Après les Kerguelen et l'île de Sainte-Hélène, Jean-Paul Kauffmann a trouvé une nouvelle destination "de rêve" où emmener ses lecteurs : la Courlande. Et, pour bien annoncer la couleur, il a fait on ne peut plus clair question titre en se contentant de ce simple mot : "Courlande" (en poche, au Livre de Poche).
Après cette brève introduction, je vous entends d'ici vous demander : "Mais, ça se trouve où, la Courlande ?". En Lettonie, une de ces trois Républiques baltes, récemment devenues membres de l'Union Européenne. Et d'où vient cette passion subite de Jean-Paul Kauffmann pour cette région de Lettonie ? A l'origine, d'un amour de jeunesse.
Etudiant au Québec, Kauffmann y avait rencontré une jeune femme, Mara, dont la famille était originaire de Courlande et avait quitté sa terre natale au moment de l'invasion soviétique. Après une cour assidue, il avait enfin séduit cette demoiselle, apparemment très timide. Leur liaison dura jusqu'au retour de Kauffmann en France puis, le lien se détendit, la correspondance s'espaça pour cesser complètement.
30 ans plus tard, alors qu'il déjeune avec un ami rédacteur en chef d'une revue de voyages, celui-ci explique à Kauffmann qu'il est en train de préparer un numéro consacrée aux pays baltes. Et voilà notre auteur expliquant qu'il "connaît" la Courlande. Oh, pas physiquement, il n'y a jamais mis les pieds, mais intellectuellement, car ce nom n'a finalement cessé de l'habiter pendant ces décennies.
Et voilà comment Kauffmann se retrouve mandaté pour un séjour en Courlande afin d'y réaliser un reportage. Il a carte blanche sur les angles et la durée du séjour et une mission : rapporter de l'inessentiel (sic).
Et, en Courlande, l'inessentiel, ce n'est pas ce qui manque ! Des châteaux et des manoirs en nombre, certes, mais bien décatis après 50 ans d'occupation soviétique ; une histoire antérieure rangée aux oubliettes ; une langue parlée par un nombre sans cesse décroissant de personnes ; une austérité présente à chaque instant et en chaque lieu... Bref, aucun des canons habituels qu'un touriste en goguette pourrait attendre et, paradoxalement, c'est sans doute aussi cela qui fait tout l'exotisme de la Courlande.
A tel point que Gwenaëlle, lectrice de Français en Lettonie, rencontrée en début de périple, va carrément demander à Kauffmann pourquoi il est venu là.
En fait, il ne le sait pas vraiment lui-même. En arrivant là-bas, Jean-Paul Kauffmann et sa femme Joëlle en savent le strict minimum sur cette région qui semble être le bout du monde. Féru d'Histoire, l'auteur connaît quelques unes des figures marquantes nées en Courlande, ainsi qu'un épisode de notre histoire de France : le roi Louis XVIII y séjourna deux fois lors de son long exil, qui suivit la Révolution.
Autre lien avec la France : en Courlande, de nombreux Alsaciens, enrôlés de force dans l'Armée allemande, les fameux "malgré-nous", ont été tués à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Et la famille Kauffmann a des racines alsaciennes, une des cousines de l'auteur ayant même perdu son père au cours de ces tragiques évènements.
Le strict minimum, quoi...
Alors, ils arpentent la Courlande en long et en large, à la rencontre des habitants et des lieux remarquables. Pas vraiment de quoi exciter l'enthousiasme du visiteur. D'autant que les habitants sont peu liants, malgré la curiosité que leur inspire la visite de Français. Reste les rares autres étrangers, comme ce "professeur", venu d'Allemagne avec sa femme et ses enfants, ou quelques Français travaillant en Lettonie.
Pour autant, entre un rocker, une visite dans le château habité par Louis XVIII et sa cour et la découverte des vignes locales, Kauffmann réussit à nous proposer un voyage presque haut en couleur, si "inessentiel" qu'il gagne en grandeur, en intérêt et en dépaysement. A tel point que le couple choisira de prolonger son séjour, débuté au printemps, jusqu'à la fin de l'hiver suivant...
"Courlande" fourmille en anecdotes parfois amusante, toujours pertinentes pour nous faire toucher du doigt cette région d'Europe oubliée. Mais, comme toujours avec Kauffmann, on peut y déceler en filigrane le récit discret, pudique, essentiel, celui-là, des stigmates de sa captivité (pour les plus jeunes ou les moins informés, Jean-Paul Kauffmann, alors grand reporter pour "l'Evènement du Jeudi", fut enlevé au Liban où il resta détenu près de 3 ans).
Car, la Courlande et Kauffmann semblent bel et bien avoir connu un destin parallèle : un passé fort, indépendant brisé par une brutale détention et une volonté de se reconstruire, sans se retourner, mais sans renier le passé le plus ancien. Comme Kauffmann a eu une vie avant son ravissement, la Courlande connut des heures de gloire au cours de son histoire tourmentée, des épisodes qui nous sont racontés au cours du livre.
Gwenaëlle, encore elle, souligne que la Courlande a perdu toute identité depuis 1945, que les occupants Soviétiques se sont acharnés à faire disparaître tous ses particularismes. Comme Kauffmann fut renvoyé à un certain néant par ses ravisseurs. Mais les deux cherchent aujourd'hui à se relever, à se réinventer, à effacer ce traumatisme inoubliable.
Au bout de quelques semaines passées en Courlande, Kauffmann lui-même fait ce constat : "Pour moi, c'est cela, la Courlande : un pays vaste et dépeuplé. Dans les villages, jamais je n'ai vu de gens deviser dehors. Peut-être la rigueur de l'hiver leur donne-t-elle l'habitude du retranchement, de la vie intérieure". Lui a connu ce retranchement, cette vie intérieure, trois années durant, pour survivre, malgré tout. Une vie intérieure, un retranchement que l'on retrouve encore dans ses écrits, même si le fond, je trouve, commence à gagner en luminosité, en espoir.
Puis, par la suite, alors que l'hiver se fait rude, Kauffmann se dit "étrangement acclimaté" à ce pays, avec au coeur "un sentiment d'arrêt dans le temps, de cessation, d'interruption absolue" et il se dit "en vacances", terme qu'il met en italique dans son texte, comme une référence non pas à des congés, mais bel et bien à une vacance, au singulier, comme, celle, affreuse, que l'on soit ressentir dans un geôle libanaise...
Enfin, citant Théodore de Medem, descendant d'une des plus illustres familles de Courlande, devenu letton en 1995, Kauffmann évoque l'histoire de ce pays qui, pour ses habitants, "ne commence qu'en 1920, ce qui revient à éliminer 800 ans d'une histoire passionnante". Or, comme la Courlande qui se doit désormais, de travailler à retrouver son passé glorieux, ancien, Kauffmann, par ce voyage en Courlande, érige un pont entre deux périodes de sa vie d'homme, irrémédiablement séparées par un drame.
Car, en se remémorant les moments heureux vécus avec Mara 30 ans plus tôt, Kauffmann se souvient qu'il y a aussi eu un avant à sa captivité, et qu'en se retournant sur son passé, il peut désormais y voir autre chose que 3 années d'horreur quelque part au Proche-Orient.
Alors, oui, la Courlande n'est peut-être pas la destination la plus funky où l'on puisse se rendre ("une contre-Italie, comme il y a un contre-champ", dit Kauffmann), mais pour lui, c'est un lieu porteur d'un espoir, celui d'un retour au calme, à la normalité, à la vie.
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