Ce fut sans doute la plus belle rencontre de ces dernières Imaginales et un moment privilégié pour moi. Il s'appelle José Miguel Sanchez Gomez Celorrio Pino Bellido Valdivia Ramirez Diaz Carnota Calabeo Can Pascual (sic !), mais rassurez-vous, il signe ses livres du pseudonyme Yoss... Ce Cubain, qui vit toujours à la Havane, est la tête de file d'un courant de Science-Fiction important originaire de cette île et, après un recueil de nouvelles ("Interférences", publié en 2009 chez Rivière Blanche), il a publié un premier roman en France, au début de cette année, roman intitulé "Planète à louer".
Roman un peu particulier, car découpé en 7 chapitres qui, s'ils ont un univers commun et quelques liens entre eux, restent indépendants, presque comme 7 nouvelles, en tout cas 7 personnages et situations archétypaux dont on va voir que Yoss ne les a pas choisis du tout au hasard.
Mais commençons par vous présenter le contexte de ce roman. Nous sommes quelque part dans le futur, ni vraiment proche, ni vraiment loin de notre époque. La Terre est au bord d'un conflit nucléaire qui pourrait aboutir à sa disparition. C'est alors que des puissances extra-terrestres interviennent pour empêcher la catastrophe. En guise de coup de poing sur la table, ils rayent l'Afrique de la carte, puis ils colonisent le reste de notre pauvre Terre...
La première décision est d'imposer des politiques écologiques très strictes, afin de rétablir un équilibre déjà mis sévèrement à mal avant même l'usage de l'arme nucléaire...
Tout ces éléments, nous les apprenons au fur et à mesure de l'avancée du livre, dont l'action se déroule un siècle après ces faits. La Terre est devenue un vaste site touristique destiné aux extra-terrestres de tout l'univers, qui viennent s'y ressourcer et profiter de séjours de rêve... Mais, pour les autochtones, ces Terriens survivants, la vie quotidienne est beaucoup moins roses et, entre système D, volonté de survivre par tous les moyens, choix d'activités aidant à une promotion sociale quasi immédiate ou ambition déclarée de fuir des conditions terribles, chacun essaye d'améliorer l'ordinaire.
Il y a là Buca, la prostituée, Moy, l'artiste aux origines métis, Daniel, le champion dans le sport le plus populaire de l'univers, Romualdo, le flic, Alex, le scientifique génial, Friga, Adam et Jowe, les fuyards et Leilah, la gamine, dont l'avenir reste incertain, à moins qu'elle devienne elle aussi prostituée ou qu'elle trouve un "protecteur"...
Tous se débattent sur cette Terre aux mains d'extra-terrestres omnipotents, riches à milliards, imposant leurs cultures et leurs valeurs, repartant tranquillement sur leurs planètes une fois leurs vacances terminées et leurs envies assouvies.
Je n'en dis pas plus sur les vies que Yoss leur dessine, mais, bien sûr, on voit s'ébaucher, dans ces quelques lignes, comme une parabole, celle du Cuba des années 90, eldorado touristiques où tout est permis pour les vacanciers du monde entier qui recherchent plages, sables fins, mers chaudes et turquoise, soleil de plomb, et plus, si affinités, le dollar surpuissant aidant à obtenir à peu près tout, alors que les autochtones, eux, n'ont rien, ou pas grand chose...
Usant de la Science-Fiction comme le peintre utiliserait ses pinceaux et ses couleurs, Yoss soumet aux yeux du lecteur une vision de son île natale, suffisamment camouflée pour éviter censure et ennuis avec la justice (une de ses nouvelles, parues dans "Interférences" lui ayant déjà valu quelques jours de cellule...).
Mais, s'il est sans concession, ce portrait en trompe l'oeil est aussi une déclaration d'amour à Cuba et à tous ceux qui doivent (sur)vivre dans le carcan imposé par le régime castriste. Contrairement à "Interférences", qui met en scène "le dictateur affable" à l'identité claire comme de l'eau de roche, jamais "Planète à louer" n'évoque directement le régime. Juste les maux qui le gangrènent : corruption, prostitution, pédophilie, désespoir, argent, inégalités, pauvreté (dans l'ordre ou dans le désordre...).
Chacun de ces personnages, à sa manière, travaille à son avenir, en supposant qu'il croie encore en avoir un. Car, si certains vont trouver la voie pour se tirer de l'ornière, d'autres n'ont guère de solution et tenteront le tout pour le tout, n'ayant, de toute manière, pas grand chose à perdre...
Plus sombre qu'"Interférences", qui joue avec l'humour comme arme de résistance, "Planète à louer" ne devrait pas vous laisser indifférents et même vous émouvoir franchement. Et, en lisant un peu entre les lignes (il n'y a pas beaucoup à creuser, croyez-moi), alors vous comprendrez mieux ce qu'est être Cubain.
Et, si Yoss est ferme dans sa dénonciation des dérives de la dictature cubaine, il n'en devient pas pour autant manichéen. "Planète à louer" est également une critique féroce de la mondialisation économique, culturelle et (im)morale que nous connaissons. Car, ces extra-terrestres ne font que profiter de la Terre, de ses faiblesses de ses besoins, pour assouvir les leurs et se servir, piller, disons-le, les ressources humaines et matérielles que proposent la Planète sans que les autochtones puissent même rêver y avoir accès.
Et Yoss a beau se dire optimiste, la lecture de ce premier roman n'a pas vraiment de quoi nous faire partager cet état d'esprit. Sa sortie en 2011 a coïncidé avec une certaine reprise en main par les Castro Brothers de l'île, la répression s'est accentuée, tout comme la pression sur les dissidents et les opposants. Dans une grande indifférence de l'Occident, je trouve. Et il faut saluer le courage immense que Yoss qui n'entend pas s'exiler, alors qu'un passeport espagnol récemment obtenu le lui permettrait. C'est son île, il voudrait la défendre, jusqu'à ce que s'effondre ce régime inique. Bientôt, espère-t-il.
Pour compléter mon propos, voici la rencontre avec Yoss que j'ai eue la chance d'animer lors des Imaginales 2011. L'occasion de l'écouter parler de son travail, d'entendre des extraits de ses livres, de remercier Sylvi Miller, traductrice et éditrice de Yoss en France et... de découvrir le look du très, très attachant et gentil Cubain.
Il a plein de projets en cours avec Sylvie, donc sa bibliographie ne devrait pas longtemps se limiter à 2 ouvrages...
Même dans les bouquins de SF l'Afrique est sacrifiée ! Ils n'ont vraiment pas de chance ces pauvres Africains.
RépondreSupprimerIl me tente énormément ce bouquin !
Désolé, aucune connotation raciste ou négative à voir dans ce fait, juste la logique de la parabole de Yoss... L'Afrique, continent éternellement sacrifié lui aussi pour les intérêts de tous... sauf des Africains.
RépondreSupprimerJe ne voyais rien de raciste là dedans, mais plutôt un constat ironique.
RépondreSupprimerMême les ET se font la cerise sur le sacrifice de l'Afrique.
Ce n'est pas franchement le genre de livre vers lequel je me tourne spontanément mais tu en parles fort bien.
RépondreSupprimerMais pourquoi est-ce l'Afrique qui est sacrifiée ?