Je vous emmène aujourd'hui dans les années 1440, dans la région d'Albi, et vous narrer la vie d'un teinturier. Bon, dit comme ça, ça n'a pas l'air extraordinaire, mais "Pastel", d'Olivier Bleys (Folio) est pourtant un livre très agréable à lire.
Reprenons. Simon naît au début du XVè siècle dans une famille de teinturiers renommée. Dès sa naissance, sa vocation s'affiche sur son visage, orné d'un large tâche-de-vin. Très tôt, Simon va apprendre les rudiments de la teinturerie et devenir compagnon auprès de son père, maître de la teinture rouge. La vocation est là, mais Simon rêve de voler de ses propres ailes. C'est une rencontre "accidentelle" qui va servir de déclic au jeune homme. Car il entre en collision avec un prospère négociant du coin, Fressard. Celui-ci propose à Simon de lui installer un atelier et de lui fournir la matière première. Non pas pour faire du rouge, mais du bleu, couleur honnie par le père de Simon, mais qui fait rêver le jeune compagnon. Et cette matière première, c'est le pastel.
Et voici Simon teinturier, fabricant de bleu. Mais il ignore encore que son nouveau maître est un ambitieux, avide d'argent, de pouvoir et de titres. Il sait encore moins que la femme de celui-ci eut, quelques années auparavant, le propre père de Simon comme soupirant. Il n'imagine surtout pas qu'en signant avec Fressard, il a signé un pacte avec le diable et que ce bleu qu'il révère tant, va le mener en enfer.
Je ne veux pas trop rentrer dans les détails de l'histoire, ne pas trop en dévoiler car "Pastel" est un bonheur de lecture. Certains pourront peut-être trouver la langue de Bleys trop raffinée, mais je l'ai trouvée légère, originale, reproduisant sans être trop ampoulée la langue vulgaire du XVème siècle.
La guerre ouverte entre le maître teinturier, père de Simon, va bien au-delà de la rivalité entre prétendants pour une femme. Elle est d'abord l'opposition entre deux couleurs, le rouge, noble et "à la mode", et le bleu, déconsidéré. Impensable pour un maître du rouge d'imaginer faire du bleu. Et pourtant, ce bleu va petit à petit prendre le dessus. L'opposition entre le teinturier et le négociant concerne aussi la méthode : Lucas, le père de Simon, est maître teinturier, un artisan au sens propre, qui exerce l'art du rouge. Pour lui, seule compte la qualité du produit fini et de la teinture. Ses clients attendent le temps qu'il faut leurs commandes et payent le prix de la qualité. Fressard, lui, est d'abord un commerçant. Son objectif premier est de vendre et de créer une demande de plus en plus forte. Il doit alors, pour répondre, imposer à Simon des cadences infernales, des conditions de travail moins favorables pour faire des produits de qualité, mais idéales pour fournir au plus vite des produits, et tant pis s'ils sont moins fignolés que ceux du maître.
Bref, "Pastel", c'est aussi la parabole de l'artisan contre le commerçant, des savoir-faire artisanaux contre les processus industriels, de la qualité contre la grande consommation, de l'entreprise familiale contre le capitalisme triomphant. J'exagère un peu, mais on voit poindre ces thématiques-là.
Et puis, il y a cette destinée de Simon. Promis à un bel avenir de teinturier, appeler à devenir maître et à succéder à son père, il choisit une autre voie, celle de sa passion du bleu qui, malgré ses talents, le perdra.
"Pastel" nous dresse un tableau saisissant de ce XVème siècle, plus tout à fait Moyen-Age, mais pas encore Renaissance, et m'a donné envie de lire les autres romans historiques écrits par Olivier Bleys.
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