien ainsi. Une lecture qu'il convient tout de même de recommander à celles et ceux qui apprécient le second, voire le troisième ou quatrième degré, et que les scènes gore n'effraient pas, car il y en a tout de même quelques-unes avant le pandémonium final.
Maintenant, vous êtes prévenus, à vous de décider si vous voulez rejoindre Uther et James et vous lancer dans l'aventure ou bien, si comme Michel, vous préférez poursuivre comme si de rien n'était votre vie, à l'écart de toutes ces horreurs (et du délire qui va avec). Mais, quoi que vous choisissiez, n'oubliez pas cet avertissement lancé par l'ordinateur d'Alexandre :
"Prenez garde, je serai bientôt dehors" *rire sardonique*.
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