L'inspecteur-chef Denny Malone est l'un des chefs de la Manhattan North Special Task Force, une unité d'élite de la police de New York à laquelle on ne peut appartenir que si on fait partie des meilleurs flics de la ville, et encore. Cela demande certains traits de caractères qui ne sont pas donnés à tous, ainsi qu'un courage qui peut paraître insensé, et un certain goût pour la violence...
La Force, comme on l'appelle plus couramment, est partout à Manhattan Nord. Rien ne doit lui échapper, afin de pouvoir intervenir au plus vite et s'attaquer aux plus dangereux criminels, trafiquants en tous genres, braqueurs, voleurs de grande envergure... Mais la drogue et les armes, dont le pouvoir de nuisance est maximal, sont leurs objectifs prioritaires.
Les mecs, et les quelques femmes, qui la composent ne sont pas des flics comme les autres. Ils sont confrontés quotidiennement aux adversaires les plus retors et les moins scrupuleux et chacun d'entre eux sait qu'il pourrait très bien ne pas rentrer le soir... A la Force, la moindre erreur, la moindre inattention sont fatales. Une véritable épée de Damoclès qu'il faut savoir supporter.
Ce matin-là, avant l'aube, Malone et ses hommes se préparent à intervenir. Ils ont dans le collimateur une des planques de Diego Pena, un Dominicain qui fait la pluie et le beau temps à Big Apple. Dans cet appartement, l'héroïne arrive en direct d'un cartel mexicain sous forme de paquets d'un kilo, qui sont conditionnés là en sachets pour ensuite être vendues dans les rues par différents gangs.
La Force le sait, l'appartement vient d'être livré, ce sera donc un flag très fructueux. Avec Malone, se trouvent les autres membres de son équipe, Phil Russo, Bill Montague, alias Big Monty, et le benjamin du groupe, Billy O'Neill, surnommé Billy O. Tous sont armés jusqu'aux dents et prêts à faire usage de ces armes, si nécessaire.
Cela aurait pu être un coup de légende. Une intervention à étudier en école de police. Un moment de gloire qui les ferait entrer à jamais dans l'histoire de New York. Sauf que tout ne va pas se passer comme l'avaient prévu les gars de la Force, qui vont laisser un des leurs sur le carreau... Ce qui ne va pas empêcher les survivants de faire ce qu'ils avaient prévu...
Ce jour-là, c'est un 4 juillet, et le feu d'artifices n'est pas aussi beau que prévu...
Les mois passent, les affaires continuent... La Force poursuit son combat pour la justice. Une nouvelle cible a été désignée : DeVon Carter, un trafiquant qui semble prêt à déclencher une guerre de territoire contre les gangs Dominicains... Une situation à éviter absolument, de peur de voir les morts, et des morts innocents, s'accumuler...
Mais petit à petit, on voit apparaître des situations qui viennent quelque peu ternir l'image que l'on a des différents agents de la Force. Certains n'hésitent visiblement pas à toucher de l'argent de la part de ceux-là même qu'ils devraient arrêter... Corruption, le mot n'est pas lâché, mais... Quant au groupe de Malone, il a lui aussi ses sales petits secrets...
Et l'arrivée du remplaçant de Billy O ne va pas détendre l'atmosphère : ne chercherait-on pas à leur refiler un mouchard ? Dave Levin est donc fraîchement accueilli... Mais ce n'est pas de lui que va venir le vrai coup dur visant Malone... Au lendemain d'une soirée bowling très arrosé avec les membres de son équipe, Malone est interpellé par le FBI.
Et il découvre qu'il s'est fait piéger, bêtement. C'était à Noël, sans doute avait-il la tête ailleurs... L'agent spécial O'Dell possède un enregistrement, Malone est coincé... Même si cela ne concerne pas ce qui s'est passé chez Pena. Il n'est même pas la cible de ce dossier. Il est l'outil. Le mouchard, c'est lui, enfin, c'est qu'on voudrait faire de lui, pour faire tomber des procureurs et des juges...
C'est le début d'une descente aux enfers pour Malone, flic d'élite, fils d'un flic new-yorkais, frère d'un pompier mort le 11 septembre... Cette histoire, c'est comme un collet : dès qu'il bouge, le lacet se resserre. Et peu à peu, le leader de la Task Force va se retrouver dans une position totalement intenable, totalement inacceptable...
Il n'est pas évident de condenser cette histoire, même si l'on sait dès les premières pages du livre que Malone va se retrouver dans une situation critique. Mais, lorsqu'on le découvre dans une cellule, on n'imagine pas l'ampleur du désastre ! L'histoire imaginée par Don Winslow est tracée au cordeau pour faire imploser l'image de Malone : du héros au traître...
Lorsqu'on entame la lecture de "Corruption", on a la curieuse impression de se trouver dans une version new-yorkaise de la série "The Shield" : une task force qui connaît son territoire comme sa poche, fait un boulot monstre pour enrayer les trafics et la montée des gangs sur ce territoire, mais qui a aussi pris l'habitude de se servir au passage...
Pour Vic Mackey, c'est régulier. Pour Malone, c'est une occasion qui a fait le larron. Un coup énorme, réalisé en toute discrétion, en ayant éliminé tous les témoins... Chez Pena, Malone, Russo et Montague ont assuré l'avenir de leur famille, quoi qu'il leur arrive. Du moins, c'est ce qu'ils pensent alors. A tort...
On retrouve dans le roman de Don Winslow des problématiques très proches de la série : le salaire des policiers n'est guère élevé, surtout comparé aux risques pris dans l'exercice de leurs fonctions. Et il faut faire vivre une famille. Mackey a des enfants autistes, qui nécessitent un suivi particulier. Malone n'a pas ce genre de problèmes, juste envie de mettre ses gosses à l'abri du besoin.
Il n'empêche que l'un comme l'autre ont, à un moment, choisi sciemment de renier leur serment et de franchir la ligne jaune... Eux qui sont censés faire respecter la loi l'ont enfreinte, sans aucun état d'âme, en vue d'un enrichissement personnel... Ils sont corrompus, le savent, et savent qu'un jour, ils tomberont peut-être pour ça...
Si la "chute" de Vic Mackey (non, je ne spoile pas !) marque la fin de "The Shiel", ce n'est pas le cas avec "Corruption". C'est même là qu'on cesse toute comparaison. En fait, c'est au moment où survient l'interpellation de Malone et qu'il comprend qu'il est salement coincé que commence véritablement le roman de Don Winslow...
En préambule, j'ai sorti les grands mots, dont celui de "philosophiques", et je l'assume. Au coeur de "Corruption", on trouve des questionnements essentiels sur la justice et comment la rendre efficacement. Comment assumer une mission aussi fondamentale et dangereuse que de lutter contre les gangs en étant contraints par la loi ?
Le mot "justice" est très présent dans le discours de Denny Malone. Rendre la justice, c'est ainsi qu'il voit son job. C'est sa mission et c'est pour cela qu'il risque sa vie. Et quand un de ses coups de force donne des résultats, Malone ressent une réelle fierté, parce qu'il a rempli son rôle et servi la Justice (avec une majuscule, pour l'institution).
Mais pour cela, Malone et ses hommes emploient les grands moyens. Autrement dit, face à des adversaires sans scrupule, qui n'ont pas peur de tuer et se moquent bien de la justice, eux, la Force répond de la même manière, sans faire dans le détail. On tire d'abord, on pose les questions ensuite, si on peut dire...
D'où une réputation assez sulfureuse, car le recours à une telle violence, même nécessaire, même proportionnée, parfois, ne donne pas une bonne image. Des cow-boys, des brutes. Des tueurs... Pourtant, comment pourrait-il en être autrement ? Comment traquer des criminels endurcis et dangereux sans utiliser les mêmes méthodes qu'eux ?
Le recours à la violence dans ces circonstances si particulières pose bien des questions philosophiques. La limite entre bien et mal se retrouve sérieusement brouillée... Et si cette question se pose concernant la violence, pourquoi ne se poserait-elle pas dans d'autres domaines de l'activité de la Task Force. Comme la corruption, par exemple...
Sauf erreur de ma part, "Corruption" est inspiré d'un scandale qui a véritablement frappé la police de New York. La Force ("The Force" est le titre original du roman) est gangrenée par ce fléau, qui a toujours touché la police de la ville (souvenez-vous de "Serpico", et bien avant cela encore). Mais peut-on regarder cela autrement qu'à travers un prisme moral ?
J'ai déjà évoqué cette question : on a en présence deux camps qui ne jouent pas avec les mêmes règles du jeu. Les gentils doivent respecter la loi, les méchants s'en contrefichent. Les gentils doivent faire avec les moyens d'une administrations pour un salaire de fonctionnaire, les méchants brassent des sommes gigantesques, dont ils profitent allègrement, malgré leur provenance ignoble.
L'argent... Ca peut sembler terre-à-terre, insignifiant, mais c'est fondamental : comment ne pas comprendre qu'on puisse se dire "pourquoi eux et pas moi ?" Pourquoi les méchants, qui enfreignent la loi, crachent sur la justice et la morale en tirent d'incroyables profits, tandis que ceux qu'on envoie au feu pour défendre ces institutions, et la société à travers elle, doivent se serrer la ceinture ?
La drogue, les armes, le cash que les policiers saisissent, souvent dans des conditions extrêmement dangereuses, représentent un trésor de guerre qui n'aura aucune retombée véritable sur ceux qui ont pris tous les risques. Voilà ce que constate Malone et ses hommes, quand il décide que la descente chez Pena sera l'occasion de se mettre définitivement à l'abri.
Don Winslow expose ces faits à travers l'histoire de Malone et sa descente aux enfers. Je dois dire qu'on ne s'attend pas à retrouver le quasi héros dans une situation à ce point inextricable. Une situation où il est obligé de trahir pour sauver, obligé d'être un mouchard pour protéger, obligé d'être une ordure pour servir...
Je ne suis pas surpris que ce livre ait d'ores et déjà intéressé les studios de cinéma. C'est James Mangold (déjà réalisateur de "Copland", où on parlait déjà flics et corruption) qui devrait diriger l'adaptation du roman de Don Winslow, et je suis assez curieux de voir ce que ça donnera. De voir aussi le casting qui sera constitué pour servir cette histoire.
"Corruption" expose la difficulté d'être policier et d'être confronté à la violence des gangs et leur absence de scrupule. Mais, vous vous en doutez, il ne justifie à aucun moment les actes de ses personnages, il ne s'agit pas de leur donner un blanc-seing. Il pose simplement un regard respectueux et compréhensif sur ses personnages. Mais pas complaisant.
C'est toute la puissance de ce thriller : faire basculer des personnages attachants, héroïques, qu'on a envie de soutenir et d'applaudir... du côté obscur de la Force (hum... désolé...). D'en faire des personnages troubles, immoraux, peut-être animés par des motifs justifiables et qu'on peut comprendre, des assassins, aussi, et pire que tous : d'en faire des trafiquants !
Il reste un élément très important à aborder : le contexte dans lequel se déroule cette histoire. Nous sommes en 2016, lorsque débute le roman, et les Etats-Unis connaissent une effroyable série de crimes commis par des policiers et vivants des citoyens noirs... Don Winslow n'invente rien, hélas, on est au coeur de ces drames qui ont entraîné l'apparition du slogan "Black Lives Matter".
L'image de la police est donc au plus bas : des racistes, des tueurs... Et pas dans une région du pays, c'est l'ensemble des Etats-Unis, jusque dans la très libérale ville de New York, qui est touché par ces actes révoltants... Dans "Corruption", ces faits et le climat qu'ils induisent sont très présents à l'arrière-plan et tiennent un rôle important dans le récit.
Ainsi Don Winslow expose-t-il quelques-uns des maux les plus profondément ancrés qui nuisent à la réputation de la police dans son pays. Qui contreviennent à la fameuse devise "Servir et protéger". Mais qui ne peuvent pas faire oublier le travail effectué et les risques pris par ces hommes et ces femmes qui portent un badge.
Lorsqu'on ouvre "Corruption", juste après la page de garde, on trouve un mot de Don Winslow, dans lequel il évoque les policiers morts en service dans la période pendant laquelle il a écrit le livre. Je possède une version numérique, cette liste en forme de mémorial tient sur 9 écrans... Liste interminable...
Je ne sais si, parmi ces noms, tous sont irréprochables, s'il y a des racistes, des corrompus, des bons ou des mauvais flics. Je ne sais pas dans quelles conditions ils ont trouvé la mort, s'ils sont tombés face à des trafiquants de la pire espèce, des petites frappe sans envergure ou des chauffards irresponsables. Je ne sais pas qui ils sont, je sais juste qu'ils sont morts...
Comme toujours, il est trop simple de voir les choses en noir et blanc, tout est toujours tellement plus compliqué, parce qu'un être humain, parce que vous et moi, nous sommes tous des êtres complexes, avec nos qualités, nos défauts, nos erreurs et nos bonnes actions... Pour un policier, la portée de chaque acte a une résonance particulière, et très exposée...
J'en termine là, en revenant au roman de Don Winslow, près de 600 pages que j'ai lues sans m'en rendre compte, tant cette histoire m'a captivé. Je garde en mémoire des scènes très visuelles, dont un dénouement très fort qui devrait très bien rendre à l'écran, d'ailleurs. Un thriller noir, violent, dérangeant par bien des côtés que j'ai essayé de mettre en évidence dans ce billet.
Un billet que l'on va terminer en musique, avec un morceau qu'on entend dans "Corruption". Je l'ai choisi pour la scène au cours de laquelle on l'entend, une scène charnière. Mais aussi pour son titre, qui devient très ambigu par la suite. "The World is Yours", le monde est à vous... Mais vous qui ? Malone pensait que ce vous, c'était lui et ses potes... Et s'il appartenait en fait aux (vrais) méchants ?
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